Bayrou Premier ministre, un macroniste pur jus peu porté sur l’écologie


Et de quatre ! Le centriste François Bayrou a été nommé Premier ministre le 13 décembre par Emmanuel Macron. Il prend la place de Michel Barnier (Les Républicains), dont le gouvernement a été censuré le 4 décembre par les députés de l’Assemblée nationale. Il succède également aux macronistes Gabriel Attal et Élisabeth Borne. En un an, quatre locataires auront ainsi défilé à l’hôtel de Matignon. Et, avec eux, autant de visions différentes de l’écologie.

Il y a d’abord eu Élisabeth Borne, l’experte des passages en force à coup de 49.3. Si son séjour à Matignon (qui s’est terminé le 8 janvier) n’a pas abouti à des textes de lois forts sur le climat et la biodiversité, elle est désormais regrettée par les associations écologistes, qui saluent toutes son volontarisme. En comparaison à Gabriel Attal, notamment, qui n’a montré aucun intérêt pour ces questions de janvier à septembre. Michel Barnier, nommé le 5 septembre, était davantage connu pour ses convictions écologistes, après avoir été ministre de l’Environnement dans les années 90. Las, depuis son arrivée à la tête du gouvernement, il n’a fait que proposer des régressions environnementales, notamment à travers le budget pour l’année 2025.

Et maintenant, François Bayrou. Si les positions écologistes de ce fils d’agriculteur des Pyrénées-Atlantiques, devenu maire de Pau en 2014, semblent avoir évolué depuis le début des années 2000, il reste très discret sur le sujet depuis 2017. Pour les partis de gauche et de l’écologie du Nouveau Front populaire, sa nomination n’est qu’une « continuité » du macronisme. Les associations, elles, craignent que les enjeux environnementaux soient à nouveau « les grands oubliés » du gouvernement.

Trois fois candidat à la présidentielle

Une rapide recherche Google permet de retrouver un de ses discours, prononcé le 12 avril 2002, alors qu’il était candidat pour la première fois à l’élection présidentielle. À la fin d’une longue liste de mesures, il proposait seulement la création d’un « grand ministère de la nature et du développement durable » [1] pour « éviter les dérives comme la vache folle, lutter contre les pollutions de l’air et de l’eau et sécuriser les sites dangereux ». Un peu léger.

En 2007, lors de sa seconde tentative pour devenir président de la République, son programme était déjà plus ambitieux. Il évoquait clairement le problème des énergies fossiles, la nécessaire réduction des émissions de gaz à effet de serre, le développement des énergies renouvelables – tout en ayant un « maintien maîtrisé et transparent du nucléaire civil » – sans oublier la protection de la biodiversité. Toutefois, sa vision des enjeux avait un aspect technosolutionniste, en continuant à promouvoir « la croissance économique », sans laquelle les « mutations technologiques et les investissements nécessaires » à entreprendre ne seraient pas envisageables.

Et comme jamais deux sans trois : François Bayrou s’était présenté une nouvelle fois à l’élection présidentielle, en 2012. Il avait alors plaidé pour une « écologie positive », visant principalement à « créer un fonds d’investissement dédié au développement durable », rénover les bâtiments et limiter l’imperméabilisation des sols. Il s’appuyait à l’époque sur son porte-parole, Yann Wehrling, un ancien des Verts, qui a depuis fondé son propre parti baptisé… Écologie positive.

De rares prises de position

Depuis, les prises de position de François Bayrou sur l’écologie se sont faites rares. Le centriste, devenu président du Mouvement démocrate (MoDem) en 2007, n’a pas retenté sa chance dans la course présidentielle en 2017, pour laisser la place à Emmanuel Macron. Le MoDem est ainsi devenu un fidèle allié du chef de l’État, et François Bayrou a été nommé ministre de la Justice dès mai 2017.

Cité dans l’enquête sur les emplois fictifs des assistants parlementaires du MoDem au Parlement européen, François Bayrou n’a pas été reconduit dans le gouvernement suivant, un mois plus tard — il a été relaxé le 5 février 2024, au « bénéfice du doute ». Ce n’est qu’en septembre 2020 que le Béarnais a retrouvé un poste d’importance : celui de Haut-commissaire au plan, une instance rattachée à Matignon, chargée « d’animer et de coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective » pour l’État.

La création, en juillet 2022, du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), rattaché également au Premier ministre et confié à l’ingénieur Antoine Pellion, a toutefois coupé l’herbe sous le pied de François Bayrou. « On ne va pas faire de doublons », s’était à l’époque agacé le centriste, comme le rapportait le quotidien Le Monde.

