Est-ce un échec, malgré d’énormes moyens investis, ou une question de temps, face à des narcotrafiquants de plus en plus structurés ? Six mois après l’évasion de Mohamed Amra qui a coûté la vie à deux agents pénitentiaires, police et justice le traquent toujours ardemment mais sans succès.
Lorsqu’on interroge les habitués de ces dossiers, les 94 jours de cavale du braqueur multirécidiviste Rédoine Faïd en 2018 après son évasion de prison reviennent sans cesse.
Avec Mohamed Amra, le compteur augmente : jeudi, 184 jours se seront écoulés depuis l’attaque sanglante survenue au péage d’Incarville (Eure) à l’occasion de laquelle ce détenu multirécidiviste impliqué dans le trafic de stupéfiants s’est évadé, accompagné de complices.
Ce drame avait coûté la vie à deux agents pénitentiaires et provoqué un choc national.
« Nous serons intraitables », avait écrit sur X le président Emmanuel Macron.
Depuis ce jour, enquêteurs et magistrats de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) du tribunal de Paris assurent constamment de leurs efforts.
Sollicitées, plusieurs sources policières officielles ont décliné tout commentaire.
Le parquet de Paris a lui indiqué qu' »il est bien évident que les équipes sont pleinement mobilisées et que la divulgation de quelque élément que ce soit ne pourrait, pour le moment, que mettre en péril les investigations ». Mais le ministère public n’a « pas de nouvel élément à communiquer ».
Restent les commentaires, les conjectures et le futur.
En observateurs avisés de ces contentieux, plusieurs avocats spécialisés s’étonnent d’un « échec », à ce stade, dans cette traque, surtout après les commentaires initialement encourageants des autorités.
Pour un magistrat spécialisé, « même si on arrête Amra, ça restera un échec ». « On aurait dû l’avoir en un mois. J’espère qu’il est à l’étranger, sinon on est vraiment mauvais. »
« C’est un camouflet », abonde un autre magistrat spécialisé.
Une source policière estime au contraire que « ce n’est pas parce que tu n’as pas serré un mec rapidement que c’est un échec. Il y a plein d’affaires où ça a pris du temps ». « Il faut laisser faire l’enquête », plaide-t-elle.
Les conjectures, ensuite.
Certains imaginent Amra en France, d’autres parient sur l’Europe.
Pour le premier magistrat spécialisé cité, « on finit toujours par attraper les criminels en cavale, mais cela prend de plus en plus de temps » désormais.
– « Travail remarquable » –
Une autre source policière pense que les enquêteurs ont « positionné des +sonnettes+ un peu partout. Maintenant ils attendent qu’une fonctionne et qu’Amra fasse une erreur. Avec le temps, la routine, il en fera une ».
« Il a peut-être les reins plus solides financièrement pour assurer cette cavale que Faïd, qui était un braqueur. Tout est peut-être histoire de compte en banque », souligne aussi cette source policière.
Le second magistrat spécialisé évoque lui l’investissement de la criminalité organisée « sur la fraude documentaire » qui lui permet de « traverser le monde » avec « des faux papiers parfaits ».
Le délai accroît aussi la conviction de certains, présente dès l’évasion, selon laquelle Amra ne se serait pas échappé mais aurait été enlevé, par exemple « par des sous-traitants », comme suggère le premier magistrat ou comme l’ont imaginé des « stupeux » (trafiquants de drogue) auprès de leur avocat contacté par l’AFP. Mais au fond, « ils n’en savent rien », ajoute ce dernier.
Dans l’attente, quelles leçons tirer dès aujourd’hui ? Une observatrice de ces sujets désigne les failles du renseignement pénitentiaire, « obnubilé par les +barbus+ » mais qui « ne sait pas gérer les profils +crim’org’+ (criminalité organisée, NDLR) ».
Mi-août, un rapport de l’Inspection générale de la justice avait ainsi pointé un « déficit » de communication entre les différentes autorités judiciaires, pénitentiaires et les enquêteurs.
Le premier magistrat spécialisé s’inquiète lui de l’absence de « trace de poudre » ou « d’armes » après des mois ou des années de traque : plus compliqué donc d’obtenir une « condamnation à perpétuité » si la preuve formelle « qu’Untel ou Untel était bien membre du commando ou qu’il fait partie de ceux ayant tiré » n’est pas apportée à l’audience.
Mary Garcia, l’épouse d’Arnaud, l’un des deux agents pénitentiaires morts, veut garder « confiance », elle, en la justice.
« Mary Garcia m’a confiée qu’il lui arrivait certains jours de perdre espoir », souffrant notamment de n’avoir « aucune nouvelle » de l’enquête six mois après, a déclaré à l’AFP son avocate, Pauline Ragot. « Mais nous savons aussi que la justice et la police mobilisent tous leurs efforts. Nous avons confiance », a assuré le conseil.