Il peut dribbler ce qu’il veut, sauf le changement climatique. Ronaldinho, l’un des plus grands footballeurs de tous les temps, est l’un des invités de marque de la COP29, le sommet sur le climat qui se déroule en Azerbaïdjan jusqu’au 22 novembre. L’image aurait pu incarner une alliance puissante entre le sport et l’écologie. Mais l’ancien prodige du Paris Saint-Germain (PSG) et Ballon d’Or 2005 n’a pas foulé le sol de Bakou, la capitale du pays hôte, pour soutenir les (maigres) avancées des négociations sur le climat. Durant la première semaine du sommet, le Brésilien s’est surtout distingué par son penchant immodéré pour les voyages en jet privé.
Entre Malte, Bakou et Angers, en trois jours, Ronaldinho a parcouru près de 7 200 km dans un Embraer Legacy 650. Rejetant plus de 70 tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Soit trente-trois ans d’émissions d’un Brésilien moyen.
Son Embraer Legacy 650 fait partie des 126 jets privés de grandes entreprises, gouvernements et personnalités qui ont convergé à Bakou pour la COP29, émettant environ 4 912 tonnes de CO2, selon une enquête de Reporterre et Mémoire vive, un collectif d’investigation spécialiste des données librement accessibles. Ici, Reporterre et Mémoire vive retracent le parcours carboné de « Ronnie », en croisant ses apparitions publiques et les déplacements de son jet privé de location documentés par plusieurs vidéos.
Première escale : la promotion des jeux en ligne à Malte
Rembobinons. Le 11 novembre, le média Malta Daily diffuse une vidéo de l’arrivée de Ronaldinho, de son vrai nom Ronaldo de Assis Moreira, lunettes de soleil, bandana et t-shirt noir, sur le tarmac de l’aéroport international de Malte, situé à Luqa, au centre de l’île.
Après avoir visité en bateau trois villes maltaises — Vittoriosa, Senglea et Cospicua —, avec son frère Roberto de Assis Moreira, l’icône brésilienne se rend à Sigma Europe, un événement consacré au poker, où dix méga-yachts sont transformés en stands. Il y joue, selon le média Oh My Malta, le rôle d’ambassadeur pour Betify, une entreprise de jeux en ligne.
Le lendemain, le 12 novembre, il monte pour la première fois à bord du jet Embraer Legacy 650, pour un vol de 3 h 51 minutes, en direction de Bakou, en Azerbaïdjan. L’appareil, affrété par la compagnie VistaJet, est un palace volant : bar, cuisine, salle de bain, écran plasma, connexion Wi-Fi… Ce simple trajet est responsable, selon nos calculs, de l’équivalent de 28,6 tonnes CO2.
Deuxième escale : la COP29 à Bakou
Le 13 novembre, l’ex-footballeur de 44 ans, t-shirt blanc et ensemble en velours monogrammé d’une marque dijonnaise, fait un passage remarqué à la COP29. Badge bleu autour du cou, il prend des photos, signe des autographes et se voit remettre un maillot de l’équipe nationale d’Azerbaïdjan floqué à son nom.
Surtout, le champion du monde 2002 s’affiche au côté de Rovchan Nadjaf, président de la Fédération de football d’Azerbaïdjan… et dirigeant de la State Oil Company of Azerbaijan Republic (Socar), la compagnie pétrolière nationale.
Dans les rangs de la société civile, cette visite suscite de l’indignation. « Ronaldinho est à la COP29, mais de quel côté est-il ? Soutient-il les lobbyistes fossiles ou se bat-il pour un avenir équitable ? Nous avons besoin de champions qui défendent les gens et la planète, pas les pollueurs », réagit Greenpeace Africa.
Pour Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport, la présence de Ronaldinho à la COP29 vise avant tout à apporter de la visibilité au pays hôte, l’Azerbaïdjan : « On utilise son image et son aura internationale pour détourner l’attention du manque d’avancées concrètes lors du sommet. C’est une forme de “sport washing” au second degré : on ne cherche pas à effacer la réflexion, mais à créer une diversion glamour. Cela adoucit l’image d’une COP très décriée et détourne sa notoriété sportive au profit de stratégies politiques. »
En partant, l’ancien footballeur laisse entendre qu’il sera présent en 2025, à domicile, lors de la COP30 qui se tiendra à Belém : « Nos vemos no próximo ano no Brasil ! » (« Rendez-vous l’année prochaine au Brésil !) » écrit-il sur ses réseaux sociaux.
