Pékin poursuit son offensive économique dans l’arrière-cour de Washington, défiant sa traditionnelle hégémonie en Amérique latine. La présence de la Chine dans le continent s’est renforcée jeudi 15 novembre 2024 par l’inauguration d’un mégaport au Pérou, un projet qui s’inscrit dans son ambitieux programme des “Nouvelles routes de la soie”. Cette infrastructure stratégique permet non seulement à la superpuissance asiatique de se positionner dans cette région du monde mais également de drainer les flux de marchandises des autres pays de la région comme le Chili, la Colombie, l’Equateur ou même le Brésil.
Le port, situé à près de 80 km de la capitale péruvienne Lima, voit le jour dans le cadre du programme chinois “la Ceinture et la Route”, qui s’inspire des anciennes routes de la soie pour construire des infrastructures aussi bien en Asie qu’ailleurs en Europe ou en Amérique, dans le but de relier les continents par des voies maritimes, routières et ferroviaires.
Une tête de pont stratégique
Plusieurs pays ont adhéré à cette initiative, y compris en Amérique du Sud comme l’Argentine et le Brésil, la Bolivie, l’Equateur et le Venezuela, ou encore le Pérou. « De Chancay à Shanghai, nous n’assistons pas seulement à l’initiative ‘la Ceinture et la Route’ qui prend racine et fleurit au Pérou, mais aussi à la naissance d’un nouveau corridor terre-mer entre l’Asie et l’Amérique latine », s’est félicité jeudi le président chinois Xi Jinping en inaugurant le port.
Cette infrastructure, construite par Cosco Shipping Ports, filiale du géant chinois de transport maritime Cosco Shipping et propriétaire du port, permettra le transit d’un million de conteneurs lors de sa première année d’exploitation. Son exploitation est cédée pour les trois prochaines décennies à la société chinoise, qui doit également porter la superficie du mégaport à 141 hectares et le doter de quatre puis de 15 quais, pour un investissement total de 3,5 milliards de dollars.
« Nous devons travailler ensemble pour construire, gérer et exploiter le port de Chancay », a ajouté Xi Jinping lors d’une cérémonie au palais présidentiel, exprimant son souhait de « promouvoir la connectivité entre l’Amérique du Sud et la Chine ». Quelques heures plus tôt, le président chinois atterrissait à Lima où se tient le sommet de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (Apec), qui rassemble 21 pays pesant 60 % du PIB mondial.
La présidente péruvienne pour sa part, Dina Boluarte, interprète l’inauguration de ce port comme une preuve du caractère “fiable” de son partenariat avec la Chine.
De par son envergure et sa réalisation dans le cadre du programme “la Ceinture et la Route”, ce projet est bien plus qu’une simple “connexion” commerciale entre l’Amérique du Sud et la Chine”. Ce port, dont la construction a débuté en 2021 et dont la profondeur est d’environ 18 mètres, est capable d’accueillir les plus gros porte-conteneurs, pouvant transporter jusqu’à 24 000 conteneurs.
Pékin est d’abord en mesure de sécuriser son approvisionnement en matière premières stratégiques, à l’image du cuivre, du soja et du lithium, élément clé de la transition écologique et tout aussi prisé par les États-Unis et l’Union européenne. Ce port peut ensuite devenir la porte d’entrée des exportations chinoises vers le continent sud-américain, avec, en prime, des durées de trajets réduites d’une dizaine de jours et des couts de transports moins importants.
La Chine vient titiller la domination américaine
Et, comme un défi lancé à Washington et sa traditionnelle hégémonie dans ce qui est considéré comme son arrière-cour, des pays limitrophes du Pérou comme le Brésil, la Colombie ou encore le Chili se voient conviés à faire transiter leurs marchandises par ce port sans passer par le Mexique ou les États-Unis.
Pékin a considérablement renforcé sa présence et son influence en Amérique du Sud au cours des dernières années, intensifiant les échanges commerciaux, multipliés par 35 en 20 ans pour atteindre 500 milliards de dollars en 2022. Les investissements chinois se sont montrés bien plus élevés. Entre 2005 et 2022, 228 projets d’infrastructures ont été réalisés avec plus de cent milliards de dollars de financement et plus de 720 000 emplois.
Une fois entièrement achevé, le port « apportera d’énormes bénéfices au Pérou et créera un grand nombre d’emplois », promet alors Xi Jinping. « Aujourd’hui, le port de Chancay devient un nouveau point de départ pour les Chemins incas de la nouvelle ère », fait-il remarquer dans une déclaration se référant aux anciens navigateurs de la Chine et des chemins Incas, un réseau de routes piétonnières dans les Andes.
L’inauguration du mégaport au Pérou tout comme l’activité chinoise en Amérique du Sud est scrutée de près par Washington et Bruxelles. Chez l’Oncle Sam, cette infrastructure intervient dans une phase transitoire et la nouvelle administration à la Maison-Blanche, qui sera dirigée par Donald Trump, réputé pour son hostilité à l’égard de Pékin, promet de s’opposer à cette expansion.
En Europe, les États membres discutent toujours d’un accord avec le Mercosur, censé permettre à l’UE de faire face à la concurrence chinoise, mais l’initiative est très critiquée, surtout en France.