Mayotte, reportage
Pour Thibault, hors de question de jeter l’eau que le cyclone Chido a déversée dans la maison de son amie. À l’aide d’une raclette et d’une balayette, il transvase l’eau boueuse du sol à une bassine. « Ça peut toujours servir », présage cet habitant de la commune de Sada. Au lendemain du passage de Chido à Mayotte, le 14 décembre, il sait que chaque goutte va devenir précieuse.
Le manque d’eau, cela fait plus d’un an que la population de l’île en a fait son quotidien, avec des coupures programmées forçant à anticiper des réserves. Mais là, le cyclone ne leur a laissé aucune chance : ce n’est qu’à midi, la veille du cyclone, que la préfecture a enjoint les habitants à faire des stocks. Or, l’eau avait déjà été coupée dans tous les secteurs normalement alimentés ce jour-là par la Société mahoraise des eaux (SMAE).
À Mamoudzou, « on s’organise pour récupérer de l’eau de pluie », indique un passant, deux bidons de 20 litres de précipitations à la main. Depuis la route principale traversant le chef-lieu de Mayotte, au niveau du village de Passamainty, on aperçoit au loin des habitants venus faire des réserves et se laver au niveau d’un réservoir.
Le 17 décembre, le ministère de l’Intérieur a décrété un couvre-feu de 22 heures à 4 heures, craignant des pillages dans un contexte de manque de ressources. La veille, Bruno Retailleau avait annoncé que, d’ici deux jours, « les usines d’eau potable fonctionner[aient] à hauteur de 50 % des capacités ». 20 vingt tonnes d’eau et de nourriture doivent désormais être envoyées chaque jour par avion. Un dispositif de traitement de l’eau devrait également bientôt être opérationnel et produire 250 m3 d’eau quotidiennement.
« Personne n’est venu nous en distribuer »
En attendant, la plupart des gens que nous rencontrons après le passage du cyclone n’ont guère que quelques bouteilles, n’ayant jamais imaginé se retrouver coupés de tout réseau. « J’avais acheté un pack, au cas où, mais si j’avais su… » confie Jérémy.
Alors pour boire, ceux qui ont des bouteilles de gaz, comme lui, font bouillir ce qui reste. La vaisselle n’est faite que si nécessaire, et la chasse des toilettes n’est remplie manuellement qu’avec l’eau considérée imbuvable. Pour cela, certains fouillent dans leurs reliquats de bouteilles stockées pour faire face habituellement à la crise de l’eau.
Une débrouille qui fait redouter la propagation de maladies comme le choléra ou la dengue, notamment parmi les habitants les plus précaires comme Ibrahim, qui habitait un quartier informel à l’entrée de la ville. « On n’a pas de stock d’eau, aucune bouteille, personne n’est venu nous en distribuer », indique celui qui a vu sa maison en tôle s’envoler et qui compte utiliser ses dernières pièces pour aller en acheter, les terminaux bancaires étant hors services depuis que l’électricité ne circule plus. Heureusement, quelques échoppes ouvertes à Sada ont encore du stock.
Du côté de Mamoudzou, on rationne le nombre de packs par personne au magasin Sodifram, dans le quartier de Hauts Vallons. « Tout le monde cherche de l’eau en ce moment, constate Ramzi Boukhris, gérant du supermarché, qui a limité la quantité à un pack par client pour qu’il y en ait assez pour tout le monde. Il y a aussi des gens qui en achètent pour les revendre dehors à 10 euros. » À Mayotte, le prix des six bouteilles d’eau se situe généralement entre 6 et 8 euros.
De l’eau à quelques robinets
Dans la soirée du 16 décembre, à Sada, surprise au robinet : l’eau coulait dans plusieurs habitations. Ni une, ni deux, Jérémy s’est empressé de remplir des bouteilles vides, au cas où elle viendrait à être coupée de nouveau. « C’est peut-être revenu dans l’après-midi. On n’avait même pas pensé à essayer avant », indique-t-il.
Si l’eau s’écoulait dans les tuyaux d’au moins une partie de la commune, son lycée, qui était alimenté jusque-là, a constaté plusieurs coupures. « Des gens sont venus nous voir pour nous dire qu’ils allaient couper l’eau », nous indique un lycéen venu prêté main forte dans l’établissement transformé en hébergement d’urgence, sans pouvoir préciser s’il s’agissait d’agents de la mairie ou des services de l’État.
Une incertitude et un flou, ajoutés au manque de consignes, qui mettent en péril l’accueil de la vingtaine de personnes sans toit réfugiées dans l’établissement. Celui-ci ne tourne que grâce à l’effort de trois membres du personnel, ayant utilisé leurs propres ressources en nourriture pour leur venir en aide. Face au manque de soutien de l’État, l’un d’eux s’est résolu à demander aux habitants désormais sans maison de quitter les lieux.
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