« Brasser de l’air et s’envoler » ? Voilà la proposition intrigante du comédien Xavier Guelfi à contre-sens des injonctions performatives et cyniques de notre modèle de société. Sur scène jusqu’au 9 juin 2025 à la Scala de Paris, il a accepté de répondre avec optimisme à nos questions… éco-anxieuses !
Comment ne pas être assommé par la morosité du monde, ses actualités morbides et son manque d’horizon ? Alors que nous vivons une ère de destruction environnementale massive et de monopoles privés, de guerres, de recul démocratique, de fake news, d’inégalités grandissantes… C’est peu dire que les moments de respiration et de beauté nous sont plus que jamais essentiels pour tenir bon. Une mission toute trouvée pour l’art !
Dans son seul en scène, pendant plus d’une heure suspendue, Xavier interprète avec poésie et humour plusieurs personnages écrits avec l’aide de Thomas VDB et François Rollin. Son protagoniste principal, lui, se pose par exemple les bonnes questions, mais pas les plus simples : Pouvons-nous être juge et partie de nos propres erreurs ? L’humain est-il bon ou mauvais ? A-t-il une chance de se sauver lui-même, et le reste du vivant ? Et surtout, comment retrouver son chemin, voire le bonheur, dans ce vacarme incessant… ?
Au brouhaha de notre époque et des enjeux écologiques, il finira de répondre par un regain d’espoir, naïf et léger, mais finalement vital et communicateur. Qui a dit que rêver à mieux était une tare ? Ce vent d’optimisme, à l’heure où tout nous pousse à baisser les bras, nous a donné envie d’en savoir plus sur l’homme derrière le costume. Entretien vivifiant.
Interview : brasser de l’air avec Xavier Guelfi
Mr Mondialisation : Bonjour Xavier. Tout d’abord,… qui est Xavier Guelfi ?
Xavier Guelfi : Bonjour ! Lecteurs, Lectrices ! Qui est Xavier Guelfi… c’est une question assez vaste, que je me pose d’ailleurs de moins en moins tant je crois qu’il est vain de se définir avec précision et de manière immuable… ce que sont des mots couchés sur le papier.
« je suis aujourd’hui : un être né dans les années 90, ayant vécu très intimement l’avènement des écrans portatifs qui m’ont plongé dans les méandres des images et influences de tous horizons… »
Je serai donc prudent et répondrai de manière assez classique que je suis aujourd’hui : un être né dans les années 90, ayant vécu très intimement l’avènement des écrans portatifs, mon père étant chercheur en informatique j’étais lié dans mon cocon familial, presque en avant-première par rapport à mes camarades, aux nouveautés digitales et à l’essor d’Internet qui ont marquées mon adolescence. Et m’ont plongé dans les méandres des images et influences de tous horizons.
Aujourd’hui, je suis, « professionnellement parlant », un comédien qui écrit également de temps à autre et met en scène. J’ai un parcours assez classique de grandes écoles, puis d’expérience dans le théâtre public ainsi que sur certains plateaux de tournage. Et depuis peu, je me suis lancé dans la création de ce seul en scène : « Brasser de l’air et s’envoler ».
Mr M : Dans votre spectacle, vous vous lancez avec beaucoup d’humour et optimisme le défi de cerner notre humanité et de lui apporter les clefs du bonheur. Deux équations impossibles à résoudre, qui plus est en à peine plus d’une heure ! Comment cette envie folle et volontairement démesurée vous est-elle venue ?
Xavier G. : Cette envie m’est venue pour différentes raisons. Tout d’abord justement parce qu’elle est folle ou en tout cas « absurde » ! J’ai toujours particulièrement affectionné les personnages qui nous paraissent irrationnels et qui nous permettent donc de questionner notre « normativité » . Pourquoi voit-on cela comme absurde, loufoque ou fantaisiste ?
« L’impossibilité d’exprimer une pensée optimiste sans paraître naïf et à côté de la plaque est quelque chose qui à mon sens nous tire davantage vers les abîmes ».
