Le jeu, à la veille d’une «révolution culturelle tranquille»?


OPINION –

On peut s’étonner que le jeu ne fasse pas partie du ministère de la culture, à l’exception des jeux vidéos qui en sont un des éléments. Pourtant, le jeu a bien une histoire, qui se confond avec celle des contes, issue des civilisations les plus brillantes du monde antique. Un certain nombre d’entre eux ont été retrouvés dans les tombes, signifiant deux choses :  d’une part, ces objets avaient un haut pouvoir symbolique voire religieux et étaient construits en matières nobles pour avoir traversé les siècles, ce qui prouve qu’ils appartenaient aux personnes des classes dirigeantes ;  d’autre part, il y a une similitude de symboles présents dans les contes et dans les jeux : rois et reines, blanc et noir, lutte entre le bien et le mal… et cela renvoie à une spiritualité populaire  N’oublions pas une certaine universalité de certains jeux :  tout le monde a joué à cache-cache, aux billes ; certains de tradition orale, d’autres fabriqués par les enfants, voire par le chef de famille. C’est l’exemple de la toupie  qui fut, avant de devenir le jouet que nous connaissons, objet de culte, tradition familiale, et même…signe de ralliement des royalistes sous la révolution puisqu’une bougie, allumée près d’une certaine toupie projetait l’ombre d’une statue équestre de Louis XVI !   

Il est assez facile de démontrer la pertinence du jeu au regard du développement intellectuel… Chaque participant a souvent le même matériel,  la même règle et c’est sa capacité cognitive qui va lui permettre d’observer, déduire, comprendre les réactions de son (ses) adversaire(s), élaborer des réponses, choisir celle qui lui paraît la meilleure, le tout dans un temps restreint. Aura-t-on jamais fini de jouer aux échecs ? Je renvoie à l’étude des neurosciences pour avoir une idée de ce que le jeu mobilise comme compétences intellectuelles. J’ai évoqué le cognitif, mais c’est aussi le plaisir, la sensibilité la relation, le respect des règles, l’adresse, la dimension intergénérationnelle, bref une activité qui génère  une très large palette d’aptitudes et de pratiques.

N’oublions pas que le mot « jeu » est un des mots les plus chargés de la langue française directement ou en incluant un vocabulaire propre au jeu:  entre « jouer le jeu » « tirer son épingle du jeu » , « être maitre du jeu », « avoir tous les atouts en main », « une nouvelle donne », c’est plus de 100 expressions que nous utilisons très souvent et qui émaillent pas mal de bulletins d’information … 

Si le jeu ne fait pas partie de la Culture, c’est de mon point de vue lié à plusieurs sources : certaines religions voient dans ce média un détournement de l’énergie censée nous venir de Dieu, mais sur laquelle il n’y aurait qu’une empreinte profane voire païenne et pourquoi pas «satanique», donc qui échappe à toute analyse religieuse, donc tout juste bon pour les petits… De plus, le jeu, libre de choix entre ceux qui s’y adonnent, gratuit en ce sens qu’il n’a pas d’autre objet que lui-même a eu des dérives dommageables :  l’argent en premier lieu, interdit par pas mal de dispositifs, mais néanmoins utilisé par des initiatives d’état; le travail ensuite, puisque Taylor promoteur des usines à la chaîne, l’a classé parmi les «loisirs» ce qu’on se permettait après le travail et qui était sans importance économique. En revanche, si vous ouvrez le moindre livre sur l’histoire du jeu, vous ne verrez que des gravures d’adultes en train de jouer. La société de consommation s’est greffée la dessus pour dire que lorsqu’on offrait une boite, on offrait obligatoirement du plaisir, ce qui est faux: il y a des jeux sans boite et nombre de celles ci ne servent pas à autre chose qu’à faire gagner de l’argent… Qui se souvient encore des jeux dérivés des films il y a une dizaine d’années ? Difficile d’y trouver de la culture ! Mais, en revanche, dans les années 80, le salon du jeu de Paris était interdit aux enfants ; on y allait pour passer des commandes, pas pour s’informer sur les qualités des jeux !   

Le jeu a aussi une connotation politique et c’est peut-être le plus gênant. Quand on joue on pense et pas forcément de la « façon requise »:  j’ai eu  en mains «le jeu du parfait communiste chinois », qui était, parait-il obligatoire de posséder, comme « le jeu du Président » qui, sous la présidence de Giscard d’Estaing a eu des pressions pour ne pas être commercialisé autrement que dans les solderies. Lorsqu’il y a eu une revalorisation des  allocations familiales pour le 3° enfant, toutes les poupées avaient 3 bébés au salon du jouet ! N’oublions pas non plus que le « Monopoly » est né lors de la grande crise des années 30 et que « Pandémie » est né au cœur de celle des subprimes en 2008.

En revanche, le mouvement des ludothèques de prêt (la premère, en France datant de 1968 à Dijon, maintenant, c’est de l’ordre de 1200 structures) s’est considérablement développé… même si, dans certaines villes de droite,  cela semble encore compliqué. Mais de multiples associations proposent du «jeu  d’animation», traduisant de nombreuses relations avec le monde de la culture: jeux liés au théatre, à  l’écologie, à la musique, à l’art, à la technologie, au livre avec «les livres dont vous êtes le héros », à la physique comme l’excellent Kapla, bref, un foisonnement de concepts qui se complètent, s’interpellent, se conjuguent ou revisitent des conceptions anciennes. 

Localement, à partir de 1986, des festivals du jeu se sont élaborés ; Partenay, Cannes pour commencer regroupant des milliers de visiteurs, particuliers, ou professionnels, des centres de loisirs  des structures pour handicapés etc. Cela ne s’est plus jamais tari et, pendant les confinements, nombre de parents ont redécouvert les jeux « pas si faciles qu’ils en ont l’air » comme je l’ai souvent entendu dire en ludothèque. La journée internationale du jeu, née en 1999 à l’initiative de l’Association des Ludothèques Trançaises, a d’abord été investie par les enfants avant de devenir le rendez vous incontournable des familles et des joueurs de tous âges. Le dernier type de structures dédiées aux jeux, les cafés jeux se sont développés dans le sillage d « Oya », à Paris, à partir de 1995. 

A l’initiative de Jacques Henriot, un DESS « Sciences du jeu », a été élaboré en 1981 et est maintenant inclus dans un « master2 » Sciences de l’éducation à Villetaneuse .

A part ça, le jeu n’est pas culturel !!!! 

Je suppose que vous vous en souviendrez avant de choisir une boite à offrir… Un jeu doit correspondre à la personne qui va l’utiliser et ce n’est pas simple d’apprécier ce qui fera plaisir, premier moteur de l’action d’un jeu. 





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