Bakou (Azerbaïdjan), reportage
Ce n’est qu’aux alentours de 3 heures du matin, le 24 novembre, dans une précipitation sujette à la controverse, que s’est abattu le coup de marteau fatidique. Par ce geste, Mukhtar Babayev a scellé un accord financier d’au moins « 300 milliards de dollars » annuels pour aider les pays les plus vulnérables à affronter la crise climatique.
Aussitôt terminée la théâtrale accolade avec le Secrétaire chargé du climat aux Nations Unies, des dizaines d’États ont crié leur écœurement face à ce texte « néocolonialiste », acté par les pays riches « sans consensus ». Une série d’interventions indignées, contée par Reporterre, et trahissant plus que jamais le fossé séparant les nations du Nord et celles du Sud.
Immergé dans les coulisses du sommet, notre journaliste décrit les vingt-quatre heures ayant précédé ce fiasco total.
« Je pensais que c’était fini ! »
Quelle morose atmosphère que celle des prolongations d’une COP en perdition. Le 23 novembre, à l’aube, finie l’ébullition coutumière et l’accueil ô combien chaleureux des bénévoles aux polos turquoise. Ici et là, des ouvriers s’attaquaient déjà à démanteler le mobilier éphémère, emportant avec eux les fontaines à eau, celle coulant des robinets n’étant pas potable.
Les food trucks, eux aussi, affichaient porte close. À l’exception d’une échoppe servant des cafés à 5,65 euros : « Avez-vous un truc à manger ? » La moue compatissante, le serveur sortit d’une caisse en plastique un paquet de baklavas.
Plus cocasse encore : l’approvisionnement en papier toilette a pris fin. Tant pis pour les centaines de journalistes, presque seuls à fourmiller dans les couloirs vides du stade olympique… Il ne fallait pas choisir ce métier.
Côté négociation, pas grand-chose à se mettre sous la dent. La veille, l’ultime brouillon d’accord final avait été accueilli par un tollé mémorable. La proposition de 250 milliards de dollars, à verser chaque année aux pays en développement pour les aider à affronter la crise climatique, n’avait pas séduit. Les besoins étant quatre à cinq fois supérieurs à cette offre, d’après un consensus d’experts.
Alors, les négociateurs s’étaient cloîtrés en coulisses, à l’abri des micros. Et avait débuté une interminable traversée du désert : « C’est très très flou, avait glissé une observatrice. Je croyais que c’était fini… » Jusqu’à ce qu’apparaisse, sur l’écran bleu, l’espoir d’une libération : la programmation de la plénière de clôture, à 20 heures.
« Pays en développement, tenez bon »
En attendant que tombe la nuit, une poignée d’activistes restés sur le pied de guerre accompagnaient la COP dans ses ultimes battements. « L’Empire dévoile son vrai visage. Celui qui continue à assassiner, à détruire nos terres », avait hurlé a cappella l’écoféministe colombienne, Gina Cortés Valderrama. « Pays en développement, tenez bon. Restez unis. Ne partez pas avec un mauvais accord. Obtenez-en un meilleur », abondait Haneen Mahmoud Ali Hamed, militante de la branche arabe du Climate Action Network.
Principale cible de la société civile ? L’administration de Joe Biden. « Quinze jours durant, les États-Unis ont tenté d’intimider, de diviser, pour n’offrir à l’arrivée que des centimes là où nous avons besoin de trillions, bouillonnait Asad Rehman, figure britannique du mouvement écologiste. Ce comportement n’est possible que grâce à la complicité du Royaume-Uni et de l’Union européenne. Tous savent ce qu’il se trame, mais restent silencieux. »
Claquement de porte
À mesure que défilaient les heures, certains diplomates avaient laissé éclater leur frustration et avaient claqué la porte des négociations. « Nous sommes constamment insultés par le manque d’inclusion », s’est agacé Cédric Schuster, le président samoan de l’Alliance des petits États insulaires. La Somalie, le Yémen, le Bangladesh et 43 autres délégations unies sous la bannière des « pays les moins avancés » (PMA) s’étaient aussi retirés des discussions. Tout comme Malcom Bryan Stufkens Stelgado, négociateur en chef du Honduras, ayant quitté la salle sur les coups de 19 heures : « Il ne se passe rien là-dedans, avait-il lâché à la presse. On dirait bien qu’une longue nuit se prépare. »
À 20 heures, la présidence avait convoqué l’assemblée. Dans la file d’attente de la plénière « Nizami », journalistes et observateurs se disputaient les quelques places. Certains restèrent sur le carreau. Des chaises vides, pourtant, il y en avait quelques-unes. Celles de délégués de nations précaires n’ayant pu déprogrammer éternellement leur billet d’avion retour. Pour qu’une décision finale puisse être prise, au moins deux tiers des États doivent être présents.
Quelques jours plus tôt, à Cali (Colombie), les pourparlers de la COP16 Biodiversité avaient été interrompus au petit matin, le quorum ayant été perdu. La date d’un sommet intermédiaire, à Bangkok, a alors été fixée pour clore les questions cruciales en suspens. Le raout azerbaïdjanais allait-il déboucher sur pareil scénario, et l’annonce d’une future « COP29 bis » ? « Les yeux du monde sont braqués sur nous, a entamé Mukthar Babayev, président de la grand-messe. Malheureusement, le temps ne joue pas en notre faveur. »
Bien loin de libérer l’hémicycle de son insoutenable tension, le maître du jeu débutait la récitation d’éléments procéduraux, appelant ses collègues à se référer aux paragraphes 2(h), 2(b), 8(b-h), etc. Un jargon incompréhensible, et terriblement ennuyeux. « En l’absence d’objection, il en est décidé ainsi », tranchait-il d’un coup de marteau, toutes les trente secondes. D’ordinaire, cet interminable exercice est mené une fois le texte principal adopté… pour éviter que les journalistes ne s’endorment en cours de route.
Indignation du Sud
Fallait-il y lire le signe annonciateur d’une COP sans accord ? Une chose est sûre : une fois approuvé un paragraphe traduisant noir sur blanc l’expression d’une profonde gratitude à l’Azerbaïdjan pour son accueil — non, ce n’est pas une blague — Mukthar Babayev a subitement levé la séance, avant de disparaître sous les grognements contagieux d’un public impatient d’en finir.
Des heures durant encore, de petits clans de diplomates ont bataillé ici et là, loin des oreilles indiscrètes de la presse. Seule à son bureau, une négociatrice de l’Arabie saoudite pianotait sur son smartphone, une bulle de chewing-gum éclatant de temps à autre entre ses lèvres.
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