Wismar (Allemagne), reportage
Martin Saager, 46 ans, est un pêcheur pressé. La journée type de ce solide gaillard démarre à l’aube devant sa coopérative de pêche Wismarbucht, sur le quai du vieux port à bois de Wismar, situé tout au nord de l’Allemagne. C’est aussi là que le « Seeadler », pour « Aigle de la mer », de Martin, un bateau de 8 mètres équipé pour la pêche côtière, est amarré. Après une tasse de café et un sandwich vite engloutis, le tour des zones de pêche commence avec la pose ou la relève de filets maillants — sorte de mur de filets pour attraper du poisson —, calés dans les profondeurs de la baie de Lübeck, à l’est de Wismar.
Une routine qui ne ramène pas grand-chose au pêcheur, la mer Baltique ayant été quasiment vidée de ses habitants aquatiques. « Il est presque impossible de vivre de ce métier dans la région aujourd’hui. Les prises se résument souvent aux poissons plats, plies ou limandes. Il y a parfois quelques harengs et des cabillauds, mais ces derniers sont devenus très rares », relate-t-il. Pour survivre, celui-ci a été obligé de diversifier ses activités.
Sur un petit terrain derrière la coopérative, il a d’abord installé un « Enclos du pêcheur », un camion poissonnerie où l’on peut grignoter un sandwich au hareng et acheter du poisson fumé. Puis, en octobre 2023, il est retourné sur les bancs l’école pour devenir l’un des onze premiers Sea Ranger d’Allemagne. Soit un garde-forestier de la mer et du littoral, selon les termes d’Oliver Greve, directeur de la coopérative de pêche de Wismar, et inventeur du programme Sea Ranger.
Conçue localement, la spécialisation dispensée pendant les mois d’hiver et proposée à tout pêcheur diplômé de moins de 50 ans. Elle a été financée par l’Union Européenne et préparée conjointement par un institut de formation, des scientifiques de la mer, des responsables du Parc national du lagon de Poméranie occidentale, la plus vaste réserve naturelle de la Baltique, ainsi que des responsables de l’industrie touristique locale. « Ce n’est pas évident de retourner en classe, d’apprendre par cœur et de s’entrainer à jouer les guides », reconnait Martin Saager, qui a surtout apprécié la semaine passée sur l’Alkor et le Solea, les navires scientifiques des instituts Geomar (Institut Leibniz d’océanographie) et de l’Institut Thünen pour la pêche en mer Baltique.
« Si rien ne change, il n’y aura plus de pêcheurs sur la côte Baltique dans dix ans »
« Nous avons appris à faire des relevés hydrographiques, à répertorier les prises, à poser des casiers équipés de caméras d’observation et toutes sortes de choses. En échange, nous leur avons donné des conseils pour mieux utiliser leurs chaluts », s’amuse Martin qui a reçu en avril dernier son diplôme des mains du ministre régional de l’Agriculture, venu célébrer devant la presse locale et régionale cette nouvelle formation.
« Si rien ne change, il n’y aura plus de pêcheurs sur la côte Baltique dans dix ans », estime Oliver Greve. L’âge moyen est actuellement de 59 ans. Et à l’école professionnelle de Saasnitz, il n’y a plus aucun candidat pour se former au métier. « Avec Sea Ranger, nous avons voulu créer une opportunité d’emploi supplémentaire, qui correspond aux besoins du temps et de la nature et donne aux jeunes une raison de revenir vers la profession », poursuit le directeur. Et de préciser que le nombre de pêcheurs a drastiquement baissé ces vingt dernières années, passant de 1 400 à 150. De plus, les activités et les emplois liés à la transformation du poisson ont totalement disparu de la région.
La surpêche est souvent désignée comme la première responsable de cette situation. « Désormais, le réchauffement climatique et les déséquilibres environnementaux causés par l’être humain prédominent largement », assure Christopher Zimmermann, directeur de l’Institut La Baltique. Cette mer est presque fermée et peu profonde : ses eaux se renouvèlent peu, se réchauffent vite et souffrent d’eutrophisation — un excès de matières organiques, provenant des rejets massifs d’azote et de phosphate dans les cultures agro-industrielles, qui conduit à la prolifération d’algues et à l’asphyxie de la faune marine.
Diversifier les activités
A cause de ce phénomène, les quotas de pêche se sont effondrés. Des 130 000 tonnes de poissons dans les années 1970 pour la partie allemande de la Baltique, il n’en reste que 14 000 tonnes aujourd’hui, dont seulement 435 tonnes pour le hareng qui a longtemps été le pain quotidien des pêcheurs locaux. Malgré ces déséquilibres environnementaux qui, selon les experts, ne seront pas compensés avant au moins dix-vingt ans, Oliver Greve et ses pêcheurs, mais aussi les experts de l’Institut Thünen et ceux du ministère fédéral de l’Agriculture, ne veulent pas tirer un trait sur la pêche côtière.
Une commission sur le futur du secteur, dotée d’un fonds de 100 millions d’euros, a été créée. « Il y a un consensus général sur le fait que la pêche côtière fournit plus que du poisson frais. Elle fait partie de l’identité culturelle, elle favorise le tourisme, etc. Il faut donc réfléchir à la manière de gérer ce qui existe encore sur la mer Baltique. Nous pensons que la clé est la diversification des activités et la réduction de l’impact humain sur l’environnement », explique Christopher Zimmermann.
Oliver Greve partage ce constat : « Notre région, c’est 1 900 kilomètres de côtes et 700 îles de toutes tailles. Les pêcheurs sont essentiels. Ils peuvent pêcher mais aussi jouer un rôle de gardien du littoral ou accueillir des touristes et des scolaires », présente-t-il. Les chercheurs comptent aussi sur les Sea Ranger pour collecter des données dans les zones inaccessibles aux bateaux de recherche. « Mais la partie n’est pas encore gagnée. Il faut que ces nouveaux Sea Ranger s’insèrent, trouvent des emplois rémunérés »,martèle Oliver Greve. Une seconde promotion de Sea Ranger attend d’ailleurs que la Commission européenne pour l’avenir de la pêche débloque enfin les 3 millions d’euros promis pour se lancer.
En attendant, la Coopérative de pêche leur a déjà trouvé quelques contrats : Martin Saager travaille par exemple sur un projet de replantation d’herbes marines pour augmenter les zones de pontes des poissons. « Tous les pêcheurs ne pourront pas devenir guide-conférencier, cela ne marchera que pour certains. Mais aujourd’hui, le plus important est de former les jeunes pour qu’eux soient capables de le faire », conclut Christopher Zimmermann.
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