Décembre 2023. En Loire-Atlantique, de mystérieuses rondelles en plastique alvéolé s’échouent par centaines sur les plages de Saint-Nazaire et Pornic. Prévenus par les citoyens, des salariés de Surfrider Foundation se rendent sur place pour témoigner de l’ampleur de la pollution.
Depuis quinze ans, l’association environnementale mène l’enquête et enregistre les échouages signalés par les citoyens de ces cylindres en plastique de 1 à 5 cm de diamètre, appelés biomédias, ou médias filtrants. Ils sont surtout utilisés dans des stations d’épuration, où ils servent à fixer les bactéries.
« Les biomédias sont utilisés absolument partout dans le monde »
D’autres industries, comme la pisciculture, la production et la transformation du papier et l’extraction d’hydrocarbures, en utilisent. Les biomédias constituent une source de pollution plastique d’autant plus préoccupante qu’un seul accident peut provoquer la fuite de millions de ces pièces en plastique dans les milieux naturels.
« Les biomédias sont utilisés absolument partout dans le monde, explique Philippe Bencivengo, chef de projet déchets aquatiques de la Surfrider Foundation Europe. Des citoyens nous ont alertés de leur présence en Australie, aux États-Unis, ou encore au Brésil. » Partout, ils représentent un danger pour les animaux, qui les avalent.
La première alerte a été donnée en 2009 sur la côte aquitaine, entre le Pays basque et les Landes. « De fil en aiguille, des bénévoles ont fait le lien avec les stations d’épuration », raconte le militant. Depuis, Surfrider recense les rejets de biomédias dans les milieux aquatiques. Une quarantaine de cas de pollution ont ainsi été identifiés dans une douzaine de pays européens, dont le Danemark, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, l’Espagne, la Suède…
En juillet 2024, l’ONG a dévoilé une mise à jour de son rapport sur la pollution aux biomédias (publié initialement en 2018), assorti d’un guide de bonnes pratiques destiné aux professionnels. Permettant de vulgariser cette problématique, ces documents recensent, entre autres, les profils d’acteurs qui les utilisent.
Ils permettent des stations d’épuration moins grandes
Toutefois, seules les stations d’épuration qui utilisent des procédés d’épuration de l’eau dits à « culture à lit fixé fluidisé » en font usage [1]. Les médias filtrants interviennent lors de la phase de traitement biologique, leur rôle étant d’offrir aux bactéries épuratrices un milieu de vie adapté afin qu’elles soient plus efficaces.
« L’intérêt des médias filtrants est de concentrer les bactéries dans les bassins et de pouvoir réduire leur emprise au sol », détaille Cécile Bellon, responsable de l’assainissement au sein de la communauté de communes du Guillestrois et du Queyras (Hautes-Alpes). Sur notre communauté de communes, qui est en zone de montagne, quatre stations utilisent ce process-là. »
Incidents techniques et erreurs humaines
En 2016 et 2021, deux incidents y ont entraîné des pertes de biomédias dans l’environnement. Alors que ces fuites sont survenues du côté de la station de Molines-en-Queyras (construite en 2008), des milliers de médias filtrants ont été signalés jusqu’au lac de Serre-Ponçon, 60 km en aval, où ils ont été retrouvés lors d’opérations de nettoyage organisées par la Ligue de protection des oiseaux.
Cécile Bellon indique avoir alors communiqué sur ces incidents « en toute transparence » : « Le premier débordement était lié au dysfonctionnement de poires de niveau, qui n’ont pas émis de signaux d’avertissement lors de la montée des eaux. Le deuxième était la résultante d’un incident de manipulation. Comme le procédé est innovant [les biomédias sont utilisés depuis le début des années 2000], ce type de problème n’avait pas été pris en compte par le constructeur, à l’époque. »
Depuis, la communauté de communes affirme avoir effectué les aménagements nécessaires sur les stations concernées, construites par Sogea, filiale du groupe Vinci, et l’entreprise Veolia. Elle a notamment installé des grilles sur les bassins afin que les biomédias ne puissent plus en sortir.
Dans son guide sur les médias filtrants, Surfrider répertorie les incidents survenus ces quinze dernières années. Elle souligne qu’il s’agit « généralement du résultat d’une succession de défaillances, matérielles ou humaines ». L’occasion de rappeler la responsabilité des concepteurs et non uniquement celle des utilisateurs.
Des pièces retrouvées dix ans plus tard
Dans la plupart des cas, les plastiques ne sont pas récupérés par les pollueurs et la pollution se poursuit pendant des années. « Dans les années 2010, au niveau de l’estuaire de la Bidassoa [fleuve frontalier entre la France et l’Espagne], d’anciennes papeteries en ont relargué dans l’environnement, détaille Philippe Bencivengo. On retrouve encore des biomédias issus de cette pollution plus de dix ans plus tard. »
Identifier l’émetteur s’avère difficile. Une fois dans l’océan, du fait de leur faible densité, les médias filtrants flottent à la faveur des courants marins. Contrairement aux emballages, qui permettent parfois d’identifier une origine, ces rondelles en plastique sont utilisées par une grande diversité d’acteurs.
« L’enquête est particulièrement difficile à mener dans le cas de pollutions diffuses, explique Philippe Bencivengo. Quand il s’agit de pollutions massives, où l’on retrouve des milliers de biomédias, on peut plus facilement remonter jusqu’à la source. Selon le territoire, il s’agit d’identifier les stations municipales à proximité et de vérifier si elles sont utilisatrices. Sinon, il faut élargir aux entreprises. »
Solutions « simples et peu coûteuses »
Afin de pallier le défaut de réglementation sur l’utilisation de ces pièces de plastique, l’ONG plaide aux niveaux européen, national et régional pour la prise en compte de cette pollution plastique. Elle milite notamment en faveur de l’application du principe pollueur-payeur en cas d’accident. Dans les Hautes-Alpes, des arrêtés préfectoraux relevant de la police de l’eau ont été pris depuis l’été 2024, contraignant les responsables de stations à ramasser cinq fois plus de déchets plastiques que le volume estimé des pertes.
« À force de rappeler cette problématique au sein des groupes de travail sur les déchets marins aux échelles européenne et nationale, et à force d’en parler auprès de divers acteurs publics, des objectifs de réduction des pollutions liées aux biomédias sont progressivement intégrés », dit Philippe Bencivengo. C’est le cas de la révision de la directive européenne sur les eaux résiduaires urbaines, qui mentionne désormais les biomédias.
À l’échelle des stations d’épuration, les solutions à mettre en place peuvent être « simples et peu coûteuses », précise Surfrider dans son guide destiné aux professionnels. « Prévention et information sur les spécificités liées à l’usage de biomédias, accompagnement des utilisateurs durant les phases de lancement du procédé (…), mise en place de procédures de récupération en cas d’incident » : les points d’amélioration énumérés dans le guide sont nombreux, mais le travail de sensibilisation n’en est qu’à son début.
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