le festival Tomorrowland Winter est-il légal ?


13 décembre 2024 à 16h00

Durée de lecture : 4 minutes

Dans la pénombre, la place semble déserte. Autour, un ballet incessant de voitures défile avec des automobilistes pressés de rentrer chez eux en ce début de soirée, jeudi 12 décembre. Soudain, des lumières se mettent à clignoter et un petit groupe muni de lampes frontales et de guirlandes apparaît au loin. Une vingtaine de membres du collectif Stop Tomorrowland Alpe d’Huez s’est donné rendez-vous devant la préfecture de l’Isère, à Grenoble, pour manifester leur opposition au festival Tomorrowland Winter.

Le festival de musique électronique se tient dans la station de l’Alpe d’Huez du 15 au 22 mars prochain pour sa 5e édition : 22 000 riches fêtards du monde entier sont attendus pour danser devant les DJ les plus célèbres de la planète, face aux sommets enneigés. L’événement génère un « bilan carbone outrancier » — au moins 6 000 tonnes d’équivalent CO2 en raison des déplacements en avion, selon un calcul effectué par le mouvement Extinction Rebellion — et une pollution sonore et lumineuse importante. « [Il] transforme la montagne en Disneyland », dénonce le collectif.

Sur les pancartes des participants, sont visibles les messages « Winter is not coming » (« L’hiver n’arrive pas »), « Tes décibels déciment les belles cimes » ou encore « This is yesterday land » (« C’est la terre d’hier »). Au son des tambours, l’ambiance est festive et joyeuse.

« Aucun appel d’offres »

Leur objectif : que le bruit atteigne la préfète. Depuis mars, « nous avons adressé plusieurs courriers à la préfecture à propos de la légalité de l’événement et du non-respect de la législation sur les nuisances sonores avec les associations FNE Isère, Mountain Wilderness et Actionnaires pour le climat », dit une jeune femme au micro.

Le collectif a de sérieux doutes sur la convention passée en novembre 2023 entre la société Tomorrowland, l’Alpe d’Huez et la Société d’aménagement touristique Alpe d’Huez (Sata) qui vise à pérenniser le festival jusqu’en 2030. « Le contrat ne semble pas respecter les codes des marchés publics, explique Pierre Janot, élu (Les Écologistes) au conseil régional de Rhône-Alpes et présent au rassemblement. Il n’a fait l’objet d’aucun appel d’offres par la mairie et donc contrevient aux règles de la concurrence. »


Des membres du collectif Stop Tomorrowland Alpe d’Huez devant la préfecture de l’Isère, le 12 décembre 2024.
© Collectif Stop Tomorrowland Alpe d’Huez

Le collectif s’appuie aussi sur un rapport de la Cour régionale des comptes de 2021 sur le contrat d’origine conclu entre les trois parties. La Cour indiquait qu’« en dépit de son audience internationale, le festival Tomorrowland Winter ne présente pas de caractère exclusif qui justifierait son exclusion du code des marchés publics », notant des « clauses abusives ». En outre, « en s’excluant des règles des marchés publics, la commune s’est émancipé des clauses environnementales qui auraient dû figurer dans son cahier des charges », précise Pierre Janot.

À la découverte de ces éléments, les opposants au festival ont demandé au préfet puis à sa successeure de saisir le tribunal administratif afin de contrôler la légalité du contrat. Des demandes restées sans réponse. « La préfecture est dans le déni le plus total. Si ce mépris se poursuit, on n’hésitera pas à porter plainte au pénal », prévient Sébastien, membre du collectif.

« Atteinte à la tranquillité du voisinage »

Après une brève prise de parole, la joyeuse troupe équipée d’une banderole « Stop Tomorrowland » traverse la rue pour se rapprocher de la préfecture. Les musiques et chants s’enchaînent juste devant les policiers postés, impassibles.

La seconde demande des opposants au festival est d’avoir accès à l’étude d’impact sur les nuisances sonores. « Elle est obligatoire pour ce genre d’événement », poursuit Sébastien. Entre-temps, le collectif a eu connaissance d’un rapport de l’Agence régionale de santé (ARS) sur des mesures de bruit effectuées en mars 2023 à la demande d’un riverain. Le document conclut que « l’atteinte à la tranquillité du voisinage est établie ». Là encore, la préfecture n’a pas réagi.

Les effets du bruit sur la faune irritent particulièrement Katia [*]. « La montagne est l’un des derniers endroits où l’on peut profiter du silence, là ça vient perturber toutes les espèces, s’insurge la naturaliste. Par exemple, le lagopède, un oiseau qui existe depuis l’ère glaciaire, est actif à cette période-là. Il est déjà menacé par le réchauffement climatique, le manque de neige l’empêche de se camoufler avec son plumage blanc. »

Après une quinzaine de minutes, les tambours laissent place à de la musique électronique. Tous les participants dansent, toujours face aux policiers. « Vous voyez, lance Katia, on n’est pas contre la techno, mais pas n’importe où ni n’importe comment ! »

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