Tags nazis, anti-migrants, attaques antisémites… Face à la montée des actes racistes sur tout le territoire, l’antifascisme opère un retour au local. Après ses actions dans les villes emblématiques comme Lyon, Rennes, Paris ou Marseille, il agit désormais dans l’Ain ou les Côtes-d’Armor.
« Les dernières élections [présidentielle et législatives] n’ont fait que confirmer que l’Ain est depuis toujours une terre de droite. Cela a permis aux racistes de se sentir pousser des ailes. Nous avons jugé qu’il était nécessaire d’occuper une place sur le terrain », écrivait fin octobre le groupe antifasciste des pays de l’Ain, nouvellement créé.
Loin des grandes villes, l’antifascisme se structure. « Mouvement assez logique quand on voit ressurgir, en particulier en milieu rural, des groupes informels d’extrême droite, peu ou pas structurés, qui rassemblent autour d’un passé rural fantasmé », explique Seb [*], membre de La Horde, plateforme d’information sur l’antifascisme.
« Un front autonome est nécessaire »
C’est notamment le cas à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), où le Collectif de vigilance antifasciste CVA 22 a rejoint le front commun antifasciste breton, fondé en 2023. Regroupant des militants d’horizons divers, ils partagent le besoin de s’unir face à une extrême droite, institutionnelle comme informelle, décomplexée.
Le point de bascule a été l’abandon, en 2023, d’un projet d’accueil de migrants à Callac après des pressions exercées par l’extrême droite. « Après ça, l’extrême droite de rue a commencé à s’organiser de manière plus violente, raconte Camille [*], membre du CVA 22. C’étaient d’abord des tags homophobes le long du trajet de la marche des fiertés de Saint-Brieuc. Puis une vingtaine d’individus cagoulés et armés ont attaqué les participants du Festival pour une Bretagne ouverte et solidaire. »
En Bretagne, les multiples visages de l’extrême droite ont la particularité de pouvoir s’agréger : des indépendantistes bretons aux membres du groupuscule néonazi rennais l’Oriflamme, en passant par les antennes bretonnes du syndicat agricole la Coordination rurale. « D’où la nécessité de construire un front aussi large de notre côté », dit Camille.
Même riposte à Besançon, où le collectif antifasciste, La Nuée créé en 2022, affirme « qu’en dehors des mondanités parisiennes et autres sentiers battus, un front autonome et intersectionnel est nécessaire en Bourgogne Franche-Comté », dit Luc [*], membre du collectif.
Dernièrement, la tentative d’implantation du syndicat d’extrême droite La Cocarde à l’université de Besançon, mais aussi les incursions violentes du groupuscule néonazi et paramilitaire Vandal de Besak, parmi lesquelles la dégradation de la librairie anarchiste L’Autodidacte et les pressions exercées sur la radio indépendante locale BIP, n’ont fait que renforcer leurs intentions. « Si Besançon a de fortes traditions antifascistes, la création d’un jeune collectif antifasciste dans la petite commune de Montbéliard, ce n’était jamais arrivé », ajoute Luc.
D’autres exemples confirment une percée de l’antifascisme en dehors de ses villes d’implantation ancienne. En 2023 est né le Collectif antifasciste du bassin minier, créé par des habitants d’Isbergues (Pas-de-Calais), une commune de 9 000 habitants située entre Saint-Omer et Arras, dans une région où dix sur douze circonscriptions ont élu des députés du Rassemblement national (RN).
Le Réseau angevin antifasciste (RAAF) a lui aussi retrouvé une certaine vitalité, notamment en luttant contre les universités d’été d’Academia Christiana — une organisation identitaire et catholique traditionaliste fondée par Julien Langella, cofondateur de Génération identitaire —, qui se déroulaient à Bécon-les-Granits, près d’Angers.
Écologistes et antifascistes
Cette restructuration de l’antifascisme dans les territoires se fait en partie main dans la main avec des militants écologistes, notamment par le biais de la lutte contre les grands projets imposés. À Sainte-Soline (Deux-Sèvres), en 2023, écologistes et militants autonomes, parmi lesquels de nombreux antifascistes, ont fait front commun contre la privatisation de l’eau.
