Une joie méconnue, par Emmanuel Burdeau (Le Monde diplomatique, décembre 2024)


Boris Barnet, né à Moscou en 1902, a été boxeur, acteur et cinéaste. Il réalise une poignée de chefs-d’œuvre — La Jeune fille au carton à chapeau (1927), Okraïna (1933), Au bord de la mer bleue (1936)… —, traverse tant bien que mal la guerre et l’après-guerre, et offre encore des merveilles — Le Lutteur et le Clown (1958), La Petite Gare (1963), deux ans avant sa mort. Aussi admiré que méconnu, ce n’est qu’en 1992 qu’une rétrospective lui est consacrée en Russie. Ce parcours appelait un historien à la hauteur de ses enjeux (1). Russophone, Bernard Eisenschitz a effectué là-bas plus d’un voyage. Il avance vite et semble tout connaître, sans que jamais son érudition n’abîme sa passion. Plusieurs livres se mêlent dans cette somme riche en informations inédites. Il y a l’histoire d’un amoureux de la vie peu versé dans la politique, préférant la comédie à la théorie, tourné vers l’acteur et vers ce qui, au tournage, va contre le scénario. Il y a l’aventure de cette modernité soviétique pour qui le cinéma fut un « œil qui voit mieux que l’œil », avec ses appareils, ses disputes et ses héros, de Lev Koulechov à Sergueï Eisenstein. Et puis il y a l’histoire d’Eisenschitz, de la Cinémathèque d’Henri Langlois à La Nouvelle Critique, jusqu’à ses nombreuses monographies — la plus récente est consacrée à Otar Iosseliani (2) —, qui court en filigrane mais que seules dévoilent les dernières pages : elle n’est certainement pas anodine.

(1Bernard Eisenschitz, Boris Vassilievitch Barnet, Les Éditions de l’Œil, Montreuil, 2024, 448 pages, 40 euros.

(2Bernard Eisenschitz, Un merle chanteur. Amitié avec Otar Iosseliani, Les Éditions de l’Œil, 2024, 64 pages, 12 euros.



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