Escource (Landes), reportage
Panneaux solaires, candélabres autonomes, batteries de stockage, chaufferie centralisée… Le village d’Escource (Landes) et ses 800 habitants ont pris la transition énergétique à bras le corps. Une démarche initiée il y a plus de quinze ans, mais qui a commencé à faire du bruit en 2022, au moment du conflit en Ukraine. « Nous sommes devenus un exemple, car à cette époque, les communes voyaient leurs factures exploser, alors que nous, on ne payait rien », se souvient Pierre Lasterra, maire du village depuis juin.
S’il se trouve à la tête d’une commune exemplaire, il le doit principalement à son visionnaire prédécesseur. Élu à la tête de la commune en 2008, Patrick Sabin a commencé son mandat avec une catastrophe : en janvier 2009, la tempête Klaus a dévasté le département. « Nous avons perdu 60 % de la forêt des Landes », souligne l’ancien maire.
Inventer un autre système
Le désastre a mis à mal toute une région, mais aussi une filière omniprésente sur le territoire : la sylviculture. Ici, les communes possédaient des hectares de forêt exploités, générant ainsi des revenus. Pour remplacer les arbres désormais à terre, « des opérateurs venaient nous voir pour démontrer que l’installation d’éoliennes et de panneaux solaires seraient plus rentables que l’exploitation forestière », se souvient Patrick Sabin.
Mais, au-delà des simulations alléchantes, la composition de l’actionnariat de ces sociétés, souvent étrangères, dérangeait l’édile : « On ne voulait pas vendre notre vent et notre soleil à des fonds de pension, alors on a inventé un autre système ».
Inspiré par un modèle vu en Allemagne, Patrick Sabin a alors entamé les négociations avec les opérateurs en suggérant un montage dans lequel la commune serait actionnaire. « Les entreprises [lui] riaient au nez », mais la réflexion était en marche. D’un côté, il y avait le changement climatique, parfaitement illustré par la violence de la tempête Klaus. De l’autre, une libéralisation du marché de l’énergie, dont les potentielles dérives ont été immédiatement perçues par l’élu. Le temps était venu de passer à l’action.
En toute logique, c’est par l’isolation des bâtiments, dès 2010, que la première brique d’une politique à long terme a été posée. « Nous avions des passoires thermiques produisant des factures de fou, comme une véranda de l’école maternelle qui nous coûtait 3 000 euros par mois de chauffage ». Mairie, médiathèque, salles des fêtes, écoles… Les immeubles ont été isolés à la ouate de cellulose. Un bon point de départ. L’année suivante, Escource, au sein de la communauté de communes Cœur Haute Lande, est devenue signataire de la charte TEPos (Territoire à énergie positive).
Études financées à 80 % par la région
« Il s’agit d’un simple document d’une page par lequel les collectivités s’engagent à réduire au maximum leurs consommations et à tenter de couvrir leurs besoins avec des énergies renouvelables », précise Patrick Sabin. Mais cette feuille unique a engagé le village dans une autre dimension, puisque sa signature était une condition préalable pour répondre à un appel d’offres de la Région. La Nouvelle-Aquitaine a ainsi financé à hauteur de 80 % les études nécessaires à l’élaboration d’une feuille de route ambitieuse, ainsi que l’embauche d’un chargé de mission à l’échelle de la communauté de communes.
Véritable laboratoire, Escource a enchaîné les projets. « Nous avons été la première commune de France à installer de l’éclairage solaire sur une route départementale », souligne l’ancien maire. Aujourd’hui, plus de 340 candélabres produisent de la lumière à la nuit tombée, sans coûter un centime à la collectivité. Puis, les panneaux solaires ont fait leur apparition en 2012, en commençant par le stade, où ils ont permis de chauffer les sanitaires et l’eau des vestiaires.
Désormais, 1 300 m2 de panneaux solaires recouvrent les bâtiments publics à l’échelle de la communauté de communes, dont 800 m2 à Escource. Sur les toits des deux salles des fêtes, du bâtiment des services techniques ou encore de l’église, ils produisent l’énergie alimentant l’ensemble des bâtiments communaux, tous branchés sur le même réseau fonctionnant en autoconsommation.
