par Qassam Muaddi
Malgré les tentatives incessantes d’Israël pour dénaturer et démanteler le Hezbollah, l’organisation perdure. Un regard sur l’histoire et les objectifs du groupe explique son pouvoir durable et montre à quel point ce qui est véhiculé par les médias occidentaux est faux.
Le Hezbollah, qui signifie en arabe «le parti de Dieu», également appelé «Résistance islamique du Liban», fait de plus en plus parler de lui ces derniers mois, alors qu’Israël poursuit sa guerre au Liban. En début de semaine, le nouveau ministre israélien de la guerre, Israël Katz, a annoncé la «défaite» du Hezbollah. Le groupe a réagi en lançant des tirs de roquettes sans précédent et en multipliant les attaques de drones sur Haïfa et Tel-Aviv, démontrant ainsi sa capacité de combat.
Au début du mois d’octobre, Israël a déclenché son offensive sur le Liban avec les attentats à l’explosif contre des beepers, qui ont tué des centaines de Libanais, pour la plupart des civils. Ces attaques ont été suivies d’une série d’assassinats des principaux chefs militaires du Hezbollah, qui ont culminé avec l’assassinat du secrétaire général du Hezbollah, Hasan Nasrallah, puis du candidat le plus sérieux à sa succession, le chef du conseil exécutif du Hezbollah, Hashem Safiyyudin. Israël a alors engagé une campagne de bombardements massifs sur le sud du Liban étendue à la vallée de la Beqaa et au Mont-Liban, visant prétendument les arsenaux de roquettes du Hezbollah.
Mais le Hezbollah ne s’est pas effondré. Au contraire, il a intensifié son action militaire au quotidien, introduisant des roquettes plus lourdes et de plus grande portée dans le combat, opposant une résistance implacable aux tentatives d’incursion israéliennes dans le sud.
Comme pendant la guerre de dix ans en Syrie, dans laquelle le Hezbollah a joué un rôle majeur, et comme en 2006, lorsque le Hezbollah a repoussé une nouvelle offensive israélienne sur le Liban, le groupe est devenu l’objet de spéculations, de curiosité et de récits contradictoires. Alors, qui est le Hezbollah ? Que veut-il ? Comment fonctionne-t-il ? Et quelle est la part de vérité dans ce qui est véhiculé à son sujet en Occident et dans les médias ?
Libanais, chiite ou pro-palestinien ?
D’une certaine manière, le Hezbollah est le produit du croisement des conflits politiques, confessionnels, de classe et régionaux au Liban dans les années 1980. Le groupe est né en réponse à l’invasion et à l’occupation du Liban par Israël en 1982, mais ses racines remontent au mouvement chiite issu d’un mouvement de protestation sociale. La plupart des fondateurs du Hezbollah ont fait leurs premiers pas en tant que militants dans les rangs du «Mouvement des déshérités», lancé par le religieux et leader social irano-libanais Mousa Sadr au milieu des années 1970, alors que les chiites faisaient partie des communautés les plus marginalisées et les plus pauvres du Liban.
Alors qu’Israël attaquait le Liban à plusieurs reprises pour contrer les résistants palestiniens basés dans le sud du pays, Mousa Sadr a été l’un des premiers à appeler à une résistance libanaise organisée et a fondé les «Légions de la Résistance libanaise», dont l’acronyme en arabe se lit «Amal», qui signifie également «Espoir». Le groupe est rapidement devenu la milice chiite engagée dans la guerre civile, surtout après la disparition de Sadr en 1978.
Après l’invasion du Liban et l’occupation de Beyrouth par Israël en 1982, le parti communiste libanais a lancé le «Front de résistance nationale libanais», rejoint par d’autres partis de gauche et nationalistes, pour devenir la principale force de résistance à Israël. C’est alors que plusieurs activistes islamiques d’Amal, d’autres groupes chiites, d’organisations caritatives, de mosquées et d’associations de quartier se sont réunis à l’école religieuse islamique Al-Muntazar, dans la ville de Baalbek, et ont estimé avoir besoin d’une force islamique vouée uniquement à la résistance à l’occupation israélienne. Ils l’ont baptisée «Hezbollah», en référence au verset 56 de la sourate 5 du Coran, qui dit que «les partisans de [ou ceux qui sont fidèles à] Dieu seront victorieux».
