Marie Toussaint est membre des Écologistes et députée européenne au sein du groupe des Verts/Alliance libre européenne.
Reporterre — Le Parlement européen a approuvé le report d’un an de la loi contre la déforestation importée en Europe ainsi que plusieurs amendements affaiblissant son contenu. Ce règlement doit interdire la commercialisation, dans l’Union européenne (UE), de certains produits (cacao, café, soja, huile de palme, etc.) provenant de terres déboisées après décembre 2020. Quelle est votre réaction ?
Marie Toussaint — Je suis scandalisée à plusieurs titres. À l’heure où les importations de l’Union européenne sont responsables de 16 % de la déforestation mondiale, et alors même que l’UE veut signer d’ici la fin de l’année un accord de libre-échange avec les pays du Mercosur, reporter d’un an cette loi est dramatique : au moment même où le dérèglement climatique s’accélère et où les puits de carbone s’effondrent, cela revient à laisser partir en fumée l’équivalent de plus de 800 000 terrains de foot de forêts.
Par ailleurs, les amendements du Parti populaire européen (PPE) posent un double problème : l’un d’eux propose par exemple de créer une catégorie de pays considérés comme « zéro risque », qui ne seraient a fortiori pas tenus de respecter certaines obligations de ce règlement. Or, aucun État n’est dénué de risques en matière de déforestation. La droite l’a en outre fait avec le soutien et les applaudissements appuyés de l’extrême droite. Il s’agit donc d’une rupture totale du cordon sanitaire.
On voit là une alliance dirigée contre la planète, laquelle mène une bataille culturelle extrêmement construite contre les politiques écologistes. Le tout avec le soutien de gros lobbies du bois, du cacao ou encore du soja : le Copa-Cogeca [Comité des organisations professionnelles agricoles de l’UE, soit l’équivalent européen de la FNSEA] a par exemple largement attaqué cette loi contre la déforestation.
Est-ce à dire que la droite et l’extrême droite européennes sont les bras armés des entreprises climaticides ?
Elles vont même plus loin : même si certains l’ont sans doute fait, je n’ai vu aucun lobby demander un report de deux ans de la loi, ce qu’avait d’abord fait la droite européenne avant de renoncer [et revenir à un report de un an] face à notre pression et à la mobilisation citoyenne et scientifique. La droite européenne fait donc du zèle dans sa bataille contre l’environnement.
« Cette droite est totalement sous l’influence de l’extrême droite »
Cette droite, qui depuis deux-trois ans fait circuler l’idée selon laquelle les normes environnementales seraient la cause de tous les maux européens, est par ailleurs totalement sous l’influence de l’extrême droite, sans que cela n’ait donné un véritable résultat électoral : plus la droite court après l’extrême droite, plus cette dernière reçoit des voix. C’est dramatique, tant pour les questions environnementales que pour les questions sociales et démocratiques, qui vont toutes de pair.
Cette loi sur la déforestation est d’ailleurs l’incarnation du fait que les enjeux sociaux et environnementaux sont les mêmes : c’est un enjeu tant pour les peuples qui vivent dans la forêt et pour les petits producteurs du Brésil, d’Indonésie, etc., que pour les producteurs européens et pour les forêts du monde.
Au regard des forces en présence au sein du Parlement européen, cet affaiblissement de la loi sur la déforestation est-il la porte ouverte à un détricotage de tous les textes environnementaux au sein de l’UE ?
Il s’agit en effet d’un appel au détricotage du Pacte vert. Une fois que l’on a ouvert un texte, tout devient possible, car des amendements peuvent être déposés. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, issue des rangs de la droite, a aussi annoncé vouloir réviser la « directive habitats » afin d’abaisser le statut de protection du loup. Il est évident que des amendements concernant d’autres espèces, voire même les zones Natura 2 000, vont être déposés. Nous sommes entrés dans l’ère du grand recul environnemental, contre laquelle il va falloir se battre.
De quelle manière ?
On ne cessera d’appeler à exclure l’extrême droite de toute discussion démocratique. Il faut rétablir le cordon sanitaire qui était en vigueur au Parlement européen jusqu’à il y a encore quelques mois : la droite doit rompre ses liens, qu’ils soient institutionnels ou idéologiques, avec l’extrême droite.
Nous avons également besoin de recréer toute la capacité de résistance et de mobilisation avec la société civile. C’est ce que l’on a fait pour ce texte sur la déforestation, ce qui a permis le retrait d’un certain nombre d’amendements du PPE. Cela veut dire que l’on peut y arriver.
Je crois qu’il existe des cycles : en 2019, la grande mobilisation citoyenne pour le climat a donné le Pacte vert et a permis d’avancer sur un certain nombre d’enjeux, et notamment sur cette loi sur la déforestation. Cela a pris trois ans aux lobbies et aux opposants de l’écologie de relancer la bataille culturelle et politique et de remporter des victoires. Nous pouvons faire la même chose. Il est de notre responsabilité de ressouder cette mobilisation, de repartir à l’attaque et de mener cette bataille culturelle en sens inverse.
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