6 décembre 2024 à 15h44
Durée de lecture : 5 minutes
La désertification a longtemps été circonscrite aux pays du Sud. La problématique est pourtant mondiale, et c’est tout l’enjeu de la Convention des parties (COP) consacrée à ce sujet, dont la 16ᵉ édition se tient du 2 au 13 décembre à Riyad, en Arabie Saoudite. Moins connue que les COP climat et biodiversité, la COP sur la lutte contre la désertification vise à freiner la dégradation des terres causée par les sécheresses et les activités humaines. Et pour la première fois, la France vient d’y reconnaître qu’elle est concernée.
Mardi 3 décembre lors de la session formelle d’ouverture de la COP16, le secrétaire d’État à la Francophonie et aux Partenariats internationaux a annoncé que la France rejoignait la liste des 169 États qui se sont déclarés affectés à la convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD). Pour Thani Mohamed Soilihi, qui conduit la délégation française à Riyad, cette décision est « un pas de plus pour prendre davantage en compte cette réalité » dans l’Hexagone.
La France se transformerait-elle en désert ? Pas tout à fait, car seul 1 % du territoire national est concerné. Il s’agit essentiellement du pourtour méditerranéen, de la Corse-du-Sud ainsi que La Réunion, la Guadeloupe et Mayotte, selon le comité scientifique français sur la désertification. Une situation sans commune mesure avec des pays beaucoup plus affectés, comme la Chine, l’Inde ou le Pakistan. La désertification affecte aujourd’hui 3,2 milliards de personnes et menace 40 % des terres émergées de la planète, selon l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
Dégradation des terres
Contrairement à ce que peut sous-entendre son nom, ce phénomène ne consiste pas uniquement à l’avancée du sable sur des zones cultivées ou habitées : « La désertification ne se résume pas à l’avancée des déserts, cela se traduit surtout par la dégradation des terres des zones climatiques arides, semi-arides et sub-humides sèches », explique Frédérique Montfort, chercheuse au sein de l’association Nitidae et spécialiste de la dégradation et de la restauration des paysages forestiers.
L’évaluation de la désertification se base sur deux indicateurs : l’indice d’aridité et la dégradation des terres. Le premier concerne les zones à risque où les précipitations sont nettement inférieures à l’évapotranspiration potentielle. Le second est lié aux activités humaines telles que l’agriculture intensive, le surpâturage et l’urbanisation, ainsi que l’érosion et le dérèglement climatique.
« La désertification est un processus pouvant être graduel ou brutal, dégradant la productivité biologique de l’écosystème concerné, ce qui entraîne différentes conséquences comme la perte à long terme de végétation naturelle, le déclin de la biodiversité, la diminution de la fertilité des sols et des ressources en eau », ajoute Frédérique Montfort.
« De plus en plus de zones vont devenir arides »
Si la France est pour l’instant très peu touchée par la désertification, le processus devrait s’accélérer sous l’effet du dérèglement climatique. « Puisque les sécheresses vont devenir plus fréquentes et plus intenses, celle de 2022 devrait devenir la norme d’ici la fin du siècle selon le Giec, de plus en plus de zones vont devenir arides et donc susceptibles de désertification », dit Nicolas Gross, chercheur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).
C’est par exemple déjà le cas des Pyrénées-Orientales qui n’ont connu que 252 millimètres de pluie en 2023, alors que la normale se situe à 507 mm. Les zones arides ne se limiteront pas au pourtour méditerranéen prévient le scientifique, « des territoires comme le Massif-Central seront concernés. Déjà en 2019 les éleveurs manquaient de foin pour nourrir leurs animaux à cause de la sécheresse ».
Des raisons qui ont poussé la France à changer officiellement sa position. Jusqu’à présent, elle était la seule à ne pas s’être déclarée affectée par la désertification parmi ses voisins méditerranéens comme l’Espagne, l’Italie et la Grèce. « La France clarifie enfin son statut et n’est plus une exception parmi ses voisins, se félicite Patrice Burger, président du Cari, association qui lutte contre la désertification au Sahel. Avant, elle était uniquement perçue comme un bailleur de fonds pour aider les pays les plus impactés, maintenant elle fait vraiment partie du groupe, c’est symbolique mais ça permet de renforcer le multilatéralisme. »
La désertification, pas encore une fatalité
Concrètement, la France devra rendre compte tous les quatre ans de la situation de ses territoires affectés, de présenter les mesures adoptées pour faire face à ce phénomène — un plan d’action contre la désertification — et les effets de ces mesures d’atténuation et d’adaptation.
Enfin, cette décision pourrait encourager les recherches scientifiques sur la qualité des sols et des sous-sols sur le territoire. Si beaucoup de chercheurs français travaillent sur la question de la désertification, ils opèrent quasi exclusivement dans les pays du Sud.
« La désertification n’est pas une fatalité, insiste Nicolas Gross, on peut agir. Pour contrebalancer les effets des sécheresses, il faut prévenir la dégradation des sols, protéger la biodiversité, tant animale que végétale, car elle joue un rôle essentiel dans la résilience des écosystèmes face aux sécheresses et à l’aridité croissante, détaille-t-il. Cela implique de repenser les pratiques agricoles dans un cadre agroécologique soutenu par des choix politiques forts. Et surtout, ajoute-t-il, on ne gagnera pas la lutte contre la désertification si on n’enraie pas le déclin de la biodiversité et que l’on ne réduit pas nos émissions de gaz à effet de serre, les trois sont intrinsèquement liés ».
legende