Le groupe fondateur présentait deux points communs : la priorité de la résistance à Israël, mettant de côté toutes les autres divergences politiques, et leur accord sur l’identité de leur référence religieuse. La «référence religieuse» est une tradition chiite vieille de plusieurs siècles, selon laquelle chaque communauté désigne un érudit religieux satisfaisant à certaines conditions, et accepte son jugement religieux pour les questions majeures sur lesquelles la communauté ne parvient pas à se mettre d’accord. Les membres fondateurs du Hezbollah réunis à Baalbek ont convenu d’accepter, comme référence religieuse, le clerc et dirigeant iranien, l’ayatollah Khomeini.
Un «mandataire iranien» ?
La relation entre le Hezbollah et l’Iran a toujours été un sujet de controverse, le groupe ayant été accusé d’être le mandataire de l’Iran au Liban et dans la région. Cependant, la relation entre les racines du Hezbollah et l’Iran est plus ancienne que la création du régime iranien actuel et plus complexe qu’elle n’est souvent présentée. En fait, ce sont des érudits religieux, des disciples et des prédicateurs libanais du mont Amel, aujourd’hui connu sous le nom de Sud-Liban, qui ont introduit le chiisme en Iran au XVIIe siècle. Les liens entre les chiites des deux pays se sont poursuivis, avec des échanges de chefs religieux, d’érudits et d’étudiants, et la création de liens familiaux. Mais en 1982, cette relation a pris une nouvelle dimension.
Alors que les forces israéliennes assiégeaient Beyrouth, la toute nouvelle République islamique d’Iran a envoyé des membres de sa garde révolutionnaire en Syrie voisine et a proposé au gouvernement syrien de l’aider à lutter contre l’invasion israélienne. Cette force iranienne a ensuite revu sa mission, lorsqu’il est apparu clairement qu’Israël n’avait pas l’intention d’envahir la Syrie, et a commencé à proposer une formation à tous les Libanais désireux de résister à l’occupation. L’organisation naissante, le Hezbollah, est devenue le principal recruteur de volontaires et le principal recruteur de combattants nouvellement formés, et a donc été en mesure d’accroître son corps militant en peu de temps. La relation entre le groupe libanais et la garde révolutionnaire iranienne s’est développée et se poursuit encore aujourd’hui.
Cependant, le défunt leader du Hezbollah, Hasan Nasrallah, a déclaré à plusieurs reprises lors d’entretiens avec les médias qu’il convient de distinguer la relation du groupe avec l’État iranien et avec son chef suprême. Selon Nasrallah, le Hezbollah considère l’Iran comme un pays «ami et allié» et le Guide suprême, Khomeini et son successeur Khamenei, comme sa «référence religieuse», à laquelle il ne se réfère que pour les questions exigeant la décision d’une autorité religieuse. Cette distinction reste floue pour beaucoup, car le guide suprême est aussi le chef de l’État en Iran, et parce qu’au niveau idéologique, il est aussi la «référence religieuse» de l’État iranien. Toutefois, d’autres partis libanais entretiennent des relations moins harmonieuses, plus dépendantes et plus explicites avec des pays étrangers. Un exemple est la relation entre l’Arabie saoudite et Futur, parti du Premier ministre assassiné Rafiq Hariri, concurrent pour la représentation de la communauté sunnite. Un autre exemple est celui du parti d’extrême droite anti-palestinien des Phalanges libanaises, qui a monopolisé les voix des chrétiens maronites pendant la guerre civile, et ses relations avec les États-Unis, la France et même Israël lors de l’invasion de 1982. Un contexte complexe qui confère à la relation du Hezbollah avec l’Iran une dimension non négligeable dans la culture politique libanaise.
Le Hezbollah en politique
En quarante-deux ans d’existence, le Hezbollah est devenu une force politique majeure au Liban. Il était resté un simple mouvement de résistance jusqu’en 1995, date à laquelle il s’est présenté pour la première fois aux élections législatives. À l’époque, la guerre civile libanaise venait de s’achever, et la nouvelle génération de jeunes Libanais cherchait une nouvelle raison de croire et de s’unir, et la lutte pour le sud occupé a répondu à leurs attentes, accroissant ainsi la popularité du Hezbollah. Le groupe a également commencé à mettre en œuvre des programmes sociaux pour aider les familles des combattants tombés sur le front, tels que des établissements de soins de santé et des écoles, destinés à aider les Libanais les plus démunis.
