Soorts-Hossegor (Landes), reportage
Les cimes des pins se balancent au rythme du vent qui s’engouffre dans cette forêt des Landes située sur la commune de Soorts-Hossegor. Depuis le 4 janvier, six « écureuils » — ces militants qui s’accrochent dans les arbres — ont érigé une plateforme de planches entre plusieurs troncs à quelques mètres au-dessus du sol. Le plancher de bois sur lequel ils vivent est désormais le point d’ancrage et de ralliement de la lutte contre la ligne à très haute tension (THT) du golfe de Gascogne.
Pas moins de 300 kilomètres de lignes électriques doivent être installés au fond de l’océan d’ici 2027, pour rallier la France et l’Espagne. L’opération menace de nombreuses espèces protégées marines.
« On a reçu énormément de soutien de la part des habitants », s’enthousiasme Kiwi [*], l’une des « écureuils ». Un accueil qui lui va droit au cœur et qui lui offre une raison de continuer. « J’ai la lutte joyeuse », lance-t-elle tout sourire, assise à côté d’une bâche qui recouvre les denrées alimentaires que les locaux leur apportent.
« Durcir le mouvement »
L’avancée des travaux menés par le Réseau de transport d’électricité (RTE), avec de nouvelles routes coupées à la circulation depuis le 6 janvier, a ravivé les tensions autour du projet.
Depuis trois ans, des habitants des Landes se mobilisent. Ils ont créé un collectif, baptisé Stop THT 40. Des recours juridiques sont en train d’être étudiés par les tribunaux. « RTE accélère les travaux pour les terminer avant l’audience et dire “C’est trop tard, les opérations ont été réalisées” », certifie Marie Darzacq, présidente de l’association Landes Aquitaine Environnement (LAE).
Alors que les dates d’audience ne sont pas connues, elle explique l’appel fait aux « écureuils » : « On a décidé de durcir le mouvement. Les manifestations, même avec 1 000 personnes à Capbreton [comme en novembre 2023], ne font pas bouger [les autorités]. »
Un tracé alternatif le long de l’A63 ?
Dirigé par RTE et son équivalent espagnol, la REE (Red Eléctrica de España), le projet prévoit de rallier Cubnezais en Gironde, à Gatixa, dans le nord de l’Espagne, via le golfe de Gascogne. La majorité du tracé est immergée et passe par des câbles sous-marins. Un premier bras de fer juridique s’est tenu à l’été 2024 et RTE a dû suspendre les travaux en mer durant quelques jours pour mettre en place des mesures de protection des cétacés. Une partie du tracé passe dans les terres, au niveau des Landes, pour contourner un profond canyon sous-marin, le gouf de Capbreton.
Le collectif Stop THT 40 demande l’étude d’un tracé alternatif, celui qui longe l’autoroute A63. Une zone déjà artificialisée qui ne traverserait pas des zones naturelles et serait plus loin des habitations. Deux critères primordiaux aux yeux des opposants. RTE refuse, estimant qu’il y aurait trop de contraintes techniques. C’est pourtant la solution mise en avant par le Conseil national de protection de la nature (CNPN) dans son avis rendu en 2022.
En attendant, les associations ont demandé un moratoire pour arrêter les travaux, qui est resté lettre morte. « Sept chantiers sont actuellement en cours en même temps », soupire Marie Darzacq.
La préfecture des Landes a réagi dans un communiqué demandant « la cessation immédiate de l’occupation illégale d’une parcelle boisée située sur la commune de Soorts-Hossegor ». Elle fait valoir que « l’espace boisé occupé ne fera l’objet d’aucune mesure de défrichement, ni de coupes d’arbres. Seulement de l’élagage si nécessaire, en dehors des périodes de nidification ».
Pour Reva, l’un des « écureuils », cet argumentaire ne tient pas la route. « Qui peut croire, quand il connaît un peu les arbres, qu’il n’y aura aucun impact sur cette forêt ? L’intégrité des arbres, ce n’est pas seulement la partie aérienne, c’est aussi tout le système racinaire. » La travée qui devra être creusée pour enfouir la ligne passera sur le chemin qui serpente entre les pins, juste en dessous de la plateforme.
Des écureuils de l’A69
En cet après-midi, les habitants se sont donné rendez-vous pour un goûter. Aux pieds des arbres, les Landais ont apporté gâteaux et provisions. Sur la plateforme, les « écureuils », vétérans de la lutte contre l’autoroute A69, entre Toulouse et Castres, forment des personnes à grimper. Leur arrivée a impulsé un nouveau souffle.
« Une personne nous a dit : “On s’est beaucoup mobilisés au début, mais ça ne sert plus à rien”. Elle est revenue ensuite pour s’excuser d’avoir été aussi défaitiste ! » s’exclame Kiwi. Elle s’insurge qu’un projet décrié par la population puisse passer en force : « Je suis de plus en plus gênée par le contexte de déni démocratique dans lequel on est. Les consultations ne sont pas écoutées, les recours classiques ne fonctionnent pas… On est obligé de monter au créneau avec des actions directes. »
Depuis leur installation, des forces de l’État passent plusieurs fois par jour. La préfecture des Landes a également signifié qu’elle ne laisserait pas l’occupation se poursuivre. « Cela fait longtemps qu’on demande un dialogue, estime Marie Darzacq, mais encore une fois, leur seule réponse, c’est la répression. »
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