Angers (Maine-et-Loire), reportage
Salade de lentilles, tarte butternut/cheddar et fromage blanc bio et local de la Maison Gaborit. Ce pourrait être le menu d’un salon de thé tendance affiché sur les réseaux sociaux. C’est celui de la cantine des petits Angevins du vendredi 8 novembre. La métropole d’Angers s’est engagée dans une restauration collective vertueuse, Papillote et Compagnie : bonne au goût, bonne aussi pour la santé et la planète. Ici, les cantines sont sans plastique. Un défi de taille, alors que les cuisiniers préparent chaque jour 14 000 repas.
Ce choix politique, fait en 2017, s’est concrétisé avec l’ouverture à la rentrée 2022 de la cuisine centrale, un bâtiment de 3 000 m2 imaginé comme la « première cuisine zéro plastique de France ». Soit la première à avoir opéré sa transition. Dans les faits, il a fallu remplacer les barquettes en plastique qui permettaient de transporter les repas dans les 121 cantines de l’intercommunalité par des bacs en inox.
Inox, verre…
Pour comprendre la démarche, il faut remonter en 2017. Les élus de la métropole ont alors décidé de transformer le vieillissant établissement public angevin de restauration collective (Éparc), cogéré depuis les années 1990 par le géant Sodexo, en une société publique locale (SPL). « La première fois que j’ai rendu visite à un producteur local, j’y suis allée avec Sodexo. Il m’a prise à part et m’a demandé pourquoi on avait besoin d’un intermédiaire. Un changement de pratiques était nécessaire », raconte la directrice, Sophie Sauvourel, arrivée en 2018.
Dès 2019, toutes les communes remplaçaient la vaisselle des écoliers en polycarbonate par du verre ou de l’inox (pour les pichets d’eau). En 2020, la société a fait le tour des fournisseurs européens d’inox pour imaginer des contenants nouvelle génération, moins lourds et garants de la sécurité alimentaire. Un seul a décidé de s’associer : l’industriel français Matfer Bourgeat.
« Ces formats n’existaient pas, nous avons dû inventer ensemble ce dont nous avions besoin », dit Pauline Vernin, arrivée dans l’entreprise en 2018 au poste de responsable qualité. Soit un système en inox avec valve (décompression) et « pschitt » d’air à l’ouverture, qui permet de vérifier que le plat n’a pas subi de détérioration pendant le transport. « Le projet commençait à se dessiner, ça m’a plu », résume celle qui a ensuite mené la transformation « zéro plastique ».
Pendant la campagne des municipales de 2020, Christophe Béchu, maire d’Angers et futur ministre de la Transition écologique, a annoncé la construction d’une nouvelle cuisine, avec les promesses de zéro plastique, de 80 % de produits locaux et de 50 % provenant de l’agriculture biologique en 2030 [1]. Bien plus que les 20 % de bio fixés par la loi Égalim pour 2022.
La première pierre a été posée en 2021. Les salariés ont participé aux débats pour imaginer le futur circuit de cuisine. Avec la disparition du plastique, la logistique a pris une place gigantesque : les contenants livrés pleins dans les cantines doivent être récupérés et lavés. Cette « reverse logistique » (18 000 contenants au total !) a imposé la construction d’un tunnel de lavage et ajouté 30 % de kilomètres à la tournée des livreurs. Dans la salle des marmites, de nouvelles machines scellent les plats avant refroidissement. Auparavant, le film plastique laissait voir la composition. Désormais, les valves indiquent la contenance : verte pour l’accompagnement, rouge pour le plat protidique, jaune pour l’entrée…
Les équipes ont dû s’adapter. Pour Marie-Claude Leselle, chargée du conditionnement, « c’est génial ! Pour l’hygiène, c’est mieux parce que les barquettes de plastique étaient grasses et moins faciles à manipuler : elles se tordaient sous l’effet de la chaleur. Et ça va plus vite que les étiquettes », dit-elle en mimant le geste répétitif de coller les étiquettes sur chaque plat.
« La question de la traçabilité est très importante en restauration collective, détaille Pauline Vernin. Chaque plat doit comporter toutes les informations (nom du plat, date, allergènes, lieu de fabrication et de consommation). Nous avons décidé de supprimer les étiquettes, qui contiennent solvants et plastique, pour une impression jet d’encre sur l’inox. » Les machines adaptées ont été construites en Vendée avec l’équipementier Mecapack.
-53 % de gaspillage en quatre ans
Le projet de réduction du plastique (34 tonnes évitées par an) s’accompagne d’une transition globale. Les conditionnements des approvisionnements ont été revus avec les fournisseurs. « Les légumes sont préparés par les salariés d’un Esat local [établissement et service d’accompagnement par le travail] : ils les épluchent et livrent en sacs de 10, 5 ou 2 kg pour s’ajuster au plus près de nos commandes », explique Pauline Vernin.
Papillote et Compagnie achète pour plus de 3,5 millions d’euros de produits alimentaires par an, un montant qui permet de négocier avec les fournisseurs pour adapter les produits aux besoins (diminution du suremballage, passage au bio, seaux de fromage blanc réutilisables…).
Dans les cantines, les agents de restauration ont aussi changé leurs pratiques : les enfants peuvent goûter et demander une demi-portion avant de revenir s’ils le souhaitent. « En quatre ans, nous avons diminué le gaspillage de 53 % », dit la directrice. Les déchets sont pesés afin de pouvoir tenir les statistiques. Le local poubelle dispose aussi de quinze filières de tri. La dernière en date : le recyclage des équipements individuels de protection. Les biodéchets sont eux compostés par une plateforme et épandus chez des maraîchers bio du territoire.
La cuisine centrale a également été conçue pour limiter le gaspillage des ressources : le premier lavage fonctionne en circuit fermé et le bâtiment est équipé d’une station de filtration des eaux. Le système d’aspiration d’air (les hottes) dispose de capteurs pour se déclencher au besoin. Le système de froid fonctionne au CO2 : « Les fluides frigorigènes sont très polluants, avec un pouvoir de réchauffement global de 2 000, contre seulement 1 pour le CO2 », explique Pauline Vernin.
La directrice adjointe ne cache pas les dangers de ce système, mais montre l’alarme, installée à côté de la chambre froide. Elle évoque aussi les risques de troubles musculo-squelettiques accrus avec le passage à l’inox, plus lourd, mais détaille les aménagements opérés (bacs plus petits, chariot roulant, machine de découpe à hauteur…).
« Contrairement aux géants de la restauration collective, nous n’avons pas d’actionnaire à qui reverser des dividendes, dit Sophie Sauvourel. Le passage à l’inox a généré un surcoût de 0,15 centime par repas, mais le but, pour nous, est d’être à l’équilibre, et d’assurer chaque jour les repas de 14 000 enfants. »
« Pour certains, c’est le seul repas équilibré de la journée », renchérit Laura Mesnage, une des cheffes, embauchée après une première vie dans la cuisine semi-gastronomique. « Avec trois enfants, je voulais des horaires fixes, et je ne suis pas déçue. On cuisine vraiment : c’est du frais, préparé sur place, même les fonds de sauce », dit-elle, concentrée sur la préparation de nouveaux houmous de betterave et de courgette et d’un cake amande-miel, qui se retrouveront bientôt sur les plateaux des selfs, si la direction et le groupe des petits goûteurs valident ces recettes.
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