Asséché pendant des décennies, le fleuve Colorado reprend vie


El Chausse (Mexique), reportage

Il y a dix ans, du Colorado, il n’en restait que le nom. Juste le lit salé d’une rivière asséchée, envahi d’arbustes exotiques. De cette vaste croûte de sable craquelé est née une plantation de plus de 500 000 arbres sur plus de 540 hectares saupoudrés dans plusieurs endroits du delta, en une décennie seulement.

À El Chausse, la forêt renaît. Dans ce lieu aux vrais airs de marais mexicain, s’écoule paisiblement un canal d’irrigation. Sur la berge, on rencontre peupliers, saules, mais aussi mesquites ou palo verde… Ces arbres natifs, adaptés au climat désertique, ne réclament que très peu d’eau.

« On les a replantés ici, ils gardent l’humidité grâce à leurs racines. En plus de capter le carbone, ça réduit l’érosion des sols. C’est aussi redevenu un formidable corridor écologique pour les oiseaux migrateurs et les espèces vulnérables », dit Gabriela Caloca, qui coordonne sur le terrain les associations membres de l’alliance Revive el Río Colorado à l’origine de ce projet de reboisement.

Pension complète pour oiseaux migrateurs

Plus au sud, dans la ciénaga de Santa Clara, l’une des dernières zones humides du fleuve Colorado, les oiseaux endémiques se sont réinstallés. On peut y entendre le râle de Californie, un petit oiseau qui vit dans les marais, longtemps menacé de disparition. Et là, dans la vasière, le bécasseau d’Alaska. « Il n’y a pas qu’eux, la population d’insectes remonte aussi. Ainsi, toute la chaîne alimentaire est préservée », explique Stefanny Villagomez, qui travaille au laboratoire d’ornithologie de l’alliance.

Le nord du Mexique est aussi l’un des couloirs migratoires les plus importants du Pacifique. Grâce à la forêt, les oiseaux ont de nouveau le gîte et le couvert pour y faire étape durant l’hiver. Grâce à la revitalisation de ces marécages, plus de 360 000 oiseaux migrateurs s’arrêtent désormais chaque année. La population d’oiseaux sur ces sites restaurés a même augmenté de 85 %.


Dans la colonia Miguel Alemán, à la frontière avec les États-Unis, l’alliance effectue un travail de suivi des oiseaux sur les sites restaurés.
© Jésus Salazar

Les chiffres sont très bons, certes. Il faut dire que l’on repart de zéro. Entre les années 1960 et 1980, l’eau a entièrement arrêté de couler au Mexique. Vingt ans de panne sèche qui ont détruit plus de 80 % des écosystèmes de la région. Plus de plantes, plus d’animaux, sans compter l’agriculture locale à l’arrêt. Le désert en pleine rivière.


Les hérons sont revenus dans la ciénaga de Santa Clara, l’une des dernières zones humides du fleuve Colorado.
© Jésus Salazar

Pour des steaks et des terrains de golf

Saviez-vous qu’il existe deux murs entre le Mexique et les États-Unis ? Celui de Donald Trump qui interdit aux migrants de passer, et un autre qui empêche l’eau de couler. Le Colorado renaît doucement de l’autre côté de la frontière. Le célèbre fleuve est encore si asséché qu’il ne se jette même plus dans la mer. La faute à l’agriculture intensive des États-Unis et à l’étalement urbain qui pompent toute l’eau en amont depuis des décennies, à cause de vieilles lois colonialistes encore en vigueur.

D’après une enquête du média scientifique PBS, au moins 52 % de l’eau est utilisée pour irriguer des champs de luzerne, une plante qui finit en alimentation bovine pour nourrir le bétail du monde entier. Dans le sud-ouest étasunien, plusieurs dizaines de barrages hydroélectriques et de lacs artificiels détournent également le cours naturel du Colorado pour irriguer les pelouses privées ou les terrains de golf de mégalopoles comme Las Vegas, Phoenix ou Los Angeles.


Plus au sud, l’embouchure du fleuve Colorado est toujours à sec.
© Jésus Salazar

Un accord binational a été signé il y a dix ans entre les deux pays pour enfin laisser couler le robinet. Autant dire qu’ici, on savoure cette victoire politique. Et on fait tout pour que cela continue. On vante allègrement les mérites de la coopération avec les États-Unis. On soigne la communication et on se garde bien de commenter le retour de Trump au pouvoir, qui pourrait menacer cette fragile alliance.

Lors de sa campagne pour la dernière présidentielle, le candidat républicain a promis (sans étayer son propos) d’ouvrir un « très grand robinet » depuis les montagnes du Canada. L’idée est de continuer d’arroser les villes californiennes durement frappées par les sécheresses à répétition, plutôt que d’économiser l’eau du Colorado.

Renouer avec le fleuve

C’est au printemps 2014 que le barrage de Morelos a enfin libéré les premiers milliers de m3 au Mexique durant huit semaines, après la signature de cet accord historique. « Lorsque l’eau est arrivée, c’était un grand moment de joie. Quand j’ai vu le sourire de mes voisins, j’ai compris, se remémore Isabella, habitante de San Luis Río Colorado, première ville située après la frontière. C’était très spécial pour moi et pour tous les gens du delta. »

Au-delà de la décision politique, les communautés locales sont très engagées dans le projet. Après avoir arraché mécaniquement les espèces exotiques dans le lit de la rivière, plus de 3 500 bénévoles ont ensuite mis la main à la pâte en seulement six ans pour replanter les centaines de milliers d’arbres ou surveiller la population d’oiseaux, selon l’association Pronatura Noroeste.


Certains «  n’avaient jamais vu d’eau dans la rivière de toute leur vie  », explique Gabriela Caloca.
© Jésus Salazar

« Ça me rend fière de voir comment les gens renouent avec le fleuve, sourit Gabriela Caloca. Beaucoup de gens m’ont raconté qu’ils n’avaient jamais vu d’eau dans la rivière de toute leur vie, et que désormais ils emmènent leurs enfants profiter de la nature. La forêt a aussi créé des centaines d’emplois pour nettoyer et entretenir. Grâce à elle, les communautés se réapproprient leur lieu de vie. Je vois ça comme un symbole d’espoir et de résilience. »

Bien que l’avenir du delta dépende complètement de l’eau que les États-Unis voudront bien donner, l’accord est signé et les projets continuent. Plus de 200 hectares d’arbres natifs sont encore à planter. Lentement, le Colorado redevient un fleuve. « À ceux qui croient que c’est perdu à l’échelle mondiale : soyez confiants, conseille Stefanny Villagomez. Cela nous rappelle que la nature a une incroyable capacité à se rétablir rapidement. Et qu’il est encore possible de travailler entre citoyens, scientifiques et gouvernements. »



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