Le Share Friday face au Black Friday. Face à la frénésie du « vendredi noir » — en 2023, 2 Français sur 3 ont profité de cette journée pour réaliser des achats, majoritairement auprès des géants de l’e-commerce — des initiatives plus responsables émergent. Parmi elles, le Share Friday : « moins consommer, mieux partager ! », lancée par vingt entreprises de consommation collaborative, dont Home Exchange, Geev et Bene Bono. Partage, échange, troc, location ou vente d’objets d’occasion : l’idée est d’éviter l’achat d’objets neufs.
Mais d’après Florence Benoît-Moreau, chercheuse en consommation responsable et maîtresse de conférences à l’Université Paris-Dauphine, il est nécessaire de déconstruire les mythes autour de l’économie collaborative. « Collaboratif, c’est très positif, on a l’impression qu’on est dans une société plus solidaire. Il est crucial de sortir de cette vision idéalisée », dit-elle à Reporterre. Elle a réalisé en 2017 avec Béatrice Parguel, chercheuse également, une étude sur la consommation collaborative.
Il serait cependant trompeur de considérer l’ensemble de la consommation collaborative comme un bloc homogène. Toutes les initiatives ne se valent pas. « On y trouve des entreprises qui souhaitent seulement faire du profit et d’autres bien intentionnées… qui provoquent tout de même des effets rebonds », avertit la spécialiste de la consommation responsable.
Initiatives vertueuses
Prenons les dons entre particuliers par exemple, comme propose l’application Geev. Ces derniers s’éloignent des logiques marchandes. « Il n’y a pas d’intérêt économique à donner, seulement psychologique », explique la chercheuse. D’après un rapport de l’Ademe en 2016 (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), les motivations écologiques sont prédominantes uniquement pour les plateformes non lucratives comme celles dédiées au don. « Notre vocation est le réemploi » explique à Reporterre Carole Fouquet, la directrice marketing de l’application. Pourtant, seulement 30 % des dons sur Geev évitent l’achat d’un objet neuf, selon cette dernière.
Pour les initiatives antigaspillage alimentaire, même payantes, le bénéfice est clair. Bene Bono, par exemple, vend des « bons produits » dont des fruits et légumes invendus à prix réduit. « Sur l’alimentaire qui est un bien périssable, l’initiative est toujours vertueuse car l’alternative serait d’avoir perdu le bien », souligne Florence Benoît-Moreau.
La location, elle, offre des avantages différents. Louer un costume de qualité pour un mariage permet de soutenir des filières locales et de réduire l’empreinte écologique. « C’est une alternative intéressante à la possession », note Florence Benoît-Moreau. « La location permet de tester un produit avant de l’acheter, réduisant les achats impulsifs et inutiles. »
Effets rebond
Un objet acheté d’occasion aurait-il été acheté neuf sans cette possibilité ? De même, vendre un bien devient-il un prétexte pour le remplacer plus rapidement ? D’après Florence Benoît-Moreau, la consommation collaborative peut renforcer l’envie d’acheter. « Vous avez une espèce d’opportunité, qui est d’avoir un produit en plus, pour vraiment pas cher », explique-t-elle. « On peut acheter quatre articles pour le prix d’un, le tout en seulement trois clics, livrés chez nous. » Les consommateurs ressentent une satisfaction accrue de posséder un nouveau bien, tout en faisant une bonne affaire.
Lire aussi : S’habiller écolo ? Pas sur Vinted
« Les vêtements, notamment, cumulent tous les défauts. On peut les stocker facilement, ils ne demandent pas d’entretien et sont liés à l’image sociale », analyse la chercheuse. Ces caractéristiques favorisent des comportements compulsifs et aggravent les effets néfastes de l’industrie textile, deuxième plus polluante au monde. Le fait de vendre son bien demande un effort (photo, mise en ligne, envoi…), cela « aide parfois à prendre conscience que l’on génère beaucoup, ça invite à une forme d’introspection », nuance Florence Benoît-Moreau.
Ce mécanisme s’accompagne d’un « effet rebond » : les économies réalisées encouragent souvent d’autres dépenses. D’autant que ces plateformes provoquent une forme de « bonne conscience écologique » selon la chercheuse. Elles déculpabilisent les utilisateurs qui ont le sentiment d’avoir le droit de se faire plaisir.
« Cela a un effet d’aubaine »
Autre exemple : l’échange de maisons entre particuliers, proposé par Home Exchange — l’entreprise à l’initiative du Share Friday. « Cela a un effet d’aubaine car l’échange de maison ne génère aucun coût [bien que l’inscription au site ait un prix]. Ça incite à multiplier les voyages, ce qui a un impact écologique », explique Florence Benoît-Moreau. La responsable presse d’Home Exchange France souligne toutefois que « 63 % des voyages réalisés via ces échanges restent locaux ou nationaux ».
Vers un nouveau rapport aux biens matériels ?
Pour maximiser leurs effets positifs, les plateformes collaboratives doivent, selon Florence Benoît-Moreau, « dépasser la simple déculpabilisation et sensibiliser aux conséquences environnementales ». Des outils éducatifs, comme des compteurs de consommation, pourraient être mis en place. Ainsi, comme le propose la chercheuse, les consommatrices et consommateurs pourraient recevoir un message : « Attention, vous avez acheté trois paires de chaussures ces derniers temps. »
Cependant, ces pratiques ne suffiront pas à transformer nos modes de vie, et les politiques doivent prendre le relai. En octobre dernier, la commission des finances de l’Assemblée nationale a ainsi adopté un amendement au projet de loi de finances 2025 qui assujettit les locations de type Airbnb au paiement de la TVA. « Des mesures publiques, comme la taxe appliquée sur AirBnb pour des raisons de concurrence, pourraient être mise en place sur les échanges de maisons notamment, qui entraînent des déplacements. Une taxe environnementale pourrait encourager des choix plus réfléchis », propose Florence Benoît-Moreau.
LES RAVAGES DU BLACK FRIDAY
Grand rendez-vous annuel des bonnes affaires, le Black Friday s’impose chaque année comme un symbole de la surconsommation. En 2022, selon une étude sur près de 9 000 Européens, les foyers accumulent en moyenne treize appareils électroniques inutilisés. Selon un sondage Ipsospour Le Dénicheur, les Français prévoient de dépenser 233 euros en deux jours (Black Friday et Cyber Monday).
legende