Outils partagés avec d’autres communes
Pour pallier les périodes où le soleil fait défaut, des batteries stockent l’électricité pour l’ensemble des bâtiments communaux, tous en réseau sur le même compteur électrique. Installées dans un local technique de la grande salle des fêtes, elles emmagasinent l’équivalent de cinq jours d’autonomie.
Pour le chauffage, les mêmes immeubles sont également en réseau et bénéficient de la chaufferie collective alimentée par le bois produit sur le territoire. « Nous avons la chance d’avoir du bois sur notre commune, alors nous avons créé une plateforme de transformation de nos arbres en plaquettes de chauffage ». Cet outil partagé avec d’autres communes permet aussi de faire jouer la solidarité en vendant du bois à celles qui n’ont pas de forêt, à des tarifs préférentiels.
Au bar tabac, « une économie de 1 000 euros sur l’année »
Car le travail effectué à Escource rejaillit sur les villages voisins. « Ce modèle peut être développé sur l’ensemble de la Nouvelle-Aquitaine, a affirmé Alain Rousset, président (Parti socialiste) de la Région, lors d’une visite à Escource en janvier. Escource est un laboratoire, c’est un démonstrateur que l’on doit massifier pour répondre à l’enjeu fondamental du changement climatique ».
Tout un village au diapason
Si le modèle dessiné à Escource commence à faire des émules dans le Sud-Ouest, la municipalité en fait également bénéficier les commerçants. Sur la place du village, le bar-tabac-épicerie tourne à plein régime du matin au soir. Avec l’électricité achetée auprès de la société d’économie mixte, le commerce réalise une économie substantielle. « Le tarif est de 0,10 euros au lieu de 0,25 euros le kilowatt/heure, cela nous fait une économie de 1 000 euros sur l’année », se réjouit Sylvia, la patronne des lieux. Au-delà des commerçants, les particuliers peuvent aussi désormais profiter de ce surplus d’énergie.
Parmi eux, Jean-Claude est séduit à l’idée « de bénéficier d’une énergie locale, moins chère que celle des fournisseurs classiques ». En 2022, cet Escourçois avait déjà installé des panneaux photovoltaïques sur son toit, inspiré par la dynamique observée sur le territoire. En toute logique, il fait partie des premiers adhérents de la coopérative — actuellement au nombre de 138 — et bénéficiera dès janvier 2025 du même tarif que les commerçants. « C’est une bonne résolution pour un village de s’orienter vers l’autosuffisance énergétique et d’en faire profiter ses habitants », salue-t-il.
« L’écologie n’est pas punitive et nos actions concrètes le démontrent »
En poste depuis juin 2024, le nouveau maire entend marcher dans les pas de son prédécesseur. Selon Pierre Lasterra, « pour faire face à l’urgence écologique, il n’y a pas de meilleure preuve que l’efficacité ». Grâce à cette stratégie, les Escourçois n’ont pas vu leurs impôts augmenter depuis 2008. Mais ce qui rend Pierre Lasterra le plus fier, c’est lorsqu’il entend des discussions d’habitants autour de l’électricité : « Maintenant je vois des gens comparer leurs consommation sur leur smartphone, l’énergie est devenue un sujet de conversation. »
Au total, Escource a investi 1 213 000 euros depuis 2011 dans ses diverses infrastructures liées à la transition énergétique. Un montant abondé par les diverses aides perçues au titre du statut de commune pilote. « Mais même sans les subventions, le retour sur investissement est garanti au bout de huit ans », assure Patrick Sabin. Avec une approche pragmatique et économique, la municipalité a ainsi embarqué tout un village de 800 âmes dans son sillon. « La résistance des citoyens provient souvent du caractère anxiogène, or, l’écologie n’est pas punitive et nos actions concrètes le démontrent », insiste Pierre Lasterra.
legende