Le 5 octobre dernier, plus de 100 bateaux étaient prêts à prendre le large vers l’île du Loc’h, propriété du milliardaire d’extrême droite Vincent Bolloré, pour mettre en lumière la présence de son gardien à terre, le néonazi et ancien du Groupe union défense (GUD) Marc de Cacqueray-Valménier. Les rafales à 30 nœuds ont finalement redirigé la manifestation vers le port de Concarneau où, selon Les Soulèvements de la Terre, « une vague antifasciste a déferlé ».
« Comment ne pas militer ensemble ? »
L’organisation de l’événement, porté par Lever les voiles, un ensemble de collectifs locaux et nationaux, s’est en partie appuyée sur la connaissance du maillage local des militants antifascistes finistériens. « Cette action commune contre l’empire Bolloré a fait naître une envie forte de pousser les frontières de l’écologie à l’antifascisme. Depuis, des liens concrets se nouent entre les collectifs écolos et antifascistes locaux, qui prennent la forme de longues discussions et de formations mutuelles », confirme Juliette [*], membre des Soulèvements de la Terre ayant participé à l’organisation de l’action dans l’archipel des Glénan.
« Quand on voit monter l’argumentaire écofasciste, comment ne pas militer ensemble ? » renchérit Camille [*], qui a commencé à militer auprès de Youth for Climate, avant de rejoindre le collectif antifasciste breton.
En effet, parmi les obsessions de l’extrême droite, on trouve le fantasme de la ruralité, symbolisée par une France paysanne et blanche prétendument déchue. Certains rêvent même de rejoindre des villages « patriotes et blancs », à l’image de l’initiative communautaire dans un hameau isolé en Bourgogne, révélée par Marianne. Clément Martin, porte-parole de Génération identitaire, n’a-t-il pas appelé en 2020 à « reconquérir les campagnes » et y créer des zones identitaires à défendre (zad), s’inspirant de l’imaginaire des luttes écologistes ?
Des bénéfices mutuels
Face à des adversaires communs, l’alliance entre écologistes et antifascistes sonne avec plus d’évidence. Encore faut-il s’accorder sur les lignes de conduite. Depuis un an, La Nuée et Les Soulèvements de la Terre se réunissent au moins une fois par mois dans l’écoquartier des Vaîtes à Besançon, pour discuter méthodes de lutte.
« Les antifas ont une arme redoutable : l’expérience de terrain. C’est important que nos cultures puissent s’infuser : pour certains militants écologistes, une piqûre de rappel sur ce qu’est le fascisme est la bienvenue. Mais les ponts, ça se construit, ce n’est pas visible tout de suite », dit Martin [*], membre des Soulèvements de la Terre. Les bénéfices à tirer de cette coalition sont mutuels.
« Prendre part au combat pour l’écologie sociale est un excellent moyen de renforcer les dynamiques antifascistes sur un territoire, notamment rural. Ces luttes rassemblent et fédèrent, posent la question des communs, permettent de sortir de l’entre-soi militant et de construire de nouvelles alliances », peut-on lire dans l’ouvrage Dix questions sur l’antifascisme, du collectif La Horde, édité chez Libertalia.
Ce n’est toutefois pas la première fois que les antifascistes participent aux mobilisations écologistes. Le réseau No Pasaran était investi dans l’organisation des camps climat à Notre-Dame-des-Landes en 2012. À Sivens, dans le cadre de la défense de la zone humide du Testet, des moyens de lutte issus des pratiques antifascistes avaient été soumis aux militants écologistes. En Allemagne, l’union des écologistes et des antifascistes est opérationnelle depuis quelques années. Preuve en sont les 1 400 activistes réunis dans un camp climat à Erfurt en août dernier pour officialiser une liaison claire entre antifascisme et écologie.
Existe-t-il, pour les collectifs écologistes, un risque répressif de revendiquer cette alliance ? Au contraire, selon Martin, des Soulèvements de la Terre : « Au vu du harcèlement policier disproportionné dont on fait déjà l’objet, des accusations d’écoterrorisme, de la tentative de dissolution des Soulèvements de la Terre et des interdictions de territoire visant les militants contre le projet autoroutier A69, nous avons au contraire tout intérêt à combattre le fascisme et la fascisation de l’État en tant que militants écologistes. »
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