Cette popularité s’est encore accrue après le retrait d’Israël du Liban en 2000, qui a marqué la première libération inconditionnelle d’un territoire arabe occupé. Le Hezbollah a continué à remporter des succès lors des élections, assurant une présence croissante au parlement libanais et dans de nombreuses municipalités, en particulier dans les régions chiites comme le sud et la Beqaa, et forgeant des alliances avec d’autres partis libanais.
En 2008, le Hezbollah a conclu un accord d’alliance avec la nouvelle force chrétienne émergente, le «Mouvement patriotique libre», dirigé par l’ancien général de l’armée Michael Aoun, qui a paradoxalement construit son image héroïque dans les années 1980 en s’opposant à la présence militaire syrienne au Liban. Cette alliance chiite-chrétienne inédite a permis au Hezbollah d’exercer une influence sans précédent sur la politique libanaise lorsque Aoun est devenu président du Liban en 2016. Selon la constitution libanaise, le président doit être un chrétien maronite, et le Hezbollah a soudainement disposé de l’accès d’un allié puissant au palais présidentiel de Baabda avec le soutien du Hezbollah. La capacité militaire du Hezbollah à déclencher ou à prévenir une guerre avec Israël, entre autres choses, explique pourquoi on l’accuse de contrôler l’État libanais.
Cependant, le Hezbollah n’a jamais été le seul parti à exercer une telle influence sur la politique libanaise, et la position globale de l’État libanais demeure inchangée sur plusieurs points, contrairement à celle du Hezbollah. Par exemple, le Liban n’a jamais accepté les propositions du Hezbollah de demander l’aide de l’Iran pour moderniser et renforcer l’armée libanaise, ou d’acheter du carburant à l’Iran pour résoudre la crise énergétique du pays en 2021. Mais surtout, si le Hezbollah a accédé aux fonctions étatiques accessibles via les élections, au parlement ou dans les municipalités, il ne s’est jamais vu confier de poste administratif clé dans les agences gouvernementales ou dans le système judiciaire. Selon le Hezbollah et ses alliés, cette situation est due aux pressions extérieures exercées sur le Liban, principalement par les pays occidentaux, qui considèrent le Hezbollah comme une organisation terroriste.
Plus qu’un groupe militant
Cette désignation de «terrorisme» a placé le Hezbollah dans le collimateur des administrations américaines successives, qui ont systématiquement soutenu de manière inconditionnelle toutes les guerres israéliennes visant à détruire le Hezbollah, même au prix de la destruction du reste du Liban. Dans la dernière opération en cours, Israël a tout tenté en ciblant le chef au sommet de la pyramide du Hezbollah, Nasrallah, et plusieurs dirigeants clés de son entourage. Cependant, la capacité du parti libanais à encaisser les coups et à poursuivre le combat sans faiblir a démontré que, contrairement aux idées reçues sur les organisations arabes et moyen-orientales, le Hezbollah n’est pas une secte idéologique dirigée par un ou quelques hommes charismatiques. En fait, Nasrallah lui-même a souligné à plusieurs reprises que le Hezbollah ne possède pas de leader, mais un «système de gouvernance», géré par des institutions, avec un processus constant de formation de nouveaux leaders, prêts à prendre la relève en cas de vacance de poste.
Mais le principal aspect du Hezbollah, et aussi le plus négligé, est qu’il est bien plus qu’un groupe militant armé au service d’une cause. Le Hezbollah représente la tradition et la lutte de plusieurs décennies d’une composante clé de la société libanaise. Il est également le représentant le plus puissant, aujourd’hui, de l’orientation politique de la Résistance contre les États-Unis et Israël au Liban, une voie bien plus ancienne et largement diversifiée que le Hezbollah lui-même. C’est aussi une force sociale avec une forte présence dans tous les domaines de la vie publique libanaise, qu’il s’agisse de politique, d’éducation, d’œuvres caritatives, d’art ou de culture. Et en temps de guerre, il incarne les convictions d’une grande partie de la société libanaise, bien au-delà des clivages confessionnels ou politiques.
source : Mondoweiss via Spirit of Free Speech