« On éprouve une grande déception face à ce bilan très insuffisant. » Noémie Brouillard, chargée de projets à Zero Waste France, ne mâche pas ses mots pour qualifier l’état du tri à la source des biodéchets en France, un an après son obligation.
Depuis le 1er janvier 2024, conformément à la loi anti-gaspillage (Agec) de 2020, tous les Français auraient dû avoir accès à au moins une des solutions de tri des déchets organiques existantes : bac à compost au fond le jardin, point d’apport volontaire au coin de la rue, bac partagé dans la cour de l’immeuble, collecte séparée en porte-à-porte… Une ambition qui, comme le rapporte cette responsable associative, n’a malheureusement pas su trouver un terreau fertile dans la majorité des collectivités. Au 1er juillet 2024, seulement 39 % des Français bénéficiaient d’un accès à un dispositif de tri à la source, selon l’Agence de la transition écologique (Ademe). Ce retard dévoile les manquements d’une politique de généralisation du tri, inégalement déployée sur le territoire.
« L’échéance ne date pas d’hier, les collectivités ont eu le temps de se préparer », souligne Noémie Brouillard. Elle fait remonter les prémices du projet à 2015, avec la loi relative à la transition énergétique (LTECV), avant d’évoquer les directives européennes desquelles découle la loi Agec.
Regrettant le manque d’anticipation des collectivités, elle rappelle que l’absence de tri des restes alimentaires et déchets verts de jardin participe à un encombrement inutile des décharges et une incinération très énergivore. Comme ces déchets sont composés à plus de 80 % d’eau, il faut davantage d’énergie pour les brûler que leur combustion n’en procure. À l’inverse, valoriser les biodéchets permet de nourrir les sols via le compostage ou de produire du biogaz par méthanisation. Aujourd’hui, les biodéchets dans les ordures ménagères représentent chaque année 83 kg par habitant.
Une responsabilité partagée
Toutefois, pour Zero Waste France, la lenteur du déploiement relève d’une responsabilité partagée. L’ONG pointe « l’absence de mesures contraignantes » et le manque d’accompagnement financier. L’État ne prévoit pas de sanctionner les communes qui n’ont pas de plan d’action pour le tri à la source. « Comme il n’y a pas de sanction prévue, la politique publique est moins incitative, surtout pour des collectivités qui manquent de moyens », indique Noémie Brouillard.
Selon l’Ademe, le coût médian de la gestion des biodéchets s’élève à 21 euros/habitant/an — soit près de 2,1 millions pour une ville de 100 000 habitants. Il varie selon la méthode utilisée : la collecte séparée au porte-à-porte est souvent la plus chère (25 euros/habitant/an). Seuls 20 % des ménages sont couverts par cette solution.
Les collectivités ont plutôt tendance à recourir au compost individuel ou partagé, surtout en milieu rural, où l’affrètement d’un camion de collecte est plus cher au vu des distances.
Des besoins territorialisés
Grenoble Alpes Métropole est, par exemple, au rendez-vous de la loi Agec. Avec un premier schéma directeur des déchets lancé en 2017, la collectivité de 450 000 habitants a choisi une solution mixte. La collecte séparée au porte-à-porte couvre 320 000 habitants. La gestion de proximité en compostage individuel et collectif s’occupe du reste des communes rurales et montagnardes.
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D’autres collectivités, comme la métropole de Bordeaux, encaissent un retard plus important. Anna Nieto, chargée de mission au Plan stratégique des déchets, l’explique notamment par la nécessaire restructuration du service des déchets une fois le plan adopté en mars 2022. « Il a fallu agrandir les équipes, recruter, lancer des marchés, faire des études de terrain, ce qui prend du temps. »
Ayant commencé la distribution de composteurs individuels dès 2012, la collectivité note un pic de demandes fin 2023, les habitants pensant, à tort, devoir se mettre en conformité par eux-mêmes avec la loi. La métropole doit encore en distribuer 30 000 pour équiper tout le territoire extrarocade ; et 1 600 bornes d’apport volontaire sont prévues pour 2026 dans la zone intrarocade. Bordeaux Métropole espère tenir la cadence actuelle avec un souhait à terme de disposer de sa propre unité de collecte et tri internalisée.
« Un coup de marteau pour nos finances »
L’État a mis en place en 2023 un Fonds vert pour la transition des territoires afin de financer les équipements de tri. Cette aide couvre les frais d’équipement, mais ne soutient pas tellement l’accompagnement au tri et l’entretien après l’installation. Malgré le retard d’agenda, France Nature Environnement (FNE) salue les améliorations faites. Elle signale toutefois l’amputation de ce fonds en avril dernier, avec une perte de 20 %, chutant à 2 milliards d’euros.
Bordeaux, elle, a déposé sa première demande de 4 millions pour 2025, mais avec la réduction des enveloppes budgétaires, elle émet des doutes sur sa validation. L’horizon 2025 et l’instabilité politique actuelle ternissent le diagnostic : « On craint une nouvelle réduction du Fonds vert pour l’année à venir », s’inquiète Pénélope Vincent-Sweet, référente biodéchets à FNE.
La construction des budgets pour 2025 est un réel défi, confie le président de Grenoble Alpes Métropole, Christophe Ferrari. Il s’agit selon lui d’« un coup de marteau pour nos finances ». Il désavoue les injonctions d’économie de 10 à 20 millions d’euros sur son budget global, soit une réduction de 20 % de l’enveloppe métropolitaine. Une « inconséquence absolue ».
38 % de Français insuffisamment informés
L’enjeu autour de la communication est le dernier principal frein à la généralisation du tri, rapportent les associations et élus. Beaucoup appellent à une campagne de sensibilisation nationale pour remédier au déficit d’informations : selon un sondage de l’Ademe, 38 % des Français interrogés se disent insuffisamment informés sur les solutions de tri à la source.
Les ONG y voient une urgence, quand le ministère de la Transition écologique a déclaré attendre que 1 habitant sur 2 soit couvert avant de lancer une stratégie de communication nationale. Le président de la métropole grenobloise rappelle pourtant que la réussite de leur stratégie de tri repose en grande partie sur « la pédagogie et l’accompagnement ».
La métropole a déployé des moyens conséquents pour sensibiliser : mise en place d’ambassadeurs du tri, de maîtres composteurs dans les copropriétés ou encore de distributions de sacs biodégradables au porte-à-porte. Pensant aux plus petites collectivités, Christophe Ferrari soutient que « l’État a un rôle majeur en matière d’accompagnement sur les questions de transition, notamment pour compenser les inégalités territoriales ».
Zero Waste France propose à l’État d’établir des seuils quantitatifs pour un accompagnement progressif. L’agenda est très ambitieux : 39 kg par habitant pour 2026 et 15 kg pour 2035.
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