Troisième escale : le match de gala à Angers
Le 14 novembre, Ronaldinho prend la direction de la France. Après un vol de 5 h 12 vers l’aéroport du Bourget, près de Paris, l’Embraer Legacy 650 atterrit à Angers à 21 h 43. « On n’aurait jamais pensé écrire ça un jour mais… Ronaldinho est à Angers », tweete le club local, le SCO d’Angers. Coût des deux vols : près de 42,6 tonnes d’émissions de CO2.
En Anjou, le lendemain, « Ronnie » est la tête de gondole d’un match d’exhibition disputé au stade Raymond-Kopa avec d’autres légendes du ballon rond. Il arrive au stade discrètement, à 45 minutes du coup d’envoi. Ce match de gala entre les sélections d’anciennes gloires françaises et brésiliennes attire 10 000 spectateurs, pour des places allant de 15 à 35 euros. Selon nos confrères de L’Équipe, l’événement se présente comme un match de charité organisé par l’entreprise de divertissement Jogo dos Famosos, censée reverser une partie des bénéfices à des projets caritatifs soutenus par Ronaldinho, mais son organisation floue laisse des doutes sur la destination des recettes. L’organisateur n’a pas répondu aux questions de L’Équipe sur ce point.
Sur le terrain, tout va bien pour Ronaldinho. Comme souvent. Il marque deux buts pour la sélection brésilienne, vainqueur 5-4 face à la formation tricolore composée d’anciens footballeurs français et de célébrités, et gratifie le public de quelques gestes techniques — dont un sacré petit pont (le fait de passer le ballon entre les jambes d’un adversaire) sur un youtubeur français. Un spectateur entre même sur la pelouse pour qu’il lui signe un autographe sur son maillot.
PTDRRR Ronaldinho m’a humilié frère
Et vous ça va sinon ? pic.twitter.com/IwRMPWCg46
— Today It’s Football (@todayitsfoot) November 16, 2024
La « face cachée » de Ronaldinho
Dans le week-end du 16 et 17 novembre, le champion du monde de 2002 s’affiche ensuite avec un verre de vin à Paris — « La fraîcheur de Paris appelle à un peu de vin, non ? » commente-t-il — sans que l’Embraer Legacy 650 ne l’y est déposé. L’image remontait-elle à son escale au Bourget, ou s’y est-il rendu avec un autre moyen de transport ? Notre enquête n’a pas pu le déterminer.
Depuis sa fin de sa carrière en 2015, Ronaldinho a en tout cas multiplié les apparitions sur des sujets variés, de la politique à des projets controversés. En 2018, il a officiellement soutenu la candidature de Jair Bolsonaro, le président d’extrême droite du Brésil, arborant un maillot avec le numéro de code de Bolsonaro pour l’élection. « Pour un Brésil meilleur, je désire la paix, la sécurité et quelqu’un qui nous redonne de la joie », déclarait alors le footballeur, proche des milieux évangéliques conservateurs.
En 2020, Ronaldinho et son frère ont également été emprisonnés au Paraguay pour avoir tenté d’entrer dans le pays avec de faux passeports. Le Brésilien a passé près de six mois en détention avant d’être libéré. Il est aujourd’hui l’ambassadeur de la Coupe du monde 2026, qui se déroulera à la fois aux États-Unis, au Canada et au Mexique. De belles promesses de records d’émissions de CO2 !
Les vols en jet privé ont bondi de 28 %
Les émissions des jets privés, 50 fois supérieures à celles des trains et 14 fois plus polluantes que les avions commerciaux, ne cessent d’augmenter. Selon une étude récente publiée dans Communications Earth & Environment, les vols en jet ont émis 15,6 millions de tonnes de CO2 en 2023, soit l’équivalent des émissions annuelles de 3 millions de Français. Le nombre de jets privés dans le monde a bondi de 28 % entre 2019 et 2023, et les distances parcourues ont augmenté de 54 %.
Cette explosion se traduit par une contribution accrue au réchauffement climatique, alors que les régulations restent quasi inexistantes dans ce secteur ultra-polluant réservé aux élites. Les utilisateurs de jets, décrits par l’industrie comme les « très grandes fortunes », ne représentent que 0,003 % de la population adulte mondiale.
Pour évaluer l’impact réel de l’empreinte de Ronaldinho, Reporterre et Mémoire vive ont appliqué un coefficient x2, comme le conseille l’Agence de la transition écologique (Ademe), en tenant compte de l’effet radiatif des émissions aériennes. Pour chaque kilogramme de CO2 émis par les jets privés, 1 kilo supplémentaire de gaz à effet de serre est ainsi ajouté au calcul total, reflétant les effets des trainées de condensation et d’autres gaz à effet de serre.
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