L’esprit critique littérature : trois nouveautés de janvier


Un ouvrage en forme d’approche dense et ludique d’une vie minuscule ; un roman punk entre mauvais genre et changement de genre ; et la quête littéraire d’un père psychanalyste plutôt que la quête psychanalytique d’un père… tel est le programme de cet « esprit critique » consacré à la rentrée des romans de janvier.

« L’esprit critique » s’intéresse aujourd’hui successivement au nouveau livre de Jean Echenoz, Bristol, publié aux Éditions de minuit ; puis à Carnes, le premier texte percutant de la toute jeune Esther Teillard que font paraître les éditions Pauvert ; et enfin au nouveau roman de l’Italien Emanuele Trevi, La Maison du magicien, aux éditions Philippe Rey.

« Bristol » 

Bristol n’est pas, ici, le nom d’une ville du Royaume-Uni ou d’un élément de bureau, mais du personnage principal du nouveau roman de Jean Echenoz, baptisé Robert Bristol, qui donne son titre à ce roman publié, comme les précédents, aux Éditions de minuit.

Après avoir saisi des personnages célèbres, tels le compositeur Maurice Ravel, le marathonien tchèque Emil Zátopek dans Courir ou encore Nikola Tesla dans Des éclairs, le Prix Goncourt 1999 se consacre à des vies minuscules, pour reprendre les termes de Pierre Michon.

Son précédent livre, intitulé Vie de Gérard Fulmard, suivait le parcours d’un ancien steward devenu détective privé échouant à surveiller la fille d’un chef de parti.

Celui-ci nous plonge dans un instantané de la vie de Robert Bristol, réalisateur de cinéma pas excellent qui souhaite adapter le roman d’une écrivaine populaire, Marjorie des Marais. Cela le mène en Afrique, où il rencontre notamment un chef de milice, le commandant Parker, et une jeune actrice protégée de la romancière, Céleste Oppen.

Après l’échec critique et public du film, Robert Bristol revient chez lui à Paris, dans un immeuble où un jeune policier en instance de divorce enquête sur un homme tombé du balcon, en soupçonnant Bristol et en tombant amoureux de la voisine de ce dernier, une actrice âgée, végétarienne et séduisante.

Comme toujours avec Jean Echenoz, nous sommes entre les mains d’un romancier qui aime jouer autant avec ses personnages qu’avec ses lecteurs et lectrices, capable d’écrire des phrases comme : « Jacky Pasternac serait assez facile à décrire, mais on n’en a pas tellement envie. » Ou, à propos de son intrigue : « Ne nous étendons pas sur la mélancolie, qui, face à cet échec, s’est emparée de Bristol, évitons de détailler ce tableau, préférons l’ellipse à l’hypothèse. »

« Carnes » 

Carnes est le premier roman d’Esther Teillard, publié aux éditions Pauvert. À seulement 23 ans, l’autrice, qui est aussi journaliste, livre ici un texte percutant dans lequel la narratrice, venue de Marseille pour étudier aux Beaux-Arts de Cergy, passe d’un monde structuré par le machisme à un autre irrigué par le wokisme.

Comme l’écrit la narratrice : « Les Beaux-Arts de Cergy ressemblent à une société à l’envers, un squat où la déglingue est bossée à la chaux. […] Il y a une centaine d’élèves, les trois quarts ont rejeté leur genre de départ. Ici, le punk, c’est celui qui est resté accroché à son appareil génital. »

Le roman est aussi constitué par une galerie de portraits des personnages que rencontre la narratrice durant ses études. Ève, qui « a beaucoup erré à Notre-Dame-des-Landes. Elle est revenue avec un piercing au frenulum et une voix perçante de certitudes ». Hestia, qui a grandi, dans tous les sens du terme, après une rencontre avec la bite d’un exhibitionniste et qu’on « accueille maintenant dans l’espace public comme une mère à l’enterrement de son enfant unique ».

Ou encore Médée, femme trans et TDS (travailleuse du sexe) qui tient un carnet de ses clients, notamment un flic qui lui a « demandé plusieurs fois de l’enculer avec un manche de brosse à cheveux ». « C’est lui qui ramenait la brosse, il a fini par me dire que c’était celle de sa fille. » Médée au sujet de laquelle la narratrice écrit : « Ça ne fait que deux ans qu’elle est sexuellement active, pourtant son body count est digne des vieilles putes de la rue Curiol qui étaient là avant Defferre. Elle a beaucoup baisé pour se rattraper. »

« La Maison du magicien » 

La Maison du magicien est le titre du nouveau livre du romancier et journaliste italien Emanuele Trevi, qui s’était fait remarquer avec Deux vies, un texte sur l’amitié, le temps et la mort.

Dans cet ouvrage-ci, publié par les éditions Philippe Rey et traduit par Nathalie Bauer, il est également question du temps et de la mort, puisque le narrateur, dans un texte à haute teneur autobiographique, s’installe, après la mort de son père, dans l’appartement de ce dernier, pour répondre enfin à ce que lui disait constamment sa mère à son propos, « tu sais comment il est », et qu’il ne sait finalement pas vraiment.

C’est cet appartement qui donne son nom au titre de l’ouvrage, car Mario Trevi, le père de l’auteur, était un psychanalyste jungien célèbre, un guérisseur et donc une sorte de « magicien » capable de réparer les corps et les âmes traumatisés.

Le roman constitue à la fois une enquête sur le passé de ce père qui fut résistant communiste, une approche de la capacité de la psychanalyse à saisir la profondeur et la vérité des êtres, et une série de rencontres entre l’auteur et une mystérieuse visiteuse, une femme de ménage qui ne range rien et la cousine de celle-ci, avec laquelle il entretient une relation située entre prostitution et affection.

Avec :

  • Blandine Rinkel, écrivaine, critique et musicienne ;
  • Youness Bousenna, qui chronique notamment l’actualité littéraire pour Télérama ;
  • Lise Wajeman, professeur de littérature.

« L’esprit critique » est un podcast enregistré par les équipes de Gong et réalisé par Karen Beun.



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