LIVRES
• Game ovaire
Pourquoi les femmes ont-elles des seins ? Comment les animaux femelles contrent-elles le harcèlement sexuel ? La testostérone rend-elle agressif ? Dans ce recueil de ses chroniques diffusées sur la RTS, la journaliste scientifique Lucia Sillig démolit avec humour un certain nombre de clichés sur le genre en s’appuyant sur les dernières études en neurosciences, biologie, zoologie ou encore archéologie. Objectif, mieux comprendre d’où viennent les inégalités femmes-hommes et comment les combattre.
Les illustrations de l’autrice sont malicieuses à souhait, on rigole à chaque page et on apprend des tas de choses curieuses et passionnantes : que ce sont les mâles hippocampes qui sont enceints, que le nombre de nerfs dans le clitoris féminin (10 000) a été extrapolé à partir d’études menées sur des vaches ou que de nombreux animaux sont homosexuels. À mettre entre toutes les mains, en particulier celles de « tonton Charles quand il rabâche que les femmes ne savent pas conduire » !
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Game ovaire — Pour en finir avec les arguments scientifiques sexistes et périmés, de Lucia Sillig, aux éditions Helvetiq, octobre 2024, 168 pages, 24,90 euros. |
• Éloge de la bartasse
Petite, mes parents m’emmenaient chaque week-end « bartasser » dans le maquis héraultais. Comprenez : se balader hors des sentiers battus. J’en garde des souvenirs boisés d’égratignures et le sentiment d’une toute-puissance enfantine. Quel plaisir donc de trouver un ouvrage faisant « l’éloge de la bartasse » ! Le livre s’adresse aux éducateurs et éducatrices en tout genre qui souhaitent tenter cette « pédagogie de l’aventure », à même de développer motricité, attention et lien à la nature. Mais ce petit guide parlera aussi à toutes celles et ceux qui, comme moi, ont les pieds qui fourmillent dès qu’elles hument l’odeur des sous-bois.
Entre témoignages et conseils pratiques, le livre fourmille de réflexions poétiques et politiques sur le hors-piste. La bartasse se dévoile finalement comme une pratique révolutionnaire, qui « agit pour l’autodétermination et l’émancipation des individus, dans un contexte inquiétant de développement d’une société de contrôle ». Alors, parez au décrochage ?
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Éloge de la bartasse, le hors sentier comme pratique pédagogique, du collectif Dynamique Sortir, aux éditions Cafard, septembre 2024, 92 pages, 12 euros. |
• Murray Bookchin ou l’objectif communocène
Père du « municipalisme libertaire » et inspirateur du mouvement des communs, Murray Bookchin (1921-2006) a aussi été un pionnier de l’écologie sociale. C’est sur cette dimension peu connue que s’appuie le sociologue Pierre Sauvêtre pour analyser l’impasse dans laquelle se trouve l’écologie politique. L’idée de « communalisme » de Bookchin, qui vise à remplacer l’État-nation par une confédération de communes organisées en assemblées populaires, contient une « politique de libération » qui « n’est pas seulement sociale, mais socioterrestre », résume Pierre Sauvêtre. De quoi fonder ce qu’il appelle le communocène, un « nouvel équilibre » remplaçant l’anthropocène (l’ère de la destruction des milieux par l’humain). Un essai accessible, qui dessine une perspective.
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Murray Bookchin ou l’objectif communocène — Écologie sociale et libération planétaire, de Pierre Sauvêtre, aux Éditions de l’Atelier, octobre 2024, 310 p., 21 euros. |
• Des corps disponibles
La contraception n’est pas seulement un éventail de solutions techniques pour éviter une grossesse ; elle façonne aussi en profondeur les relations entre les femmes et les hommes. Tel est le fil rouge de cette enquête passionnante nourrie de nombreux entretiens, dans laquelle la sociologue Cécile Thomé retrace l’histoire des techniques contraceptives depuis les années 1960.
On y découvre que la contraception a d’abord été une affaire d’hommes, valorisés par leur maîtrise du retrait, avant de devenir une charge quasi exclusivement portée par les femmes sous le contrôle des médecins. Les derniers chapitres, consacrés à la popularité croissante des méthodes dites « naturelles » basées sur l’observation du cycle et des alternatives masculines au préservatif (anneau pénien, « slip chauffant »), devraient particulièrement intéresser un lectorat écologiste et féministe. Énorme bon point, la chercheuse se garde bien de conseiller ou diaboliser telle ou telle méthode. Car, « en matière de contraception comme dans d’autres domaines, la clé, c’est d’avoir véritablement accès à la diversité ».
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Des corps disponibles — Comment la contraception façonne la sexualité hétérosexuelle, de Cécile Thomé, aux éditions La Découverte, novembre 2024, 312 pages, 23 euros. |
• Alaska
Dick Proenneke est un ouvrier américain qui, à 50 ans, a dit bye bye à la civilisation américaine et à l’industrie automobile pour rejoindre la « beauté vivante » de l’Alaska. Il y sera heureux auprès des animaux et des Amérindiens jusqu’en 1999, à l’âge de 83 ans — son Journal en témoigne.
Sac de 20 kilos sur le dos, Eliott Schonfeld est parti à pied, et en canoë, sur les traces de cet amateur de Thoreau, l’auteur de La Désobéissance civile et de Walden ou la vie dans les bois. Sa prose enthousiaste gorgée de détails nous plonge au cœur de la toundra et de forêts parcourues de caribous et autres grizzlis gourmands de myrtilles. Un beau récit immersif, qui se fait un subtil plaidoyer pour le monde sauvage.