Et n’est il pas terrible de se dire qu’une tentative de chercher de l’optimiste à l’heure actuelle soit forcément vue comme « folle » , « irréaliste » ? Je trouvais important de nous mettre face à ce constat qui ne peut à la longue qu’être décourageant.
L’impossibilité d’exprimer une pensée optimiste sans paraître naïf et à côté de la plaque est quelque chose qui à mon sens nous tire davantage vers les abîmes. Je pense que les croyances que nous avons influence la réalité de ce que nous vivons, en bonne partie en tout cas.
Suffoquant au milieux de l’amoncellement des nouvelles terribles, des constats atroces, j’ai ressenti le besoin de tourner mes lectures vers d’autres paroles que celles des Aurelien Barreau, Camille Étienne et autres « lanceurs d’alertes ». Leur travail est absolument nécessaire et essentiel ! Et je les admire beaucoup. Mais il m’arrivait souvent de terminer la lecture de certains de leurs écrits en étant assez résigné.
Pour contrebalancer et trouver un équilibre, j’ai cherché d’autres écrits comme ceux de Rutger Bergman avec « L’humanité une histoire optimiste » et « Utopie réaliste » qui offraient une séries d’exemples, de connaissances, et de recherches, qui me laissaient plein d’une foi nouvelle et donc d’une énergie d’agir et de changer mon quotidien très forte.
Les visions pragmatiques mais appuyées par des témoignages documentés qui attestent d’une faisabilité de changement, d’un optimisme actif, étaient pour moi des shots de désir de m’investir. Auprès d’associations, agir également dans mon quotidien ainsi que dans mon Art, c’était beaucoup plus fort que lorsque ma nourriture littéraire, informative, scientifique, artistique se limitait aux œuvres qui montraient principalement et souvent uniquement les problèmes. Ce qui, je trouve, peut nous mener vers l’inertie, une forme déprime et d’inaction.
Je me suis convaincu que la racine de beaucoup de problèmes qui gangrènent nos systèmes est justement lié à ce manque de croyance optimiste. Qui peut être à la fois réaliste.
Mr M : Vous incarnez dans ce seul en scène plusieurs personnages : un oncle abîmé mais moteur, une petite souris de gauche, un iguane d’extrême droite, un frère capitaliste,… Où se situe votre voix dans ce vacarme ? Comment choisir sa propre voie et s’y tenir dans cette palette si diversifiée de paradigmes ?
« La contradiction est partie inhérente de la vie »
Xavier G. : Ma voix dans ce vacarme est la voix centrale, qui enquête, questionne et ne s’appesantit presque jamais.
Comment choisir sa propre voie ….Je suis acteur et auteur dans ce spectacle et je ne détient pas de vérité. Je ne peux pas répondre à cette question de manière catégorique et je m’en garderai bien, chacun·e fait son travail au milieux de la multitude de voix qu’il ou elle entend.
La contradiction est partie inhérente de la vie. C’est le fil que l’on décide de tirer à travers tous ces nœuds qui compte, le mien dans le spectacle en tout cas est celui du désespéré, l’égaré qui trouve son salut, sa place dans la recherche démesurée de solutions coûte que coûte avec entrain et force joyeuse.
Mr M : Vous utilisez une métaphore au cours de votre récit, celle des deux pingouins que nous aurions en nous : l’un destructeur, l’autre collaborateur. Celui qui gagnera la bataille de l’évolution est celui que nous nourrirons ? À quel point peut-on nourrir le bon pingouin dans un monde qui nous incite à s’en détourner ? Sommes-nous vraiment seuls à alimenter ces parts de nous ?
