17ᵉ arrondissement de Paris, reportage
Les mains emmitouflées dans son manteau jaune, Léna Lazare se prépare à un nouveau combat. Ce vendredi 22 novembre, au petit matin, l’activiste a comparu devant le tribunal de Paris pour ne pas s’être présentée à une convocation devant une commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale.
Examinant, entre autres, les violences commises durant la manifestation contre les mégabassines à Sainte-Soline, cette instance à l’époque présidée par Patrick Hetzel (Les Républicains), l’actuel ministre de l’Enseignement supérieur, avait convoqué la militante, ainsi que Basile Dutertre, le 18 juillet 2023. Les deux porte-parole des Soulèvements de la Terre risquent deux ans d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende chacun. Fait inédit : c’est la première fois de l’histoire de la Vᵉ République que des personnes sont poursuivies pour ce motif.
Malgré les flocons de neige tombant sur le parvis du tribunal, une quarantaine de personnes sont venues leur apporter leur soutien en scandant : « Nous sommes tous les Soulèvements de la Terre. » Parmi elles, on trouvait pêle-mêle des représentants de la Ligue des droits de l’Homme, de la Confédération paysanne, des membres de Bassines non merci, ou encore, le député européen EELV David Cormand. Pour dénoncer « la vague répressive qui s’abat sur tous les mouvements sociaux » et « l’acharnement judiciaire » dont sont victimes les activistes écologistes, la députée NFP Claire Lejeune a également fait le déplacement.
Un « coup de communication politique »
Et Léna Lazare de se saisir d’un micro pour dénoncer un « coup de communication politique » de la part de Patrick Hetzel, à l’origine de la plainte. Les dés étaient, selon elle, faussés dès le départ via un « dispositif malhonnête » : « Un espace où l’on parle sous serment et où l’on n’a pas le droit de garder le silence », a avancé l’activiste.
Après l’affaire d’un lycéen accusé d’une fraude à la carte bleue, il est environ 9 heures lorsque vient le tour de Léna Lazare et Basile Dutertre — absent, lui, de l’audience. Invitée à prendre la parole à la barre, Léna Lazare, les mains croisées, s’approche du micro et souffle : « Je préfère m’en remettre à la plaidoirie de mes avocats. »
Si les deux militants ne se sont pas rendus à cette convocation parlementaire, c’est parce que les questions portaient sur des affaires judiciaires en cours, ce qui n’est pas légal dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire supposée contrôler et évaluer l’action du gouvernement, argue en préambule l’avocat des militants Raphaël Kempf. Pour lui, la manœuvre constituerait une « violation de la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire ».
Plus de 110 000 non-convoqués
Autre point soulevé par la défense : le caractère « arbitraire » de la convocation de ces deux militants se revendiquant du mouvement soutenu par plus de 110 000 personnes, et n’ayant aucune existence morale. Autrement dit, les Soulèvements de la Terre ne sont pas une association loi de 1901 mais résultent d’un mouvement spontané, sans direction officielle.
« La prix Nobel de littérature Annie Ernaux a déclaré “Nous sommes les Soulèvements de la Terre”, pourquoi n’a-t-elle pas été convoquée par cette commission ? » soulève ainsi l’avocat, qui rappelle que d’autres entités convoquées, comme la Confédération paysanne, n’ont pas comparu — sans faire pour autant l’objet de poursuites.
Son confrère, Me Matteo Bonaglia, a remis en question « l’effectivité des convocations ». « Pour pouvoir condamner quelqu’un qui n’a pas comparu, encore faut-il que cette personne ait été effectivement convoquée », grince-t-il tandis que le président Eric Vivian écarquille les yeux. Basile Dutertre est en réalité un pseudonyme utilisé par l’activiste, qui a toutefois reçu sa convocation adressée à ce nom-là.
Droit au silence
L’un des enjeux de l’audience est également de savoir si le « droit au silence » devant une commission parlementaire peut être revendiqué. Pendant les plaidoiries des avocats, la procureure trépigne et secoue la tête.
« Pour pouvoir discuter du droit au silence, encore faut-il se présenter aux convocations », a rétorqué le ministère public avant de questionner l’utilité de la manœuvre : « On estime que la création de cette commission d’enquête votée par l’Assemblée nationale est illégale, mais rejeter un tel vote sous prétexte que l’on partage une opinion contraire, c’est un déni de démocratie. »
Pour Léna Lazare, la procureure a requis deux mois d’emprisonnement assortis d’un sursis, d’une amende de 1 500 euros, et d’une privation de ses droits civiques (droit de vote, éligibilité, représentation en justice) durant un an. Basile Dutertre encourt lui une peine de quatre mois d’emprisonnements assortis d’un sursis, d’une amende de 3 000 euros, et de la privation de ses droits civiques pour une durée de deux ans.
« Quand on ne veut pas discuter avec les élus de la République, on n’est plus légitimes à exercer ses droits », a conclu la procureure devant la stupeur de la salle d’audience. La décision du tribunal sera rendue le 17 janvier 2025.