Les travaux sur l’écologie avaient donc échappé à François Bayrou. Seulement a-t-il publié en 2022 un rapport pour développer la géothermie de surface — rapport qu’il avait, en toute modestie, qualifié d’« absolument révolutionnaire », raconte encore Le Monde.

« Je ne crois pas que ce soit sa priorité »

Depuis, sa vision de l’écologie est demeurée très discrète. Sa nomination à Matignon crée donc deux catégories : les enthousiastes… et les autres. « À la création du MoDem, nous avons été de nombreux écologistes à le rejoindre et il écoutait nos apports et notre sensibilité », raconte Yann Wehrling, interrogé par Reporterre. « Tout cela lui donne un bagage pour, je l’espère, s’engager pour la planète. »

L’écolo-centriste rappelle aussi que François Bayrou avait déclaré, au moment où Michel Barnier constituait son gouvernement, qu’il fallait « répondre aux enjeux de la France, du monde et de la planète. » « Ajouter « la planète » était une claire allusion aux enjeux écologiques », croit savoir Yann Wehrling, qui veut lui manifester son « soutien pour aller en ce sens ».

Cet enthousiasme n’est pas partagé par tout le monde. « J’espère très sincèrement sa réussite car la France en a besoin, mais je suis dubitative », affirme Corinne Lepage à Reporterre. L’avocate écologiste avait rejoint le MoDem de François Bayrou en 2007, avant de le quitter trois ans plus tard. « Je ne crois pas que des objectifs écologiques ambitieux soient sa priorité », poursuit-elle.

Vers une motion de censure ?

Du côté de l’opposition politique, l’annonce de cette nomination n’a pas ravi les foules. « Il incarne le macronisme le plus fidèle », a déploré sur BFMTV Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, alors que la coalition présidentielle a subi une défaite aux élections européennes, puis aux élections législatives après la dissolution de l’Assemblée nationale, puis une motion de censure du gouvernement.

Elle a précisé : « On va regarder la teneur des politiques qui se profilent. Si c’est pour garder les mêmes aux postes stratégiques, dont M. [Bruno] Retailleau au ministère de l’Intérieur, si c’est pour ne rien faire sur les retraites, si c’est pour ne rien faire sur l’écologie, […] je ne vois pas quel autre choix nous aurions que de le censurer quand nous en aurons l’occasion. »

De son côté, La France insoumise a d’ores et déjà annoncé qu’elle votera une motion de censure contre le gouvernement de François Bayrou. « Tant que le résultat des urnes ne sera pas respecté, nous censurerons », a affirmé Gabrielle Cathala, députée LFI, au micro de Franceinfo.

Une position différente de l’extrême droite du Rassemblement national. Peut-être car François Bayrou s’est montré très bienveillant envers Marine Le Pen ces derniers temps. Il lui avait accordé son parrainage de maire lors de l’élection présidentielle de 2022, pour ne pas « exclure les principaux candidats ». Plus récemment, il a pris sa défense après que le parquet a requis contre elle, dans le procès des assistants parlementaires du Front national, une peine de cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. « Je n’aime pas l’injustice, même quand elle est faite à mes adversaires », a-t-il affirmé sur BFMTV.

Besoin d’une « rupture profonde » avec le précédent gouvernement

Le sentiment n’est pas davantage au réjouissement chez les associations écologistes. Générations futures, par exemple, « appelle aujourd’hui à une rupture profonde avec les politiques menées par les gouvernements Attal et Barnier. La transformation de nos modes de productions afin de permettre une sortie de la dépendance aux substances chimiques dangereuses doit être l’une des priorités du nouveau Premier ministre. »

« Peut-on encore attendre quelque chose du nouveau gouvernement ? », a réagi Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France, dans un communiqué. « Sans légitimité démocratique, sans majorité claire, et sans plan d’action concret, les enjeux écologiques et de justice sociale risquent d’être à nouveau les grands oubliés de la politique gouvernementale. »

« Peut-on encore attendre quelque chose du nouveau gouvernement ? »

Lors de la passation de pouvoir entre Michel Barnier et François Bayrou, le 13 décembre, le nouveau Premier ministre a surtout fait du « déficit et de la dette » une priorité. Il n’a pas prononcé le mot « écologie ». « Je pense que nous avons le devoir, dans un moment aussi grave pour le pays, pour l’Europe et devant tous les risques de la planète, d’affronter les yeux ouverts, sans timidité, la situation qui est héritée de décennies entières », a-t-il toutefois affirmé — une phrase que les plus enthousiastes pourront interpréter comme une allusion aux enjeux climatiques.

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