la lourde amende que risque la France


À grandes enjambées, Louis Cofflard sillonne son bureau du 12e arrondissement de Paris. Costume bleu océan et lunettes carrées, l’avocat de l’association Les Amis de la Terre commente avec passion cette affaire fleuve qu’il porte depuis une décennie devant le Conseil d’État mais aussi devant la Cour de justice européenne (CJUE) également saisie du dossier. « On respire depuis trop longtemps un air illégal ! » s’indigne-t-il. Cela fait bientôt quinze ans que la France transgresse la directive sur la qualité de l’air ambiant et l’air pur pour l’Europe, qui impose aux États membres de respecter un seuil maximum de pollution au dioxyde d’azote de 40 µg/m3 en moyenne annuelle.

Selon les dernières données disponibles, Paris et Lyon enregistrent toujours des mesures au-dessus des limitations. En 2023, respectivement 44,6 et 44 µg/m3 ont été enregistrés autour des grands axes autoroutiers. Il s’agit pourtant d’une question de santé publique. Le dioxyde d’azote (NO2) est un gaz, notamment émis par les voitures essence et diesel, qui a des conséquences désastreuses sur la santé respiratoire humaine (asthme, symptômes bronchitiques, diminution de la fonction pulmonaire).


À Paris, mais aussi à Lyon, le trafic routier est la principale cause des émissions de dioxyde d’azote.
Unsplash/CC/Johen Redman

Le NO2 est responsable de 3 600 décès prématurés en Île-de-France chaque année. Et de l’aveu même du ministère de la Transition écologique, la situation ne risque pas de changer. Dans un document confidentiel datant de cette année qu’Investigate Europe et Reporterre se sont procurés, ce dernier assure que Paris et Lyon pourraient enfin passer au-dessous des seuils « dans les plus brefs délais ». Comprenez : ce n’est pas encore le cas.

Réduire le nombre de poids lourds

L’Hôtel de Roquelaure détaille que « la projection réalisée [par le ministère, NDLR] sur la base des données collectées jusqu’à présent permet raisonnablement de considérer que les concentrations moyennes de dioxyde d’azote mesurées au sein de la zone à risques agglomération de Paris respecteront effectivement la valeur limite en 2025 ». Une projection qui restera à l’état de promesse. Dans la capitale, AirParif, chargé de la surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France, estime que « si la zone à faible émission avec circulation alternée devrait permettre de réduire les émissions, l’absence de réduction du nombre des poids lourds ne permettra pas de descendre sous les seuils règlementaires en 2025 ».

Une bien mauvaise nouvelle pour le gouvernement qui depuis plusieurs semaines compte chaque sou pour faire face au trou abyssal dans les finances publiques. Car cette quinzième année de pollution illégale pourrait lui coûter cher. Depuis 2015, la Commission européenne, constatant l’inefficacité de l’action des autorités françaises dans sa lutte contre la pollution de l’air, a ouvert une procédure en manquement contre l’Hexagone. Après plusieurs mises en demeure et une première condamnation en 2019, cette dernière devrait commencer la dernière étape de ce long processus : le renvoi vers la CJUE en vue d’une condamnation financière lourde.


La Cour de justice européenne pourrait infliger une amende historique à la France pour non respect des seuils de pollution.
Unsplash/CC/Harald Deischinger

Interrogé par Reporterre, un porte-parole de la Commission affirme que la saisine de la CJUE « dépendra des conclusions de l’analyse technique et juridique, des informations transmises par les autorités françaises et de l’évolution des faits », tout en précisant « que l’application du droit de l’Union est l’une des priorités absolues de la Commission ». De son côté, le ministère de la Transition écologique nous a affirmé que « les autorités françaises ont transmis à la Commission les informations relatives aux évaluations prospectives et actions entreprises pour un retour à la conformité. Les échanges sont en cours ».

40 millions d’euros déjà payés

À titre de comparaison, pour la même infraction, la Commission européenne avait demandé en mars 2023 à la CJUE de condamner la Bulgarie à une amende de 12 millions d’euros. D’après nos informations, douze autres procédures en manquement sur cette directive sont aujourd’hui sur le bureau de la Commission. Ce n’est pas tout : le dossier des dépassements des seuils de pollution en France est également sur le bureau du conseil d’État depuis 2017. La plus haute cour administrative française, jugeant « que les mesures prises étaient insuffisantes » dans l’amélioration de la qualité de l’air, a condamné en 2020 la France à 10 millions d’euros d’astreinte par semestre de retard.

Ainsi, entre 2021 et début 2022, le gouvernement français a été forcé de débourser 30 millions d’euros. Fin 2023, le Conseil d’État a encore alourdi l’addition de 10 millions supplémentaires (l’astreinte a été revue à la baisse, car la France respecte désormais les seuils aux particules fines PM10). Total : 40 millions d’euros. L’équivalent de ce que l’État français réclame à la région Pays de la Loire au titre de l’effort national pour le rééquilibrage des comptes.

« C’est une amende historique du Conseil d’État, affirme Antoine Cofflard, l’avocat des Amis de la Terre. Une amende faite pour inciter le gouvernement à agir. » Contrairement à la potentielle amende européenne qui serait une « perte sèche » pour les comptes publics, ces sommes sont versées directement à des associations et services publics travaillant sur la pollution de l’air. Et Paris n’est pas au bout de ses peines. Le 14 octobre, la directive européenne a été révisée : les seuils de pollution au dioxyde d’azote ont été abaissés de moitié. Les agglomérations françaises devront d’ici le 31 décembre 2030 passer sous la barre des 20 µg/m³.

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