Pelage roux, pas furtifs, grandes oreilles aux aguets, regard curieux. Vous l’avez peut-être déjà croisé car, à la campagne, en banlieue pavillonnaire, et même dans les grandes villes, ce petit canidé sauvage qu’est le renard a très bien su s’adapter à la présence humaine.
Mais, entre conflits territoriaux, incursions chasseresses et débats sur les bénéfices ou inconvénients de sa présence, cette colocation de plus en plus étroite ne se passe pas sans heurts… Alors que le goupil déchaîne les passions, Reporterre a recueilli les témoignages de ses lecteurs et est allé consulter quelques spécialistes afin d’éclairer la discussion.
Le renard est-il aussi rusé que sa réputation le laisse croire ?
« C’est un animal superbe. » On sent les yeux de Martine qui pétillent, derrière les lignes de son courriel de témoignage. Habitante de Charente-Maritime, il lui arrive régulièrement de le croiser par chez elle, tentant d’échapper aux chasseurs. « Parfois il passe derrière eux pendant qu’ils discutent », se réjouit-elle.
D’autres lecteurs de Reporterre constatent sa ruse à leurs dépens. Patrice n’a eu qu’un petit moment d’inattention, l’été dernier, alors qu’il ramassait les cerises, « nos deux poules en liberté autour de nous ». Le temps de remonter ses fruits à la maison, au retour, il ne restait que « des plumes et le renard qui s’enfuit ».
S’il n’est pas forcément pertinent de qualifier le renard d’intelligent ou de rusé, on sait en tout cas qu’il a « une bonne mémoire », explique Jean-Steve Meia, biologiste spécialiste de ce mammifère et auteur d’un guide à son sujet chez Delachaux et Niestlé. « Il est extrêmement performant pour retrouver les endroits où il a dissimulé quelque chose à manger », y écrit-il.
La légende est également alimentée par le fait « qu’il est très furtif », ajoute Carine Gresse, de la Société française pour l’étude et la protection des mammifères. Elle recueille des renards ne pouvant revenir à la vie sauvage dans un refuge en Dordogne [1]. « Il change de direction de façon très vive, comme pour tromper l’ennemi. »
Sa taille est un autre avantage. « Il peut passer dans un interstice de 12 cm de diamètre », rappelle-t-elle. « Sa stature [est] assez faible pour qu’il passe inaperçu mais suffisamment grande pour lui permettre d’être mobile », nous informe aussi Jean-Steve Meia dans son guide.
Un omnivore qui s’adapte facilement
Tout cela renforce sa capacité à s’adapter. Souvent considéré parmi les carnivores, il est en fait omnivore, nous rappelle Sandrine Ruette, chargée de recherches à l’Office français de la biodiversité (OFB). « Il prédate d’autres espèces mais se nourrit aussi de fruits, de baies, d’insectes… Ou de nos poubelles, liste-t-elle. Il n’a pas beaucoup d’exigences écologiques, y compris en termes de gîte. Il peut creuser un terrier, utiliser ceux des blaireaux par exemple, se mettre à l’abri de haies denses ou de broussailles… »
Mais combien sont-ils en France ? « À l’échelle nationale, on ne sait pas », reconnaît la spécialiste de l’OFB. « Les derniers comptages datent de 2014, il y avait à l’époque entre 0,5 et 1,5 renard adulte au kilomètre carré sur les territoires étudiés. »
Le renard est-il « nuisible » ?
Ne dites plus « nuisible » mais « espèce susceptible d’occasionner des dégâts », ou Esod. Le renard figurant sur cette liste, il peut être chassé toute l’année.
On croit souvent que ce classement est notamment dû au fait que notre petit canidé transmet des maladies. Mais la rage est désormais absente en France métropolitaine. Reste l’échinococcose alvéolaire, un parasite véhiculé principalement par le renard et qui affecte notre foie. Une trentaine de cas par an en France sont répertoriés.
Or, en 2023, après étude de la littérature scientifique, les experts de l’Anses (l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) étaient formels : « La réduction des populations de renards ne permet pas une diminution du risque d’échinococcose alvéolaire pour les humains voire pourrait l’augmenter. » Une note technique du ministère de l’Écologie le rappelait aux préfets en 2022, « aucune problématique de santé publique ne semble pouvoir fonder le classement Esod du renard. »
Le renard, par son importante population, pourrait également nuire à d’autres animaux sauvages. « Cet impact peut être important sur certains paramètres de la dynamique des populations de proies, comme la survie juvénile (lièvres, perdrix, oiseaux nichant au sol). Mais l’impact semble moins net sur les densités de reproducteurs », indique la note du ministère.
Une chasse de plus en plus dure à justifier
Les chasseurs semblent ne pas apprécier cette concurrence… Mais elle dépend énormément de chaque territoire. L’effet est « contrasté en fonction du contexte », résumait encore le ministère. « Les relations écologiques entre espèces […] sont d’une grande complexité », rappelait l’écologue Marc Artois sur Reporterre. « Si l’on dérange ce réseau de relations en tirant dans le tas, cela peut être contre-productif. »
Pour justifier son classement parmi les Esod, il ne reste donc que les conséquences économiques de la prédation du renard. Poules, œufs, lapins, en particulier dans les élevages de plein air, sont des cibles appréciées. Agneaux et chevreaux nouveaux-nés sont rarement mais quelquefois victimes de leur appétit.
