Paris, reportage
« Le mec nous fait la leçon, alors que c’est lui qui a foutu le bordel… » Concentré sur son ordinateur — coincé sur une étagère entre un vidéoprojecteur et une bouteille d’eau — Arnaud Le Gall, député La France insoumise (LFI) dans le Val-d’Oise, ne peut s’empêcher de commenter le discours présidentiel. À 20 heures jeudi 5 décembre, Emmanuel Macron s’est exprimé en direct sur TF1 après le renversement du gouvernement de Michel Barnier. La veille, une motion de censure avait été votée par les députés de gauche et d’extrême droite en réponse au 49.3 du Premier ministre — désormais le plus éphémère de la Ve République, avec moins de trois mois en poste — pour faire passer le projet de budget de la Sécurité sociale.
Pendant une dizaine de minutes, le président a déploré la « censure du gouvernement » malgré les « concessions faites à l’ensemble des groupes parlementaires ». Il a ensuite exclu de démissionner et accusé « l’extrême droite et l’extrême gauche » de s’être unies « dans un front antirépublicain ». « Il est gonflé ! Et de quelles concessions parle-t-il ? » s’agace devant l’écran Arnaud Le Gall, qui, pour l’occasion, a accueilli Reporterre dans son salon. Le parlementaire se dit tout de même surpris que le locataire de l’Élysée n’ait pas annoncé le successeur ou la successeuse de Michel Barnier — ce qui est « contraire à la Constitution », rappelle-t-il.
Enfin, le chef de l’État a précisé qu’il nommerait un nouveau Premier ministre dans les prochains jours. Celui-ci représentera « toutes les forces politiques d’un arc de gouvernement qui puisse y participer ou à tout le moins s’engage à ne pas le censurer », a-t-il assuré.
Les ministres démissionnaires Sébastien Lecornu et Bruno Retailleau, le président du MoDem, François Bayrou, ou encore le socialiste Bernard Cazeneuve font partie des noms qui circulent. « Ce sera un clone quelconque » de Michel Barnier, résume, pour sa part, Arnaud Le Gall, sa fille de 2 ans gigotant sur ses genoux. Devant lui, la table est couverte de feutres éparpillés et de feuilles gribouillées.
« Le président doit démissionner ou être destitué » »
Pour son collègue parlementaire Maxime Laisney, député LFI de Seine-et-Marne joint par téléphone, la prise de parole d’Emmanuel Macron est « lunaire, inutile et provocatrice. Le problème reste entier : le président doit démissionner ou être destitué », insiste-t-il, répétant ce que leur parti politique réclame depuis des mois.
C’est la « seule issue », affirme Arnaud Le Gall, qui estime que le représentant de la nation « n’est plus capable d’assumer politiquement son mandat ». Une ligne directrice que les Insoumis tiendront coûte que coûte, en espérant accéder aux responsabilités et appliquer leur programme. « Le pays va mal, les inégalités explosent, les gens sont à bout », dit Arnaud Le Gall.
D’ailleurs, le 5 décembre après-midi, nombreux étaient les députés LFI à avoir rejoint le cortège des fonctionnaires en grève dans les rues de Paris, avant de rejoindre leur circonscription ou de courir les plateaux télé. Mais la fragile alliance de la gauche et des écologistes survivra-t-elle à cette situation politique jamais vue ? Déjà, de grandes fractures apparaissent. Alors que socialistes, communistes et écologistes avancent la possibilité d’un accord avec la macronie, les Insoumis ne jurent que par la démission d’Emmanuel Macron ou l’application des idées du Nouveau Front populaire via la nomination de Lucie Castets, leur candidate pour Matignon.
« Je suis un peu déçu [du jeu des socialistes], mais pas étonné, réagit Arnaud Le Gall. Il faut aller au bout de la logique : nous n’avons rien de commun avec les macronistes. S’ils font des compromis avec eux, c’est sûr qu’ils se prendront une banane électorale » aux prochaines élections, affirme le père de famille. Et d’ajouter, tout de même, que « l’idéal, ce serait qu’on reste uni ».
Une conclusion que rejoint le député Les Écologistes, Nicolas Thierry, joint par téléphone. Pour l’élu de Gironde, « en s’enfonçant dans le déni, Emmanuel Macron est en train de créer les conditions qui le contraindront à démissionner ». Aussi, « le NFP doit cultiver son unité. C’est ce que nous avons de plus précieux pour résister aux tempêtes à venir et à être à la hauteur des aspirations de celles et ceux qui ont placé leurs espoirs en nous », dit le parlementaire.
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