Arbois (Jura), reportage
Du riz, des pâtes, quelques légumes frais, des yaourts… Sur les étagères et dans les frigos du Panier arboisien, branche locale de la Croix-Rouge, les bénévoles piochent de quoi préparer des colis, qu’ils distribuent chaque mardi et jeudi. Ces dernières semaines, du bœuf bourguignon est venu s’ajouter à la liste des produits glissés dans le panier, vendu pour la somme symbolique de 2 euros.
Emmanuel Ogier, éleveur de génisses au sein de la Ferme de Germigney, dans le Jura, a en effet réservé une partie de sa viande à la structure d’aide alimentaire, à qui il propose un tarif préférentiel : 10,80 euros au lieu de 11,80 euros le kilo. « Je prépare des portions de 500 g ou d’1 kilo », décrit le producteur. « Ça nous permet de manger de la viande, ce qui est rare », dit Martine [*], en reprenant son cabas. « Je ne pourrais pas m’en acheter, renchérit Stéphanie [*], jeune mère. Et c’est pareil pour les fruits et les légumes… »
C’est l’idée du projet Miam : faire du lien entre le monde agricole et celui de l’aide alimentaire. Il est porté par le Civam, le centre d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural de la région Bourgogne-Franche-Comté, et par Active, association d’accompagnement de l’économie sociale et solidaire.
Problèmes logistiques
« Nous sommes partis de plusieurs constats : une hausse du nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire, une baisse des produits récupérés lors des collectes dans les supermarchés, une demande de produits de meilleure qualité de la part des bénéficiaires, mais aussi une baisse des débouchés de certains producteurs », énumère Marie Jonnard, chargée de ce projet au Civam.
Ces constats, qui ne se limitent pas à la région, obligent les structures d’aide alimentaire à diversifier leurs approvisionnements. Si chacune fonctionne selon sa propre organisation, toutes reposent en grande partie sur des dons — invendus de supermarchés mais aussi dons d’industries agroalimentaires — et sur les produits de l’aide européenne livrés aux quatre principales associations d’aide alimentaire. Soit la Fédération française des banques alimentaires (FFBA), la Croix-Rouge, les Restaurants du cœur et le Secours populaire. Face à la diminution des volumes, et à un manque de diversité des produits collectés, certaines structures cherchent à se tourner davantage vers les producteurs locaux.
« Les producteurs n’ont pas le réflexe »
La mise en place de partenariats n’est pas si simple. Même sur un petit territoire, « les producteurs n’ont pas le réflexe de contacter l’aide alimentaire quand ils ont des surplus », remarque Marie Jonnard. Sa collègue d’Active, Alice Meunier, complète : « Les bénévoles sont déjà très pris, et n’ont pas forcément la disponibilité pour modifier leur mode de fonctionnement. »
Des problèmes logistiques peuvent aussi se poser : comment transporter et stocker les denrées récupérées ? Des structures comme Solaal (Solidarité des producteurs agricoles et des filières alimentaires), ou encore l’application Proxidon, développée par la FFBA, cherchent à débloquer certains de ces freins, en facilitant la mise en relation et en organisant le transport. Ces solutions ne sont pas toujours connues ni développées dans tous les territoires, et les plus petits producteurs fonctionnent souvent à flux tendu, rendant les surplus rares ou en volumes réduits.
Des initiatives naissent cependant ponctuellement, voire se structurent sur la durée. « Nous cherchons à développer les dons volontaires, avec des partenaires qui s’engagent à programmer une partie de leur production pour les banques alimentaires », expose Barbara Mauvilain, directrice du service relations institutionnelles à la FFBA.