Avec différents collègues et partenaires, Sandrine Ruette a étudié la prédation du renard sur les volailles de Bresse, élevées en plein air. « Quand il prend un chapon tous les soirs, c’est une perte économique conséquente pour l’éleveur », note-t-elle. « On a détecté que cette prédation était le fait d’individus spécialisés : quand ils ont trouvé le chemin du poulailler, ils y retournent ! »
À l’inverse, il ne faut pas oublier que le renard rend des services, en particulier aux agriculteurs et jardiniers quand il chasse des rongeurs, nous rappelle le témoignage de Monique, habitante des Hautes-Pyrénées. Chez elle, depuis « de grandes battues au renard », les rats-taupiers qu’il chassait ont proliféré et ont « dévasté les jardins, dévorant carottes, patates et autres légumes », raconte-t-elle.
Est-il utile de chasser le renard ?
Des années plus tard, l’image est encore bien présente dans la mémoire de Liliane. Ancienne éleveuse de chèvres dans la Drôme, « la neige était belle au soleil », se souvient-elle. « Il avait son beau poil d’hiver […] et faisait le guet. » Puis le « claquement sec » d’un fusil s’est fait entendre. Le chasseur « l’a tiré par la queue, laissant un profond sillon ensanglanté derrière lui ». Notre lectrice a écrit aux chasseurs, leur faisant remarquer que « sa chair ne se mange pas, il ne pullule pas sur notre territoire ».
À l’inverse, d’autres témoignages avancent qu’il y aurait désormais trop de renards, justifiant la chasse. « Il est faux de croire que l’homme doit réguler la nature, écrit pourtant Jean-Steve Meia dans son ouvrage sur le goupil. Tant qu’il y a de la place pour une espèce dans un milieu, ses effectifs se développent. »
C’est le cas pour le renard. Sandrine Ruette a elle-même mené des recherches sur le sujet. Avec ses coauteurs, elle constatait dans un article scientifique paru en 2015 « une forte compensation de la densité par le biais de l’immigration, permettant aux populations de renards roux de résister à des taux d’abattage élevés. »
Autrement dit, même chassée de manière intensive, une population de renards peut se reconstituer rapidement. « C’est que le renard a une dynamique de population assez rapide, explique la scientifique. Dès 8 mois il peut s’accoupler et il fait des portées de 4 à 6 jeunes. En plus, il parcourt de longues distances. Quand il y a des destructions sur un territoire, il est réinvesti dès l’hiver suivant soit par des jeunes soit par des renards venant d’ailleurs. »
« Il peut sembler pertinent d’éliminer les individus qui posent problème localement »
Ainsi, pour elle, il semble presque impossible de « réguler » une population, par exemple en la maintenant sous un certain seuil de renards au kilomètre carré. Pour autant, « il peut par exemple sembler pertinent d’éliminer les individus qui posent problème localement autour d’un élevage », estime la spécialiste de l’OFB. « Parce que l’espèce n’est pas en danger de conservation. »
Autre cas, un renard atteint de gale vivant à proximité des habitations peut selon elle nécessiter un abattage. « Car dans les formes les plus graves, l’animal souffre, n’arrive presque plus à se nourrir, et peut contaminer les chiens », explique-t-elle.
Une cohabitation poule-renard est-elle possible ?
Les lecteurs de Reporterre ont sur cette question des opinions très divergentes. Martine estime que si les propriétaires de poules les laissent dehors « sans leur offrir d’abri sécurisé, il ne faut pas s’étonner ! » Héra, elle, avait « des poules en liberté, elles mangeaient des animaux [insectes, vers de terre] sous les buissons et ronciers où elles aimaient gratter ». Mais les renards « ont tellement proliféré que j’ai autant renoncé à élever des poules qu’à les enfermer pour les nourrir avec des granulés », regrette-t-elle.
Il semble toujours savoir trouver le moment de la journée ou de la nuit où les poules ne sont plus surveillées, l’instant d’inattention, le passage qu’on n’avait pas remarqué dans la clôture… Tous nos spécialistes du renard en conviennent, élever des poules en plein air avec un voisin à poils roux est une affaire difficile.
Pour le goupil, les gallinacés sont une proie facile, tentante. « Surtout en période d’élevage des jeunes, de mi-février à mai-juin, il a tendance à attaquer les poulaillers car ce sont de plus grosses proies, équivalentes à quelques dizaines de campagnols », dit Carine Gresse. « Pour lui, c’est comme si on mettait à disposition des produits attractifs dans un supermarché », compare Jean-Steve Meia.
Il est aussi souvent observé que, pour une poule emmenée, il a tué toutes ses compagnes. « Quand les animaux fuient, se débattent, cela stimule le comportement de prédation », explique Sandrine Ruette.
Lâcher les poules en liberté la journée est donc forcément risqué. Quant au poulailler, il faut le prévoir à toute épreuve. Le grillage doit faire « au moins un mètre cinquante et recourbé en haut vers l’extérieur, bien tendu, et enterré en bas, insiste Carine Gresse. On peut aussi mettre des pavés au pied du grillage côté extérieur car le renard ne pensera pas à gratter à distance de la clôture. »
Il faut aussi être présent tous les jours, détecter rapidement toute faiblesse dans le dispositif, savoir repérer les éléments du paysage qui lui sont favorables et l’incitent à revenir sur ce terrain de chasse. Bref, pour cohabiter avec lui, il faut aussi savoir, en quelque sorte, « penser renard ».
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