L’agence Moody’s n’aura guère laissé à François Bayrou le temps de s’installer à Matignon, dégradant dans les heures suivantes la note souveraine de la France, au vu de la « fragmentation politique » du pays, peu propice selon elle au rétablissement rapide des finances publiques. Est-ce un message de défiance face aux capacités du nouveau venu ?
À peine un mois et demi après sa précédente dégradation de la note française, Moody’s abaisse sa note Aa2, qui était assortie d’une « perspective négative » signalant une dégradation probable à plus ou moins brève échéance, à Aa3, avec perspective stable. Tout semble s’accélérer
L’agence, qui classait la France jusque-là légèrement au-dessus de ses concurrentes, les rejoint : S&P classe la France AA- avec perspective stable, et Fitch AA- avec perspective négative.
L’agence s’est inquiétée à plusieurs reprises de la situation d’incertitude dans laquelle est plongée la France depuis la dissolution de l’Assemblée nationale annoncée le 9 juin par le président Emmanuel Macron.
La mise sous perspective négative de la précédente note date de fin octobre seulement, et Moody’s avait fait savoir le jour-même de la censure du gouvernement de Michel Barnier, le 4 décembre, que cet évènement ne pouvait être que « négatif » pour la note de crédit de la France.
Bercy semblait néanmoins comme d’habitude ne pas s’attendre à une nouvelle action aussi rapide, dont le ministre de l’Economie et des Finances Antoine Armand a aussitôt « pris acte ».
Pour Moody’s, les finances publiques de la France seront « considérablement plus faibles » dans les trois prochaines années que ce qu’elle prévoyait auparavant, en raison d’une « fragmentation politique plus susceptible d’empêcher une consolidation budgétaire significative ».
Elle juge la probabilité « faible » de voir le prochain gouvernement « réduire durablement l’étendue du déficit budgétaire au-delà de l’année prochaine ».
– « Décennies entières » –
Alors que le gouvernement Barnier misait sur un déficit public de 6,1% du PIB cette année, et avait construit ses textes budgétaires sur la base d’un déficit public de 5% en 2025, pour revenir sous la limite des 3% tolérée par Bruxelles en 2029, Moody’s n’y croit pas, échaudé par les tergiversations et mensonges des précédents gouvernement.
L’agence de notation anticipe un déficit public stagnant à 6,3% du PIB en 2025, et toujours à 5,2% en 2027. Ainsi, au lieu de se réduire, la dette publique passerait de 113,3% du PIB en 2024 à environ 120% en 2027.
« Si la capacité d’endettement est depuis longtemps un atout relatif de la France en matière de crédit, cet atout s’érode par rapport à ses pairs bénéficiant d’une note similaire », observe Moody’s.
Antoine Armand a estimé dans son communiqué que la nomination de François Bayrou apportait « une réponse explicite » aux inquiétudes de l’agence de notation.
Michel Barnier et François Bayrou ont en effet montré une forte attention à ces questions lors de leur très courtoise passation de pouvoir, vendredi après-midi.
Barnier a voulu laisser un message solennel : « On aurait tort d’oublier le déficit et la dette (…) faute de quoi ils se rappelleront brutalement à nous tous ».
« Nul plus que moi ne connaît la difficulté de la situation », lui a répondu M. Bayrou, rappelant avoir « pris des risques inconsidérés dans (sa) vie politique pour poser (lors d’élections, y compris présidentielles, auxquelles il se présentait) la question de la dette et des déficits ».
« Et tout le monde disait “il est complètement fou, on ne fait pas une campagne sur la dette”, a-t-il rappelé en souriant.
Jugeant qu’il s’agit d’un problème à la fois financier mais aussi « moral », avec le poids que la dette fait peser sur les enfants, le nouveau locataire de Matignon a promis que devant cette situation « héritée de décennies entières », il aurait pour « ligne de conduite » de « ne rien cacher, de ne rien négliger et de ne rien laisser de côté ».