Quand des tiny houses relogent des sans-abri


Rouen (Seine-Maritime), reportage

Jogging et claquettes-chaussettes aux pieds, Julien [*] ouvre son portail. « Désolée, je mangeais ! » lance-t-il en nous invitant à entrer sur sa parcelle, située au cœur de l’écoquartier Luciline, au nord de Rouen. Derrière lui se dresse une tiny house, une maisonnette en bois sur pilotis, au toit noir. Il y a deux ans, Julien vivait encore dans « la rue et les forêts » des alentours, après avoir été expulsé de son appartement pour défaut de paiement. « Le pire, c’était quand je dormais sous tente dans les bois. L’hiver, ton linge est pourri par l’humidité, raconte le locataire. Être en tiny, c’est quand même plus confortable. Il fait chaud, il y a une douche et des toilettes. »

Le long des murs, des guirlandes lumineuses ont été suspendues. Et sur la fenêtre de son refuge de 11 m2, Julien a scotché une affiche rougeoyante barrée d’un « Joyeux Noël ». « C’est pour ma fille », précise celui qui vit de magouilles pour assurer au quotidien.

C’est par l’intermédiaire « d’amis de la rue » que le quadragénaire a pu avoir cette tiny house. Il a poussé la porte de l’association La Case départ, qui accompagne les personnes comme lui dans leur réinsertion sociale et professionnelle, et de La Fabrik à Yoops, un atelier qui construit des tiny houses pour les sans-abri. Les deux structures font partie de l’ensemble « Un toit vers l’emploi », imaginé il y a sept ans par un entrepreneur, Franck Renaudin, et véritablement lancé en 2020 grâce à deux levées de fonds. Ici, on soutient, on reloge et on forme en même temps.


Tiny house installée à Notre-Dame-de-Bondeville, près de Rouen.
© Émilie Sfez / Reporterre

« C’est un projet qui répond à beaucoup de choses », résume Catherine Personne, bénévole à La Case départ. Debout au milieu de la cuisine aux murs colorés de l’association, la sexagénaire s’apprête à démouler un gâteau aux noix.

Alors que l’accueil de jour vit de dons, La Fabrik à Yoops tient financièrement grâce aux subventions de la Région, aux loyers de 270 euros prélevés aux occupants des tiny houses et à la vente des micromaisons, à hauteur de 40 000 euros. Les acheteurs, actuellement dix, s’engagent à réserver l’habitat aux personnes mal-logées ou à la rue.


Angèle est éducatrice. Elle vient rendre visite à l’un des locataires des tiny houses du camping solidaire Roumare.
© Émilie Sfez / Reporterre

Un cocon

Cette initiative unique en France a pour objectif, entre autres, de proposer une solution d’habitat alternatif aux personnes sans domicile fixe de la métropole rouennaise. Un peu plus de 200 personnes y sont sans logement, selon un dernier comptage de 2023.

Preuve que le modèle séduit, les tiny houses ont à titre expérimental été homologuées comme des logements sociaux. Elles ont aussi été inscrites au Plan local d’urbanisme de Rouen en début d’année. Deux « énormes avancées », se félicite Franck Renaudin, qui a toutefois nécessité l’agrandissement des tiny houses à 14 m2.


Dans l’atelier de fabrication des tiny houses.
© Émilie Sfez / Reporterre

Fabriquées dans un grand hangar jouxtant les bureaux de La Case départ, elles sont équipées d’un grand lit, d’une salle de bain et de deux meubles de cuisine. Ce 16 décembre, les ouvriers assemblent le plancher d’une nouvelle micromaison dans une ambiance guillerette. « On monte les pieds », précise Valentin, la trentaine. L’ancien maçon a décroché un contrat d’apprenti à l’atelier et un appartement cet été après des mois de « galères » dans la rue. « Les tiny c’est super, mais un peu trop petit pour ma chienne. J’ai préféré me mettre en colocation », explique-t-il.


Valentin, qui a vécu dans la rue pendant quelques mois, est aujourd’hui employé en contrat d’insertion dans l’atelier de fabrication des tiny houses.
© Émilie Sfez / Reporterre

Son compagnon de charpente, Iano, habite dans la toute première tiny house bâtie et installée sur le parking de La Case départ. « Pour une personne, c’est très bien, c’est tranquille. Si on est deux, ou qu’il y a un bébé, c’est compliqué », confirme le Roumain, en France depuis deux ans.

Pour une personne sans domicile fixe, habiter dans un immeuble signifie se retrouver entourée de voisins, être vue dans l’ascenseur, les escaliers, les couloirs… « Ils n’ont pas envie d’être jugés, reprend Franck Renaudin. C’est pour ça que les gens au long passé de rue plébiscitent les tiny. En revanche, pour les plus jeunes ayant passé moins d’un an sans logement, c’est une première étape avant de retourner en appartement. »

Rejet des toilettes sèches

À la base, en plus de leur vocation sociale, les mini-chalets devaient être autonomes. « Ça allait de soi, comme les tiny sont déjà un habitat respectueux de l’environnement. C’est petit, ça consomme peu, c’est mobile… » avance Franck Renaudin, devant les premières tiny houses installées dans le parc arboré d’une résidence pour personnes âgées.

