Ils récoltent du bois et le distribuent aux plus pauvres


Massif de la Chartreuse (Isère), reportage

Au fur et à mesure de la montée, le paysage devient de plus en plus blanc. Arrivé sur le plateau à 950 mètres d’altitude, la route s’arrête net devant le monastère de Notre-Dame-de-Chalais, dans le massif de la Chartreuse, à une vingtaine de kilomètres de Grenoble (Isère). Des enfants font de la luge sur la plaine tandis que de rares promeneurs commencent leur balade. En cette matinée de mi-décembre, malgré les nuages, la neige illumine toute la montagne.

Aussitôt sa voiture garée, Luc Seegner enfile ses gants, met son casque, sort sa tronçonneuse et se dirige vers une dizaine de troncs de frênes couchés sous la neige. « Allez vous balader au belvédère pour admirer la vue sur la vallée, c’est vraiment beau et j’en ai pour un moment », prévient-il.

À 68 ans, il a bravé le froid pour venir couper du bois pour Martine, l’une des bénéficiaires de son association Forêt chauffante. Le principe est simple : couper et ramasser du bois abandonné sur des parcelles forestières pour le donner à celles et ceux qui n’ont pas les moyens de se chauffer.

Chutes abandonnées, arbres malades…

Des chutes laissées après une coupe, des arbres tombés à la suite d’une tempête ou qu’il faut abattre à cause d’une maladie… « Il y a beaucoup de bois disponible, constate Luc Seegner, il suffit de demander l’accord aux propriétaires. [Les donateurs] sont essentiellement des particuliers, j’ai contacté plusieurs mairies mais une seule m’a répondu par la positive ». Ici ce sont les sœurs du monastère qui ont donné les frênes, malades à cause d’un champignon.

« S’ils peuvent avoir une seconde vie auprès de personnes démunies, c’est tant mieux. Le projet est tout simple mais c’est la première fois qu’on nous demande ça, nous avions envie de le soutenir », indique Sœur Agnès.


En plus de cet engagement bénévole, Luc Seegner est économe, soit chargé des stocks, dans un hôtel.
© Pablo Chignard / Reporterre

Ce matin, Luc Seegner est seul pour s’occuper du bois mais l’association compte huit autres bénévoles. Il fait ça quelques heures de temps en temps, en plus de son travail d’économe — chargé des stocks — dans un hôtel. Pour payer les divers frais, 70 % du bois récolté est donné et le reste est vendu « à prix raisonnable » à des particuliers. Des boîtes du coin ont également mis la main à la poche.

Une fois le tronc découpé en plusieurs rondins, le sexagénaire passe à la hache pour former des bûches. D’un geste à la fois précis et puissant, il travaille vite, on voit qu’il a l’habitude. « J’ai appris grâce à un ami bûcheron, couper du bois me détend. »

« Laisser des gens crever de froid, ça me rend malade »

L’idée de créer son association remonte à l’an dernier, lors d’une balade en forêt où il se rend dès qu’il le peut pour faire de la photographie animalière. « Je suis tombé sur des chutes [de bois] abandonnées après une coupe, les propriétaires — des moines — étaient d’accord pour me les donner, à condition que je les partage », raconte le passionné de vélo, entre deux coups de hache.


«  Il y a beaucoup de bois disponible, constate Luc Seegner, il suffit de demander l’accord aux propriétaires.  »
© Pablo Chignard / Reporterre

Un message qui résonne avec son histoire : orphelin de père et de mère, « je m’en suis sorti dans la vie grâce à des gens qui m’ont tendu la main et j’ai eu envie de rendre la pareille. Laisser des gens crever de froid, ça me rend malade », dit-il sans donner plus de détails. Depuis un an, une douzaine de personnes ont pu remplir leur poêle ou cheminée de bois grâce à l’association.