Xavier G. : Je crois que l’on peut le nourrir justement en créant des endroits d’expression qu’ils soient artistiques ou autre. Ces expressions sont des nourritures spirituelles qui, pour l’instant sont à la marge mais, qui plus on les alimente, plus elles se rependent et je crois permettent les changements. C’est comme ces oiseaux à la marge dans les nuées, qui permettent de guider les autres et de faire basculer tout le groupe vers une autre direction. Ces oiseaux-là, plutôt que de les pointer du doigt comme d’irrationnels utopistes, je crois qu’il est nécessaire de les nourrir pour leur donner la force de continuer à être dans la marge et nous offrir d’autres perspectives de chemins.
Il y a heureusement la possibilité de travailler sur « notre pingouin » collaboratif, créatif, à l’écoute, actif, cherchant… par l’éducation, par les petits soins jour après jours…
Évidement qu’il y a des empêchements à cela , des inégalités et injustices viscérales qui font frein à la possibilité de trouver ces nourritures que souvent la société ne nous incite pas à solliciter et ne nous propose pas. Mais il y a des chemins de traverse à prendre, à essayer de découvrir et j’ai voulu modestement en proposer un avec un spectacle .
Mr M : L’amour serait notre salut. Un salut que d’aucuns diront niais, puéril, utopiste, hors sol… Mais vous refusez cette façon qu’à notre époque de désacraliser et décridibiliser les belles idées. Comment en sommes-nous arrivés à ce stade de cynisme ?
Xavier G. : Il est extrêmement difficile pour moi de répondre à ces questions car je ne suis ni historien, ni voyant. Mais j’ai le sentiment que ce stade de cynisme a été atteint par une tendance naturelle à recevoir de façon décuplée les événements traumatisants et terrorisants. L’homme a été capable d’atrocités inimaginables et il a créé des systèmes de société qui peuvent être aliénants et dont le récit véhiculé laisse à penser que sans autorité ni violence ce serait le chaos total. Comment ne pas être méfiant, cynique et désabusé ?
« On pourra en sortir si on alimente d’autres récits, si on équilibre nos façons de regarder le monde et nos prochains … j’ose le croire. »
Pas forcément. On pourra en sortir si on alimente d’autres récits, si on équilibre nos façons de regarder le monde et nos prochains … j’ose le croire.
Je ne sais si pour y parvenir les spectacles et œuvres suffiront mais on voit bien qu’elles mobilisent beaucoup plus et nous transportent d’avantage que les démonstrations de forces et de puissance militaire notamment.
Mr M : Au travers de l’humour et de la poésie, vous pointez du doigt une impasse en particulier : la solution à notre propre crise pourra-t-elle venir de nous ? Il faudrait être jugé par un tiers extérieur, mais l’extraterrestre est impossible à incarner et la carotte ne sait pas parler. Y a-t-il un œil avisé qui puisse nous aider à nous voir tels que nous sommes ?
Xavier G. : Évidemment ! Il y en a un ! Moi dans le spectacle, mais il faut venir le voir ! Dis-je ! Hehe.
Blague mise à part, il y en a plusieurs ! Des poètes, des grands mères, des enfants !
Mais plutôt que de vouloir nous voir tels que nous sommes, cherchons un peu à trouver ce que nous souhaitons faire ensemble. Ça sera hybride, contradictoire, mais sans jambes gauche et droite nous ne marcherions pas ! Seulement, je trouve qu’il y en a une aujourd’hui qui est dix fois plus grosse que l’autre et qui nous fait tanguer…
Mr M : Brassons de l’air et envolons-nous avec un dernier petit défi démesuré : en un seul mot, qu’est-ce que l’humanité ? et en un autre, comment sortir de la folie destructrice dans laquelle nous sommes tombés ? Vous avez 2 heures…
Xavier G. : L’humanité = les possibles. Comment sortir de la folie destructrice ? par une folie reconstructiviste !
Merci à Xavier Guelfi d’avoir pris le temps de cet échange aussi profond qu’aérien !
Retrouvez-le à la Scala (75010) jusqu’en juin 2025 pour un moment aussi doux qu’intelligent, à la fois hors-du-monde et en plein dedans.
– Sharon H.
Photo de couverture : Xavier Guelfi @Christophe Raynaud de Lage