le ministre de la Pêche éclaboussé


29 novembre 2024 à 12h52

Durée de lecture : 4 minutes

Prise illégale d’intérêts, détournement de fonds publics, recel et blanchiment… Le mégaprojet Ker’Oman fait l’objet d’une enquête préliminaire menée par le parquet national financier (PNF). Mardi 26 novembre 2024, les enquêteurs ont effectué plusieurs perquisitions à Lorient (Morbihan), notamment dans les locaux de la SEM Keroman, société au cœur des soupçons des enquêteurs. Cette affaire met en cause des figures majeures de la politique locale et nationale, parmi lesquelles Fabrice Loher, ministre de la Mer et de la Pêche et maire de Lorient. 

Révélée par Le Télégramme, ces perquisitions constituent un nouveau rebondissement pour le projet de construction d’un port international à Duqm, au sultanat d’Oman, pays de la péninsule arabique. Initié pour diversifier les activités du port breton, ce projet est porté par la SEM Keroman, une société mixte majoritairement détenue par Lorient Agglomération.

Cette collectivité est présidée par Fabrice Loher, qui a également nommé Olivier Le Nézet, patron de la pêche française, à la tête de la SEM« À ce stade, les questionnements sont importants et graves », réagit Damien Girard, député Les Écologistes et élu d’opposition à la mairie de Lorient. « Le parquet national financier doit considérer le sujet suffisamment important pour venir à Lorient. »

Outre les questions judiciaires, ce projet a déjà suscité des critiques écologiques et économiques : il s’agirait en effet d’importer des tonnes de poissons d’Oman pour alimenter la criée de Lorient, par avion-cargo ou par bateau…

Un élu… entré au capital de la SAS

L’enquête du PNF s’appuie sur un signalement effectué par l’association Anticor Morbihan en janvier 2024. Parmi les principaux points soulevés figure le cas de Freddie Follezou, ancien vice-président de Lorient Agglomération chargé du développement économique.

Trois mois après sa démission en 2020 « pour raisons personnelles », Freddie Follezou est entré au capital de la SAS Ker’Oman, une société créée pour investir dans le projet au sultanat. Or, selon la loi, un élu ne peut s’impliquer financièrement dans un projet qu’il a supervisé dans un délai de trois ans suivant son départ.

« Cela m’a fait soupçonner une prise illégale d’intérêts et un détournement de fonds publics », dit Stéphane Bigata, coréférent d’Anticor 56. « Je l’ai signalé au procureur de Lorient dans l’espoir qu’il dénoue l’ensemble de l’affaire ».

Si Freddie Follezou a réfuté ces accusations dans la presse locale, cette anomalie s’ajoute à d’autres irrégularités suspectées par Anticor. L’utilisation de prêts remboursables alloués au projet par Lorient Agglomération (475 000 euros) et la région Bretagne (250 000 euros) notamment. « Les organismes publics ont aidé à remporter le marché et dans la configuration actuelle, le bénéfice ira au privé », fait savoir à Reporterre une autre source proche du dossier.

De son côté, Damien Girard confirme : « La collectivité locale n’a pas pour ambition de servir de marchepied à l’enrichissement de particuliers à l’autre bout de la planète. Il n’y a aucun intérêt pour le territoire de Lorient à investir là-bas ».

Le ministre de la Pêche signalé par Anticor

Les rôles cumulés d’Olivier Le Nézet et Fabrice Loher dans cette affaire interrogent. Président de la SEM Keroman et cumulant 24 mandats, dont celui de patron du puissant Comité national des pêches, Olivier Le Nézet est aussi « salarié » de Lorient Agglomération, présidée par Loher.

En 2020, Fabrice Loher a nommé Le Nézet à la tête de la SEM Keroman, lui permettant d’occuper des fonctions stratégiques dans la gestion du port. Tous deux figurent parmi les huit personnes visées par le signalement d’Anticor, aux côtés de Freddie Follezou et de membres du conseil d’administration de la SEM

« Fabrice Loher devrait démissionner »

« La confiance n’est plus là. Fabrice Loher devrait démissionner », estime David Le Quintrec, pêcheur de Lorient et président de l’Union française des pêcheurs artisans. Sur X, il n’a pas hésité à qualifier la situation de « mafia lorientaise ». Fabrice Loher, sollicité par Reporterre, n’a pas répondu à nos questions. Dans un communiqué, il a toutefois indiqué « prendre acte de la perquisition » menée par le PNF, et a déclaré souhaiter « que le recueil d’informations se déroule dans la plus grande transparence », dans le journal Ouest-France.

Le projet Ker’Oman, censé dynamiser l’économie maritime bretonne, semble aujourd’hui en eaux troubles avec ces controverses politiques, écologiques et judiciaires.

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