Chez Martine, « il fait parfois 10 °C »

Cela peut sembler peu. Pourtant, Luc Seegner sait que beaucoup d’autres n’ont pas les moyens de se chauffer. « Les gens entendent parler de l’association grâce au bouche-à-oreille mais une partie n’ose pas demander du bois. La plupart du temps, une personne m’appelle pour aider un proche en situation de précarité. »

Selon une étude de l’Insee publiée cet été, 11,7 % de Français se sont privés de chauffage en 2023. Le bois reste le combustible le moins cher pour se chauffer et 7 millions de personnes en France y ont recours. Or, le prix du stère (1 m3 de bois empilés) a augmenté de 20 % environ entre 2022 et 2024. Il oscille actuellement entre 70 et 150 euros en moyenne, en fonction du type de bois choisi et des régions de résidence.

En cause : la hausse de la demande — liée à l’envolée des prix de l’électricité et du gaz depuis l’hiver 2022 — et l’augmentation des coûts de transport.


L’association a des frais (matériel, essence…) qu’elle couvre en partie en vendant 30 % du bois récolté.
© Pablo Chignard / Reporterre

Près de deux heures plus tard, la remorque est remplie de bûches. Il faut maintenant aller livrer Martine qui vit à Saint-Égrève, en banlieue de Grenoble. Devant le portail de sa maison, Martine nous attend, un gros gilet sur le dos, visiblement heureuse de revoir Luc Seegner. « Je vous apporte du frêne, c’est le top du top, ça brûle très bien », lui annonce-t-il.

À 70 ans, la retraitée qui touche un peu moins de 1 000 euros de pension mensuelle ne peut plus payer son chauffage au gaz depuis trois ans. « Il fait parfois 10 °C dans la maison mais je m’adapte, j’ai une bouillotte, un plaid et je multiplie les couches », sourit-elle avec ses yeux verts, toujours positive. Pendant que Luc Seegner dépose le bois en petit tas devant la porte, l’ancienne assistante maternelle qui vit seule avec son chien Snoopy raconte comment elle doit ruser pour utiliser le moins d’électricité et de gaz possible.

Mots fléchés et bouillotte

« J’ai souscrit un contrat d’électricité Tempo chez EDF, ça me permet d’avoir des prix réduits sauf les jours rouges — vingt-deux fois par an — où c’est majoré. Dans ces cas-là, je n’allume pas la lumière, je me promène dans la maison avec une lampe torche, je n’utilise pas le four, je remplace la TV par les mots fléchés et je ne charge pas mon téléphone », énumère Martine. Si elle a vraiment trop froid, « j’allume quelques minutes mon poêle à pétrole le soir ». Au-delà du chauffage au gaz et de l’électricité, la septuagénaire aux longs cheveux châtains dit avoir « tout réduit », du forfait de téléphone aux croquettes pour Snoopy données par une association.

Lorsqu’elle a entendu parler l’hiver dernier de l’association Forêt chauffante par un ami avec qui elle organise des distributions alimentaires, « je me suis dit alléluia ». Bien que sa cheminée ne chauffe pas toute la maison, « quand les premières flammes apparaissent, c’est un pur bonheur, rien que de les voir, ça me réchauffe ».


Cette assistante maternelle à la retraite touche moins de 1 000 euros par mois et ne peut plus payer son chauffage au gaz.
© Pablo Chignard / Reporterre

Avec ce que Luc vient de déposer, elle devrait en avoir pour quelques semaines. « J’ai toujours peur de ne pas en avoir assez, donc je rationne. Le bois dans la cheminée, c’est seulement un peu pour le soir. » Si elle ne nous invite pas à rentrer chez elle, Martine profite du moment pour sociabiliser et nous faire visiter son grand jardin où grandissent figuiers et pommiers. Au fond, elle a aussi quelques palettes mais « ça brûle très vite ».


Le bois est le combustible le moins cher pour se chauffer et 7 millions de personnes en France y ont recours.
© Pablo Chignard / Reporterre

La visite chez Martine est la seule tournée de bois pour la journée — soit plus de trois heures en tout. « Je dois me limiter à la périphérie de Grenoble sinon ça fait trop de route », dit Luc Seegner. Il a reçu plusieurs messages de personnes proposant de lui fournir du bois ailleurs en France. « Je les invite à créer leur propre association, ce ne sont pas les besoins qui manquent ! »


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