Un stratagème bien ficelé. Le 9 décembre dernier, le groupe Vivendi a entériné sa scission en trois entités distinctes, toutes cotées en Bourse depuis lundi. Le groupe Bolloré, qui contrôle 30% du géant français des médias et de l’édition, a cette fois-ci adopté une approche différente de la scission réalisée en 2021 pour Universal Music, dont l’impact fiscal avait été critiqué par les actionnaires. L’opération menée par le milliardaire lui permet cette fois-ci d’économiser plus de 500 millions d’euros d’impôt.
Depuis la scission de Universal Music Group en février 2021, Vivendi a subi une décote de conglomérat qui a atteint 44%. En d’autres termes, le conglomérat est valorisé moins que la somme de ses composantes individuellement. Le groupe expliquait que cela constituait « un handicap pour nous, actionnaires et pour le développement de nos activités ». D’ailleurs, le 16 décembre, le cours de bourse de Vivendi, valorisé plus de 9 milliards d’euros, « ne reflétait pas la véritable valeur de ses actifs », a déclaré Yannick Bolloré, fils de Vincent Bolloré et président du conseil de surveillance de Vivendi.
Près de 6 milliards d’euros non imposables
Le 9 décembre dernier, Vivendi officialisait un éclatement plébiscité à 97% par les actionnaires lors d’une assemblée générale à Paris. Trois entités distinctes ont vu le jour : Canal+, Havas et Hachette, outre le holding (Vivendi SE) qui continue d’exister. Chacune de ses entités sont cotées depuis lundi dernier : Canal+ à la Bourse de London Stock Exchange, Havas à Euronext Amsterdam et Louis Hachette Group à Paris sur le marché Euronext Growth, régulé mais non réglementé. La quatrième entité, à savoir la holding Vivendi, restera en Bourse à Paris.
La scission d’Universal Music en 2021 a suscité des critiques de la part des actionnaires, qui ont déploré l’impact fiscal de l’opération. En effet, la distribution des actions sous forme de dividende a soumis les actionnaires à des taxes de 30%. Cette fois-ci, le groupe Bolloré a opté pour une approche différente, qui devrait lui faire économiser plus de 500 millions d’euros d’impôt.
Il est question de la « scission partielle », un régime qui exonère d’impôt les actionnaires de Vivendi sur deux tiers de la valeur de leurs actions Canal+ et Hachette. Près de 6 milliards d’euros de participations seront exonérés de la taxe sur les plus-values, étant considérés comme des « remboursements d’apports » d’actifs et non comme une « distribution » soumise à la taxation des plus-values.
Le remboursement d’apport fait référence à une opération où les actionnaires reçoivent des actions dans les nouvelles entités (comme Canal+ et Hachette) en échange de leurs actions dans le conglomérat Vivendi. Sous ce régime, les actions transférées sont considérées comme des « remboursements » et non comme des distributions de dividendes. « Tout ou une partie de cette distribution peut constituer un remboursement d’apport, c’est-à-dire que les actionnaires récupèrent leur mise de départ et ne sont donc pas imposables », explique, à BFM TV, Charles Ménard, avocat chez EY Société d’avocats.
De ce fait, chez Canal+, il s’agit de 4,5 milliards d’euros (sur un total de 6,85 milliards d’euros) qui seront considérés comme un remboursement d’apport aux actionnaires et qui ne seront pas imposables. Chez Hachette, sur une valorisation de 2,15 milliards, 1,4 milliards, soit un peu plus de 65%, sont des remboursements. La scission de la troisième entité, Havas, est bien soumise à impôt, ayant conduit au paiement de dividende, tout comme pour Universal Music cela fait près de quatre ans.
Bolloré économise environ 535 millions d’euros
Ce régime fiscal des remboursements d’apports profite essentiellement à l’actionnaire majoritaire du géant Vivendi, à savoir le groupe Bolloré et ses 30% de participations. Le groupe dirigé par Vincent Bolloré détiendra d’ailleurs la même part dans Canal+ et Hachette. Il sera alors exonéré d’impôt sur deux tiers de ces actions.
Pour ses participations dans Canal+, le groupe Bolloré aurait payé un peu plus de 600 millions d’euros s’il avait opté pour une distribution des dividendes. Or, ce montant est de 200 millions d’euros. Pour Hachette, Vincent Bolloré économise environ 135 millions d’euros, en payant 65 millions d’euros d’impôts au lieu de 200 millions.
Au total, le groupe Bolloré économisera environ 535 millions d’euros en optant pour le régime de “scission partielle” et pas pour une distribution de dividendes. Il bénéficie également du régime fiscal “mère-fille”, un dispositif qui permet d’éviter la double imposition des dividendes au sein des groupes de sociétés.
La manœuvre, qui intervient dans un contexte marqué par un débat sur la fiscalité des plus riches en France et les inégalités, soulève des questions sur les pratiques d’optimisation fiscale utilisées par les milliardaires, qui peuvent échapper à une taxation significative grâce à des mécanismes comme le remboursement d’apport.