Des structures dépendantes des subventions
Pour contrer le caractère aléatoire du don, et rémunérer justement les producteurs, les structures développent également des stratégies d’achats. En ce sens, le fonds Mieux manger pour tous (MMPT) a fait l’effet d’une petite révolution : entre 2023 et 2027, l’État entend débloquer entre 60 et 100 millions d’euros par an pour aider les structures d’aide alimentaire à développer leurs approvisionnements locaux, à travers l’achat direct de denrées — 40 millions d’euros en 2023 — et le développement d’expérimentations locales.
Ce programme a été jugé « satisfaisant » la première année par les associations, selon un rapport du Sénat, mais serait « inadapté à l’urgence ». Ramenés aux 7 millions de bénéficiaires de l’aide alimentaire, ces montants semblent encore bien faibles, d’autant plus en période d’inflation.
Toutefois, grâce à cette aide, Alexandra Guyon, chargée de mission « approvisionnement local » à la BA de Franche-Comté, a pu réaliser plusieurs opérations : « Nous avons acheté de la viande bio à une coopérative d’abattage dans les Vosges, ou encore des butternuts et des potimarrons à un maraîcher victime d’une gelée blanche, qui a d’ailleurs ajouté 1,3 tonne de pastèques. Souvent, l’achat est complété par le don », assure celle dont le poste est également financé par MMPT.
Dans le Loiret, le Secours populaire utilise cet argent pour acheter chaque mois des légumes à un maraîcher, pour les revendre à très bas coûts à ses bénéficiaires sur des « marchés pop’ ». Un nouveau débouché pour Guillaume Sampé, qui fournit déjà les Restos du Cœur et le Secours catholique. « Environ 40 % de mes légumes sont destinés à l’aide alimentaire, ce qui représente environ 20 % de mon chiffre d’affaires », calcule le maraîcher, qui réussit à trouver son équilibre économique grâce à ses autres clients.
Les mairies ont un rôle essentiel
« Les achats sont la source d’approvisionnement la plus pilotable, souligne Louis Cantuel, responsable du pôle institutionnel et stratégique des Restos. Ils permettent de choisir les produits, d’évoluer sur leur gamme et leurs origines. » Les Restos, dont le modèle repose historiquement sur une large part de produits achetés, signent depuis 2021 des conventions d’approvisionnement locales. Toutefois, la gestion des achats reste centralisée, comme dans les banques alimentaires. Résultat : la marge de manœuvre des acteurs sur le terrain est parfois limitée. Et l’achat « local » passe parfois par des plateformes où les négociations laissent peu de place aux petits agriculteurs.
Quand ils le peuvent, certains bénévoles se tournent vers d’autres financeurs : collectivités locales, fondations, mécénat d’entreprises… Mais restent majoritairement dépendants d’aides, publiques ou privées. « J’ai toujours la crainte que les conventions ne soient pas renouvelées », reconnaît Guillaume Sampé.
Les politiques locaux jouent ainsi un rôle essentiel dans la pérennité des initiatives : « Lorsqu’un élu est dédié à cette question, ça facilite les choses, précise Marie Jonnard. De nombreux leviers peuvent être activés grâce aux élus locaux, comme la mise en lien des acteurs, le prêt de locaux, ou de foncier. » Dans le Jura, la ville de Champagnole a ainsi mis à disposition 6 000 m2 de terres à la BA du département, sur lesquelles un maraîcher produit des légumes qu’il vend intégralement à cette structure. À Besançon, c’est un jardin nourricier qui a été mis en place par la ville et la BA : un agent municipal ainsi que des bénévoles y font pousser des légumes, destinés aux bénéficiaires.
L’objectif de Miam est donc là : faire émerger des projets pérennes, ayant un modèle économique hybride, mêlant autofinancement et financements publics et privés. Parmi les solutions identifiées : le glanage, les jardins d’insertion… ou même la Sécurité sociale alimentaire, qui permettrait de ne plus avoir besoin de recourir au système de l’aide alimentaire.
Voici les autres articles de notre série sur des initiatives solidaires et écologiques en France :
Pour ne pas rater les suivants, abonnez-vous à notre infolettre.
legende