La Fifa organise des Coupes du monde à tout prix. Quitte à sacrifier le climat. L’instance qui gère le football mondial va officialiser, mercredi 11 décembre, l’attribution de la Coupe du monde 2030 à une candidature inédite et éclatée sur trois continents. Le tournoi se déroulera au Portugal, en Espagne et au Maroc, tandis que l’Amérique du Sud accueillera trois matchs symboliques en Argentine, en Uruguay et au Paraguay pour célébrer le centenaire de la compétition. Quatre ans plus tard, ce sera au tour de l’Arabie saoudite.
Entre les déplacements massifs et les constructions colossales, les conséquences écologiques de ces Coupes du monde risquent d’être sans précédent. Pour Pierre Rondeau, économiste du sport et codirecteur de l’Observatoire Sport et Société à la Fondation Jean Jaurès, ces décisions montrent que, pour la Fifa, seul le gigantisme et le profit priment.
Reporterre — Quelles conséquences environnementales peut-on anticiper d’un tournoi éclaté sur trois continents ?
Pierre Rondeau — Ce type de candidature éclatée pose un vrai problème écologique. L’essentiel des émissions de carbone lors des grandes compétitions sportives provient des déplacements des supporters, des équipes et des délégations, et non des infrastructures elles-mêmes. Par exemple, plus de 80 % des émissions de la Coupe du monde de rugby 2023, organisée en France, étaient liées aux voyages des spectateurs.
Les organisateurs mettent en avant le fait qu’il y aura peu de constructions nouvelle en Europe et en Amérique du Sud, où les infrastructures existent déjà. Sauf pour le Maroc qui prévoit de construire le plus grand stade de football du monde. Mais la dispersion des matchs entre trois continents rendra les flux de voyageurs bien plus denses que pour une compétition centralisée. Des supporters vont prendre l’avion pour suivre leurs équipes d’un continent à l’autre : Amérique du Sud pour le début du tournoi, puis Europe et Afrique pour la suite. Ce ballet aérien entraînera une empreinte carbone colossale.
La Fifa semble ignorer cet aspect en privilégiant une logique de gigantisme et de spectacle mondial. Ce format célébré comme « symbolique » et « merveilleux » masque une réalité bien plus sombre : celle d’une gabegie environnementale.
Pourquoi les organisateurs privilégient-ils désormais des candidatures conjointes et éclatées ?
C’est avant tout une question financière. Avec le passage de 32 à 48 équipes dès le Mondial 2026, les coûts d’organisation explosent. Accueillir plus d’équipes signifie plus de matchs, plus d’infrastructures nécessaires, et donc une facture plus lourde.
Pour réduire cette charge, plusieurs pays s’associent. Cela permet de partager les coûts structurels et logistiques, mais cette stratégie a une contrepartie écologique désastreuse : elle multiplie les déplacements et donc les émissions carbone. Prenons l’exemple des Jeux olympiques de Paris 2024 : même si la candidature porte le nom de Paris, une partie des épreuves ont été dispersées à Marseille, Châteauroux et même en Polynésie. C’est le même principe qui s’applique pour le Mondial 2030.
Cette logique de candidatures conjointes ne sera pas appliquée en 2034. Pour assoir son soft power [son influence] et sa réputation, l’Arabie saoudite, avec ses moyens financiers quasi illimités, compte organiser seule une Coupe du Monde gargantuesque.
Doit-on s’attendre, en Arabie Saoudite, aux mêmes dérives — sur les droits humains et sur l’environnement — que lors de la Coupe du monde au Qatar ?
Le cas de l’Arabie saoudite est particulièrement préoccupant. Là, on peut s’attendre à une affreuse démesure. Le climat désertique du pays rend l’organisation d’un tel événement extrêmement énergivore. Contrairement aux pays hôtes du Mondial 2030, qui possèdent déjà des stades, l’Arabie Saoudite devra tout construire de zéro. On peut s’attendre à des infrastructures immenses, avec des stades climatisés et des complexes hôteliers massifs.
