Pas de boule de cristal, mais beaucoup d’imagination et un peu de clairvoyance. C’est la recette du « design fiction », cette capacité à la prospective qui devient précieuse dans une société anxieuse où le rêve vient à manquer, que ce soit pour se projeter ou se protéger. Et si vous pouviez en faire votre métier ?
Minority Report, Le meilleur des mondes, 1984… Plus récemment, Black Mirror, Dune, Panorama. En livre, en série ou en films, les fictions ne manquent pas et elles ont toujours eu le pouvoir de donner des idées, d’inspirer, d’encourager. Souvent, elles sont perçues autrement que comme du divertissement. En juxtaposant des éléments réalistes à de l’imaginaire, elles offrent une autre perspective sur ce que l’on connaît déjà, en le confrontant à ce que nous ne connaissons pas encore. Cela leur donne une dimension prospective, a priori fictive, qui a tout de même un impact tangible sur le réel.
La Red Team Defense en ligne de front
Ainsi, quand le ministère des Armées fait appel à des auteurs de science-fiction pour mieux se préparer à l’avenir de notre société, cela donne des scénarios hauts en couleurs. Fondée en 2019, la Red Team se fait aujourd’hui forte d’une dizaine d’auteurs, dessinateurs et designers, à l’origine de quatre saisons prospectives.
« La ruée vers l’espace » et « Face à l’Hydre » sont les deux derniers scénarios imaginés par la Red Team, publiés en 2023. Le premier nous projette dans un univers de conflits liés à la conquête de l’espace ; le second dans un monde où n’importe qui peut apprendre n’importe quoi instantanément grâce à l’implantation d’une puce. Toute ressemblance avec des univers ayant, ou n’ayant pas encore existé, n’est évidemment pas fortuite.
C’est là toute la mission de la Red Team, telle qu’ils la dérivent sur leur site Internet : « Imaginer les menaces pouvant directement mettre en danger la France et ses intérêts. » Pour cela, les auteurs travaillent de pair avec plus d’une cinquantaine d’experts scientifiques et militaires, considérant dans leur réflexion « les aspects technologiques, économiques, sociétaux et environnementaux de l’avenir qui pourraient engendrer des potentiels de conflictualités à horizon 2030 – 2060. »
Les récits imaginés, quand ils ne sont pas confidentiels, sont accessibles sur le site de la Red Team à travers des parcours interactifs et immersifs. Une manière d’accorder à la prospection, à l’innovation et à l’imaginaire une place de choix dans notre rapport à la société. Et l’armée n’est plus seule à concevoir la fiction comme une future réalité : aujourd’hui, le « design fiction » est devenu un métier.
Répondre présent pour le futur
Comme l’explique The Conversation dans un article publié le 22 septembre 2024, les entreprises recherchent désormais des scénaristes ou des designers capables de « mobiliser la science-fiction pour projeter de potentiels futurs ». C’est là tout l’enjeu du métier : refaire le monde, comme qui dirait, rêver réalité.
Il s’agirait de « concevoir des fictions », de « mobiliser des imaginaires pour entrevoir des futurs souhaitables ». Et ces compétences sont attendues dans diverses structures telles que la maison Hermès, la MATMUT ou encore la Région Normandie. Outre les potentiels conflits imaginés par l’armée, le futur nous réserve certainement bien d’autres surprises. L’environnement, la culture et la technologie, entre autres, sont autant de sujets qui peuvent nous intéresser pour dessiner la société de demain. Et ce n’est pas forcément pour penser transhumanisme ou fin du monde. Au contraire, il s’agirait plutôt de trouver les voies vertueuses à emprunter à l’avenir.
Raison pour laquelle les entreprises se penchent sur la question, donnant au « rêveur » une tout autre place que le fond de la classe. Parallèlement, lentement mais sûrement, les universités intègrent peu à peu à leurs cursus des modules concentrés sur la conception de fiction et leur application en situation.
On y analyse Dune 2 et on y plonge dans la Vallée du Sicilium d’Alain Damasio. Et là, l’intérêt du « design fiction » réside en la fusion entre créativité et rigueur scientifique. Autrement dit, pas question de se perdre dans des délires complètement loufoques. L’idée est la suivante : « élaborer des représentations du futur » qui puissent « faire partie intégrante de la stratégie et de l’innovation des entreprises ». Pour ce faire, on étudie un champ de scénarios compris entre le probable et le possible, en passant par le plausible et en visant le préférable. Et pour mieux les comprendre, les cerner, il faut donner vie à ces potentiels futurs, grâce à la narration et la conception d’artefacts.
Finalement, tout ceci laisse penser que la société actuelle prend conscience de l’urgence qu’il y a à se transformer, tout en considérant l’imagination comme un moteur nécessaire au changement. Puisque c’est demandé, continuons à rêver.