La COP29 s’est terminée par un accord dérisoire face à l’urgence climatique, mais aussi par un paradoxe embarrassant : l’aéroport de Bakou a accueilli deux fois plus de jets polluants qu’à l’accoutumée. Tel est le résultat de notre enquête, réalisée avec le collectif Mémoire vive, sur les deux semaines de la COP29 en Azerbaïdjan. TotalEnergies, Gazprom… Ces jets privés sont principalement utilisés par des entreprises pétrolières, des milliardaires et des gouvernements peu enclins à limiter leurs émissions.
Pour obtenir ce chiffre, nous avons travaillé avec Mémoire vive : ce collectif à l’origine du compte L’avion de Bernard qui recensait les vols du milliardaire, utilise les données pour rendre visibles des injustices sociales et écologiques. Cette enquête retrace les vols de jets privés atterris à Bakou entre le 8 et le 24 novembre, soit 150 jets privés contre 66 à la même période l’an dernier, marquant une augmentation de 127 %. C’est-à-dire qu’ils ont plus que doublé.
Lors de la première semaine du sommet, durant laquelle se déplacent des chefs d’États et les élites économiques mondiales, le nombre de vols en jets privés avait quasiment été multiplié par quatre, comme l’avait montré la première partie de notre enquête.
Alors que 2024 s’annonce comme l’année la plus chaude jamais enregistrée, le sommet mondial sur le climat illustre un paradoxe criant : les responsables de la crise climatique y convergent à bord des moyens de transport les plus polluants.
Parmi ces vols, nombre d’entre eux sont le fait d’avions en leasing [1] ou de location, permettant à certaines personnalités de dissimuler leur identité et de masquer l’ampleur de leurs déplacements en jet privé.
Les émissions annuelles de plus de 700 Français
L’explosion du trafic aérien autour de Bakou durant la COP29 a généré des émissions massives de gaz à effet de serre. Les vols recensés pendant cette période ont émis près de 5 760 tonnes de CO₂ au total. Pour donner une idée de l’ampleur de cette quantité, ces émissions équivalent à celles générées en une année par 702 Français moyens. Ces chiffres ne prennent en compte que les trajets finaux vers Bakou, excluant les éventuelles escales ou vols de retour, ce qui rend l’empreinte réelle encore plus lourde.
Pour rendre compte des effets globaux de ces trajets aériens sur l’atmosphère, notre enquête a appliqué un facteur multiplicateur aux émissions de gaz à effet de serre des jets, prenant en compte le phénomène de « forçage radiatif ». Ce dernier amplifie l’effet réchauffant des avions en altitude, notamment via la formation de trainées de condensation. Selon l’Ademe, 1 kilogramme de CO2 émis en altitude a donc un effet réchauffant double, voire triple, de celui émis au sol.
La carte prend en compte la fin des trajets, après une escale éventuelle. Il est possible de se déplacer sur la carte avec deux doigts sur mobile, de zoomer-dézoomer et de cliquer sur un vol pour voir les détails de son empreinte carbone.
Parmi les participants en jet privé, les émissaires des géants des énergies fossiles figurent en première classe. Le Boeing de Saudi Aramco, la plus grande compagnie pétrolière au monde, a notamment été repéré lors de la première semaine. En 2019, ce géant saoudien du pétrole a émis 1,93 milliard de tonnes de CO2, plus de quatre fois les émissions annuelles de la France cette année-là. ExxonMobil, autre acteur majeur du pétrole, a également été aperçu avec son Gulfstream G650ER, quelques jours après une opération de greenwashing consistant à appeler Donald Trump à maintenir les États-Unis dans l’Accord de Paris pour la réduction des émissions globales. La deuxième semaine, la firme russe Gazprom, considérée comme l’une des trois plus grandes criminels climatiques au monde, a également dépêché un avion privé.
Les dirigeants d’autres multinationales, comme Shell, sont venus à bord de leur Dassault Falcon 8X. Le magnat australien Andrew « Twiggy » Forrest, patron du Fortescue Metals Group, grand extracteur de fer, a lui aussi fait route vers Bakou dans son jet personnel.
Quant à TotalEnergies, c’est à bord d’un Bombardier Global 5000 que ses dirigeants ont rejoint le sommet. Le vendredi 15 novembre, au lendemain de son atterrissage, son PDG Patrick Pouyanné participait à un « déjeuner d’affaires » sur la réduction des émissions de méthane — bien que les fuites de méthane aux États-Unis, imputées à TotalEnergies, restent massives et mal contrôlées, comme l’ont récemment révélé deux ONG et le média français Disclose.
En dépit de son engagement affiché lors des COP, TotalEnergies refuse de freiner ses activités d’exploitation fossile et prévoit une croissance annuelle de sa production de 3 % jusqu’en 2030, piétinant les recommandations de l’ONU, qui prône une réduction de 4 % et de 3 % de la production mondiale de pétrole et de gaz, chaque année, pour limiter le réchauffement global des températures à + 1,5 °C.
De nombreux chefs d’État, notamment ceux des États-Unis, de la France et du Brésil, ne se sont pas rendus à Bakou, pour diverses raisons diplomatiques. Mais des dirigeants de nombreux États pétroliers et de gouvernements populistes de droite, souvent hostiles aux régulations écologiques, y sont allés en force. Parmi eux, des représentants de l’Arabie Saoudite, de la Turquie, du Qatar et de la Hongrie, ont répondu à l’appel du président Aliyev. L’autocrate azerbaïdjanais a été l’hôte de ce sommet où les intérêts fossiles ont continué d’éclipser les objectifs climatiques.
Plus surprenant, Reporterre et Mémoire vive ont également repéré le jet Embraer Legacy 650 de Ronaldinho, l’un des plus grands footballeurs de tous les temps, invité de la COP29. Il s’est notamment affiché aux côtés de Rovshan Najaf, président de la Fédération de football d’Azerbaïdjan… et dirigeant de la compagnie pétrolière nationale. Le Brésilien, entre Bakou et d’autres escales, a accumulé près de 7 200 kilomètres de vol en trois jours, laissant dans son sillage 70 tonnes de CO2.
Les jets privés demeurent l’un des modes de transport les plus polluants. Selon l’ONG Transport & Environment, un passager en jet émet jusqu’à 14 fois plus de CO2 qu’un passager de ligne commerciale, et jusqu’à 50 fois plus que le passager d’un train. D’après une étude publiée le 7 novembre dans la revue Communications Earth & Environment, affiliée à Nature, l’usage de ces appareils, désormais banalisé chez les élites économiques, a bondi de 46 % entre 2019 et 2023.
En 2023, les jets privés ont émis autant de CO2 que près de trois millions de Français, alors que leurs utilisateurs représentent seulement 0,003 % de la population adulte mondiale. Ironiquement, tous les participants accrédités à la COP29 disposaient d’un accès gratuit aux transports en commun de Bakou.
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