Grandes villes en proie à solitude, et aux revenants
Lors de la fondation de la République populaire de Chine, en 1949, moins de 10 % de la population vivait en ville. Plus de soixante-dix ans plus tard, le taux dépasse 60 % ; il devrait atteindre 80 % d’ici 2035. Colossal, un tel bouleversement modifie la société ainsi que ses croyances les plus intimes, comme l’illustre de façon inattendue l’étude du marché des niches funéraires dans le sud du pays.
Un lundi d’octobre 2023, mon assistante de recherche et moi-même avons pris le ferry de Hongkong pour Macao en vue de visiter un columbarium privé. À notre arrivée, nous avons été accueillis par Rachel, directrice des ventes au columbarium, qui comptait sur nous pour lui acheter plusieurs niches. Elle était élégamment vêtue et conduisait une voiture de sport électrique, rouge et flambant neuve. Conçu pour contenir cinquante mille niches à urnes funéraires réparties sur six étages, le columbarium dispose d’un hall d’entrée fastueux et de plusieurs salles à thèmes religieux gracieusement décorées et réparties sur trois étages. Les lieux font l’objet d’un entretien soigneux et restent ouverts chaque jour de l’année. Au moment de notre visite, seulement dix mille niches avaient été vendues, dont environ sept mille étaient pourvues. La plupart peuvent contenir deux urnes. Certaines sont destinées à des familles de quatre, six ou douze personnes. La plus grande peut accueillir jusqu’à trente-six urnes.
Certaines salles sont plus luxueuses que d’autres et quelques niches y occupent une place privilégiée. Celles qui sont situées sur la rangée du milieu, ou qui bénéficient d’une belle vue vers l’extérieur — sur une statue du Bouddha, du Bodhisattva ou de quelque autre divinité — valent également plus cher. Les prix varient entre 120 000 dollars hongkongais (environ 14 000 euros) pour les plus abordables et 8 millions de dollars hongkongais (environ 1 million d’euros) pour les plus spacieuses et les plus cossues. S’y ajoutent divers frais pour l’entretien, le conditionnement des cendres, le transfert ou les « extras », comme l’intervention d’un religieux pour assurer les rituels ou les achats de fleurs lorsque les proches du défunt ne peuvent pas se rendre sur place.
Selon Rachel, comme les niches coûtent plus cher et sont moins bien entretenues à Hongkong, de nombreux habitants de cette ville préfèrent en acquérir une à Macao, malgré la distance. Elles ne peuvent être revendues. Leurs prix augmentent (…)
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