Cela rappelle en effet le précédent du Qatar en 2022, où des stades ont été bâtis au milieu du désert avec une empreinte carbone désastreuse. Mais malgré les appels au boycott, malgré les préoccupations concernant les droits humains, le sort des ouvriers, des personnes LGBTQIA+, ou l’écologie, le Mondial qatari a été un succès d’audience.
La Fifa l’a compris : tant que les spectateurs regardent les matchs, elle peut poursuivre cette fuite en avant sans conséquence. Pour son Fonds d’héritage de la Coupe du monde de la Fifa 2022, qui était attendu de longue date, elle a d’ailleurs complètement ignoré l’indemnisation des travailleurs victimes de la construction d’infrastructures pour la Coupe du monde au Qatar.
Quels moyens concrets pourraient rendre ces compétitions plus écologiques ?
Plusieurs pistes existent. Une première, envisagée notamment pour les Jeux olympiques, serait de désigner une ville permanente pour accueillir ces compétitions, comme Athènes, qui possède déjà des infrastructures adaptées. Cela éviterait de bâtir de nouveaux stades à chaque édition, réduisant considérablement l’empreinte carbone liée à la construction. Une autre option serait d’attribuer deux éditions consécutives à une même ville ou un même pays. Par exemple, si Paris organise les Jeux en 2024, elle pourrait également accueillir ceux de 2028 pour rentabiliser et compenser le coût environnemental des équipements déjà construits.
Pour les déplacements des foules, qui représentent une part considérable des émissions, l’économiste Wladimir Andreff a proposé une solution radicale : conditionner la vente des billets à un engagement de ne pas prendre l’avion. Cela semble difficile à appliquer, mais le principe est là : privilégier les spectateurs locaux et encourager des modes de transport plus sobres comme le train. Cela suppose toutefois une infrastructure ferroviaire adaptée et une coopération internationale, ce qui est loin d’être acquis aujourd’hui.
Une autre solution serait de réduire le nombre d’équipes participantes : revenir à 32, voire 24 ou 16 équipes au lieu de 48 permettrait de limiter les flux de voyageurs. Cela soulève des questions d’équité et de représentativité : comment justifier l’exclusion de certains pays ? On risquerait de créer une compétition fermée, réservée aux nations les plus puissantes. À moins d’organiser une rotation.
La Fifa est engagée dans une logique inverse…
Absolument. Elle poursuit une stratégie de profit à court terme. La Coupe du monde 2026 en Amérique du Nord se déroulera dans trois pays : États-Unis, Canada et Mexique. Même en essayant de regrouper les matchs par zones pour limiter les déplacements, il sera impossible d’éviter les voyages en avion pour les phases finales.
De plus, la Fifa a annoncé une nouvelle Coupe du monde des clubs avec trente-deux équipes, prévue pour 2025. Cela signifie encore plus de matchs, encore plus de déplacements, et donc une empreinte carbone toujours plus élevée. Cette surenchère est absurde, d’autant que les footballeurs sont de plus en plus nombreux à dénoncer des calendriers surchargés pour des logiques purement pécuniaires.
En bref, tant que le public continue de suivre ces compétitions avec passion, il est difficile d’imaginer une prise de conscience de la part de la Fifa. Le boycott reste la seule arme réellement efficace pour forcer un changement. Prenons l’exemple de DAZN, le diffuseur de la Ligue 1, qui avait initialement fixé des prix prohibitifs en début de saison. Face à une vague de boycott des supporters refusant de payer ces tarifs excessifs, DAZN a été contraint de réviser sa grille tarifaire : le prix de l’abonnement est passé de 39 euros à 15 euros grâce à des promotions.
Ce cas n’est pas directement lié aux questions environnementales, mais il illustre parfaitement la puissance du boycott comme outil de pression. Si les spectateurs décident d’arrêter de suivre une compétition, le modèle économique s’effondre.
legende