Une caricature qui ne passe pas. Une censure en bonne et due forme ou juste une critique de trop ? La dessinatrice de presse Ann Telnaes a annoncé samedi 04 janvier 2025 avoir démissionné du Washington Post après le rejet de l’une de ses caricatures, qui critiquait le milliardaire Jeff Bezos, fondateur du groupe Amazon, mais surtout propriétaire du journal, et son don d’un million de dollars au fonds d’organisation de l’investiture du président élu Donald Trump, pour s’attirer ses bonnes grâces et apaiser une relation tendue pendant de nombreuses années. Les responsables éditoriaux rejettent tout “parti pris”, justifiant le rejet du dessin par leur volonté de “s’opposer à la répétition”.
Mark Zuckerberg et Jeff Bezos, les patrons de Meta et Amazon, cherchent à apaiser leurs relations tendues avec Donald Trump. Après des années de conflits, notamment pendant le premier mandat du président élu, les deux milliardaires ont chacun fait un don d’un million de dollars à son fonds d’investiture. Les deux magnats de la tech ont déjà rencontré Trump lors d’un dîner à Mar-a-Lago, pour lui exprimer leur soutien et leur volonté de “l’aider” à mettre en œuvre ses réformes.
Bezos, Zuckerberg, Altman … et Mickey Mouse se prosternent devant Trump
Cette démarche intervient après une période particulièrement houleuse entre Trump et ces géants de la tech, Meta et Amazon. La suspension du compte Facebook de Trump suite à l’attaque du Capitole en 2021 avait exacerbé les tensions. Le républicain avait accusé Zuckerberg d’utiliser sa plateforme pour influencer les élections en faveur des démocrates et qualifié Facebook « d’ennemi du peuple ». De son côté, Bezos avait été critiqué par Trump pour la couverture médiatique du Washington Post, dont il est propriétaire.
Les dons, effectués en guise de gestes de réconciliation, semblaient surtout motivés par un pragmatisme commercial, Zuckerberg et Bezos étant conscients des risques qu’une opposition frontale au président élu pourrait faire peser sur leurs intérêts. Amazon, en plus de son don, diffusera l’investiture de Trump sur Prime Video, représentant un don en nature supplémentaire d’un million de dollars.
Des gestes que le Washington Post ne voit pas d’un bon œil. Du moins, sa célèbre dessinatrice de presse, Ann Telnaes, récipiendaire du prix Pulitzer du dessin de presse en 2001. Samedi, elle a annoncé sur son blog Substack sa démission du journal, après le rejet de l’une de ses caricatures.” Je travaille pour le Washington Post depuis 2008 en tant que dessinateur éditorial (…) Pendant tout ce temps, aucun dessin n’a été supprimé à cause de la personne ou de l’objet sur lequel j’ai choisi de pointer mon stylo. Jusqu’à maintenant”, a-t-elle écrit.
Que comporte ce dessin ? Il illustre le fondateur d’Amazon, à genoux, tendant un sac plein d’argent, à une statue représentant le président élu américain. A ses côtés se trouvent Mark Zuckerberg, Sam Altman, patron de l’entreprise d’intelligence artificielle OpenAI ainsi que Patrick Soon-Shiong, propriétaire du Los Angeles Times. Plus loin, Mickey Mouse est prosterné devant la statue, représentant la Walt Disney Company, propriétaire d’ABC News, qui avait accepté de payer 15 millions de dollars pour mettre fin à une procédure en diffamation intentée par Donald Trump.
“Le dessin qui a été supprimé critique les PDG milliardaires du secteur des technologies et des médias qui font de leur mieux pour s’attirer les faveurs du président élu Trump (…) et qui bénéficient de contrats gouvernementaux lucratifs, et désireux d’éliminer les réglementations en se dirigeant vers Mar-a-lago”, écrit encore Ann Telnaes.
“Dangereux pour une presse libre”
“Il n’est pas rare que les rédacteurs en chef s’opposent aux métaphores visuelles d’un dessin s’ils estiment qu’elles ne sont pas claires ou ne transmettent pas correctement le message voulu par le dessinateur, mais ce n’était pas le cas pour ce dessin”, poursuit-elle. “Pour être clair, il y a eu des cas où des croquis ont été rejetés ou des révisions demandées, mais jamais en raison du point de vue inhérent au commentaire du dessin. Cela change la donne… et c’est dangereux pour une presse libre”, peut-on lire.
Le Washington Post a contesté les affirmations de sa désormais ex-dessinatrice de presse. Le responsable des pages éditoriales, David Shipley, tout en exprimant son respect pour Ann Telnaes et sa contribution au journal, affirme que le rejet de ce dessin a été “guidé par le fait que le journal venait juste de publier un éditorial sur le même sujet” et qu’un autre, satirique, était déjà prévu. “Le seul parti pris a été de s’opposer à la répétition”, a-t-il indiqué.
Cet épisode rappelle celui de fin octobre lorsque le Washington Post annonçait son intention, pour la première fois depuis une quarantaine d’années, de ne soutenir aucun candidat lors des élections présidentielles américaines remportées par Donald Trump. La décision, très mal accueillie par les employés du journal, était aussi imputée au propriétaire Jeff Bezos.
Avant même d’entamer son second mandat le 20 janvier prochain, le président élu a signalé son intention de porter plainte contre des médias. Si des juristes minimisent les chances que ces procédures aboutissent, ils alertent contre les risques d’intimidation et d’autocensure.