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Alaska — Sur la piste de Telaquana, d’Eliott Schonfeld, avec photographies des lieux, aux éditions Payot, octobre 2024, 192 p, 18 euros. |
BD
• Ressources
C’est une des BD écologistes de la rentrée, et elle est réussie : la coopération entre le spécialiste des ressources et de la sobriété, Philippe Bihouix, et du dessinateur renommé dans la BD de science-fiction, Vincent Perriot, fonctionne bien. Elle permet un livre très pédagogique, qui met en valeur un aspect souvent oublié, l’intense consommation de matières qu’exige le système économique actuel. Le scénario est poussif, mais cela est compensé par le dessin attrayant et par la masse d’informations clairement présentées. Le livre annonce une mauvaise nouvelle, qui n’étonnera pas les lectrices et lecteurs de Reporterre : la « transition écologique » est tout aussi dévoreuse de ressources que le système fossile. Aller sur Mars n’est pas une solution. Le principal remède : prendre avec détermination la voie de la sobriété. On est en loin, mais cette BD aide à nous y préparer.
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Ressources — Un défi pour l’humanité, de Vincent Perriot (dessins) et Philippe Bihouix (texte), aux éditions Casterman, octobre 2024, 176 p., 28 euros. |
• Bleu pétrole
Le 16 mars 1978, le pétrolier Amoco Cadiz s’échoue sur des récifs au nord-ouest de Brest. Ses cuves déversent 220 000 tonnes de pétrole, provoquant l’une des pires marées noires de l’histoire. Si Gwénola Morizur n’était pas encore née au moment du naufrage, la scénariste de Bleu pétrole a grandi avec cette histoire. Son grand-père, Alphonse Arzel, était le maire de Ploudalmézeau, l’une des communes touchées par la catastrophe, à l’époque. Avec les dessins de Fanny Montgermont, elle raconte la lutte des habitants pour sauver leur littoral et poursuivre les responsables. Si le bleu pétrole domine, le jaune des cirés illumine les pages.
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Bleu pétrole, de Fanny Montgermont et Gwénola Morizur, aux éditions Bamboo, novembre 2024 (réédition), 88 pages, 18,90 euros. |
REVUES
• Médiacritiques
« Médias et écologie, le combat est politique » : c’est le titre de la riche journée de débats organisée le 28 septembre par Reporterre et Acrimed. Et dans sa revue Médiacritiques, l’association Acrimed, qui analyse les médias, rend compte en détail des échanges de cette rencontre : description des biais par lesquels les médias dominants (mais dominés par le capital) vident l’écologie de sa radicalité, constat de la faible place occupée par ce sujet dans les temps d’antenne (« l’écologie stagne autour de 5 % de temps d’antenne dans les médias »), récit d’écologistes confrontés à la machine médiatique (« On nous prenait pour des enfants qui ne sont pas responsables de ce qu’ils font »), pressions exercées par les lobbies et les industries sur les journalistes… Un tour complet de la question. Avec une bonne nouvelle dans un paysage envahi par les milliardaires : la presse indépendante se développe et se multiplie.
• Soif, la revue de l’eau
« L’eau, partout et invisible à la fois. » C’est partant de ce constat qu’une petite équipe de journalistes girondins s’est lancée dans un nouveau défi éditorial : produire la première revue pour « explorer l’infinité de sujets de cette thématique totale ». Dans le premier numéro, paru cet été, on trouve ainsi des portraits d’égoutiers, un reportage dans un village assoiffé de Catalogne, un entretien avec la glaciologue Heïdi Sevestre ou un article sur les munitions de la Seconde Guerre mondiale immergées dans le lac Léman. Le tout en format « mooc » — la revue étant semestrielle — accompagné de portfolios et d’un graphisme épuré. Une lecture désaltérante !
• Brasero N°4
Avec ce 4e numéro, Brasero poursuit sa salutaire « contre-histoire », en explorant les marges et les zones d’ombre de l’histoire mondiale. Richement illustrés (photos, dessins originaux…), enlevés, émouvants, parfois drôles, une vingtaine de textes croquent des personnages emblématiques étonnants, tels la « voyante collabo de Vichy », les audacieux de l’Association des estropiés français, ou éclairent notre présent chaotique : ainsi la critique du fascisme, par Charles Reeve, le récit de la révolte des luddites bretons, ou l’histoire d’une communauté allemande en quête de formes communautaires émancipatrices. Une oasis dans notre morne actualité.
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Brasero, revue d’anti-histoire, aux éditions L’Échappée, N°4, novembre 2024, 200 p., 22 euros. |
THÉÂTRE
• Nocebo
Sur scène, à la croisée du théâtre et du stand-up, Hervé Guerrisi et Gregory Carnoli interrogent un futur plombé par les récits fatalistes et la morosité : effondrement inévitable, montée de l’extrême droite… Pourquoi rêver, construire ou résister ? S’inspirant du « nocebo », ce phénomène où la peur crée le mal qu’elle redoute, ils montrent que l’imaginaire est une arme puissante. En façonnant d’autres récits, ils ouvrent une brèche dans le déterminisme ambiant et invitent à réinventer un futur désirable. Avec humour et sensibilité, une réflexion collective, essentielle et urgente, prend vie dans cette pièce audacieuse et lumineuse.
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