Toilettes sèches, phytoépuration — épuration des eaux usées par les plantes —, poêle à bois… Toutes ses belles idées ont volé en éclats une fois confrontées à la réalité. « Il y a eu un rejet total des toilettes sèches. Les bénéficiaires ne comprenaient pas pourquoi on leur imposait ça, certains ont même remplacé leurs toilettes sans nous prévenir. Pour la phytoépuration, comme tu n’as pas le droit de recycler tes eaux grises autrement que par les égouts, il fallait refaire des études à chaque installation de tiny. Ça nous aurait coûté trop cher », liste Franck Renaudin.


Cette tiny house, placée devant l’association La Case départ, est occupée par l’un des employés en contrat d’insertion.
© Émilie Sfez / Reporterre

Quant aux poêles à bois, « j’ai simplement eu peur qu’un jour ou l’autre, l’un des occupants, dans un accès de colère ou de folie, mette le feu à la maison et se crame avec… C’est un public fragile psychologiquement, avec des histoires d’addictions à la drogue et à l’alcool », poursuit-il.

Déjà 16 micromaisons, dont 5 à Rouen, ont été implantées sur des parcelles municipales. Celles-ci sont habitées par une majorité d’hommes, des jeunes et des moins jeunes, aux parcours de vie difficiles. Beaucoup « ont subi des humiliations, ont été battus ou carrément mis à la porte par leurs parents durant l’enfance ou l’adolescence, rapporte Franck Renaudin. Pour les autres, c’est souvent le cas de la réussite sociale qui tourne mal : ils perdent leur boulot ou divorcent ».

« Faire la manche toute la journée, c’est pas une vie »

Douze autres tiny houses ont été disposées à Roumare, au nord de Rouen, dans un camping. C’est ici que vit Mame Bilal. La Sénégalaise de 22 ans est arrivée dans l’Hexagone dans la perspective de continuer ses études. Atteinte du lupus, la jeune femme a emménagé dans sa tiny l’été dernier en attendant de renouveler ses papiers « d’étrangère malade ». Ce logement lui permet « d’être plus autonome », dit-elle, assise au chaud dans sa petite maison. Dans sa salle de bain et dans l’évier, le linge et la vaisselle s’entassent. « Les tiny n’ont pas été encore raccordées à l’eau », s’excuse-t-elle, emmitouflée dans sa doudoune.

Depuis la fin novembre, celle-ci a un nouveau voisin d’infortune : Morty [*], ancien dealer de drogues dans les campagnes normandes. Ce 16 décembre, le jeune homme désherbe et restaure le terrain de pétanque. Il raconte « les vols de son ex », « les perquisitions chez ses parents », précise que son frère est gendarme « en plus ».

N’ayant plus d’endroits où rester, il a dormi quelques mois en tente et dans une caravane « trouée de partout ». Très vite, il a demandé à être relogé. « Faire la manche toute la journée, c’est pas une vie », admet-il. Son but : repasser son permis et retrouver son poste à la fonderie locale.


Mame Bilal, 22 ans, est arrivée dans l’Hexagone dans la perspective de continuer ses études.
© Émilie Sfez / Reporterre

À La Case départ, la liste des nouveaux venus s’allonge : en 2024, les équipes ont reçu 80 personnes de plus que l’an passé. Pourtant, le rythme des installations reste excessivement long, soupire l’entrepreneur. Une majorité des édiles « nous disent ouvertement que c’est un public qui fait peur à leurs administrés. Et ils n’ont pas envie de prendre le risque d’importer de la précarité sur leur commune », explique Franck Renaudin.

A contrario, à Rouen, l’adjointe aux solidarités, Caroline Dutarte, a immédiatement été emballée par cette initiative qui « permet de diversifier l’offre en termes d’habitat ». Ce n’est pas l’envie qui manque, plaide-t-elle, mais « ce n’est pas évident de trouver des terrains sécurisés, à côté de transports en commun et où il est possible de faire des raccordements » à l’eau et l’électricité en zone urbanisée.

« Sans habitat alternatif, il y aura toujours des gens à la rue », selon l’entrepreneur Franck Renaudin. Et de préciser que depuis le début de l’aventure, « nous n’avons eu qu’un seul retour à la rue. Les autres ont intégré un appartement, une maison médicalisée ou une résidence pour personnes âgées. »

Julien, locataire d’une tiny dans le quartier de Lucilline, espère de son côté être placé dans un appartement avec une chambre pour sa fille. « Ça me permettra de gagner des bons points auprès du juge, et peut-être, d’obtenir sa garde. »





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