une obligation très peu respectée


C’est un trou dans la raquette de la politique climat. La majorité des documents d’urbanisme — en particulier les plans locaux d’urbanisme (PLU) — ne comportent pas d’évaluation de leurs conséquences sur le climat. Ils prévoient de bétonner des sols, d’y installer de nouvelles activités… Mais ne font pas le calcul des gaz à effet de serre supplémentaires qui seront ainsi libérés et émis.

L’Autorité environnementale des Hauts-de-France s’en est émue dans son rapport d’activité 2023. Elle remarquait que dans la région, neuf dossiers sur dix concernant des PLU « ne présentent pas d’évaluation quantitative, même succincte, de l’impact de l’artificialisation sur les émissions de gaz à effet de serre. »

Même observation au niveau national dans une note de 2024, qui relevait l’absence récurrente de « quantification des émissions liées à l’artificialisation et au changement d’utilisation des sols […] dans le cas des documents d’urbanisme ». Deux discrètes alertes qui montrent surtout le chemin qu’il reste à parcourir pour que le climat soit enfin pris en compte dans les politiques d’urbanisation, d’après les experts consultés par Reporterre.

« Beaucoup le voient avant tout comme une douloureuse obligation réglementaire »

Cette quantification du CO2 « est un outil d’aide à la décision, mais beaucoup le voient avant tout comme une douloureuse obligation réglementaire », déplore Philippe Gratadour, président de l’Autorité environnementale des Hauts-de-France. C’est effectivement obligatoire depuis la modification du Code de l’urbanisme en 2021. Les documents d’urbanisme doivent être accompagnés d’une analyse de l’incidence sur, entre autres, la faune, la flore, les sols, les eaux, l’air et… le climat. D’après ce qu’observent les autorités environnementales, beaucoup de PLU et PLUi (intercommunaux) sont donc hors des clous.

L’enjeu est pourtant de taille, puisque environ 21 000 hectares par an sont artificialisés, selon l’Insee. « Nous sommes convaincus que les documents d’urbanisme sont un outil majeur pour mener des politiques environnementales sur le territoire », appuie Anna Fiegel, chargée de mission au sein de l’association Amorce, qui regroupe notamment beaucoup de communes et collectivités souhaitant agir côté climat.

Chaque mètre carré de terre retournée pour y accueillir maisons, usines ou commerces a une conséquence pour le climat. « Construire sur un sol naturel entraîne souvent un décapage des couches supérieures, et implique un déstockage d’une partie de ce carbone. En France 3 à 4 milliards de tonnes de carbone seraient stockées dans les 30 cm supérieurs du sol, ce qui représente trois fois plus de carbone que celui présent dans le bois des forêts du pays », note l’Autorité environnementale des Hauts-de-France.

De l’importance de connaître les sols

Du point de vue du climat, tous les sols ne se valent pas. Retourner une prairie ou défricher une forêt a plus d’incidence que d’urbaniser une friche. L’idée est que les élus prennent conscience de ces différences au moment de planifier les constructions. « Ceux qui ont un impact sur le sol — les promoteurs, les élus — le connaissent encore mal », regrette Jean Guiony, président de l’Institut de la transition foncière.

D’autant plus que les nouvelles activités prévues, elles aussi, émettront des gaz à effet de serre. Des logements neufs, selon la méthode de construction, si ce sont des immeubles ou des pavillons, s’ils sont accompagnés des modes de transport doux, ou pas, n’auront pas la même conséquence sur le climat.

Mettre un chiffre d’émissions de CO₂ sur tous ces projets pourrait aider les politiques à « diminuer l’emprise de l’artificialisation, limiter le défrichement en zone agricole ou forestière, exiger des performances énergétiques plus fortes, préserver les haies et les bois, etc », cite auprès de Reporterre un expert du sujet préférant rester anonyme.

Arbitrer en faveur du climat

« Ne pas avoir la donnée n’aide pas, au niveau local, à arbitrer en faveur du climat », estime Charles Adrien Louis, du cabinet BL Évolution. Il réalise des études d’impact environnemental pour des documents d’urbanisme et tente d’y intégrer les enjeux climatiques. « Le chiffre de neuf dossiers sur dix cité pour les Hauts-de-France ne m’étonne pas. Un PLU est actualisé environ tous les six ans et l’obligation date de 2021. Cela prend du temps. Il faut espérer que ça s’améliore dans les prochaines années. » Mais le temps du climat n’est pas celui de la politique. « C’est difficile de voir à long terme, les élus ont des mandats courts », note Anna Fiegel d’Amorce.

Ce n’est pas le seul frein. Pour l’instant, les quelques documents d’urbanisation qui prennent en compte le climat sont le fait « de la volonté politique d’élus locaux », observe la chargée de mission. Mais en général, la question du climat ne fait pas encore partie de la culture urbanistique.

« Les personnes qui s’occupent des PLU sont orientées par l’urbanisme et la sécurité juridique, pas le changement climatique », note Philippe Gratadour dans les Hauts-de-France. « Et ce n’est pas dans le champ de compétences habituelles des élus et des bureaux d’études », auxquels font souvent appel les communes pour les documents d’urbanisme.

« Ce qui manque aujourd’hui, c’est du financement »

Les collectivités continuent de vouloir « de nouveaux logements sur leur territoire pour être attractives », constate Anne Lefranc, du pôle aménagement des villes et territoires de l’Ademe. Parmi les documents d’urbanisme qu’il examine, « beaucoup sont faits à la va-vite, par un bureau d’étude payé au lance-pierre, et prévoient une croissance démographique et de grands logements alors qu’il y a une baisse de la taille des ménages et de la population », observe encore Philippe Gratadour.

Pour changer de paradigme, il faut donc trouver des spécialistes, et payer ces compétences. « Ce qui manque aujourd’hui, c’est du financement, parce que même quand les élus sont moteurs, il faut pouvoir financer les études d’ingénierie », estime Anne Lefranc. Elle plaide donc pour des aides aux collectivités permettant de payer ces évaluations des conséquences climatiques.

Budget 2025 : de bien mauvais signaux

« Il y a un gros besoin de financement », approuve Anna Fiegel chez Amorce. « Demander plus d’informations dans le PLU, cela coûte plus cher. » Or, l’État ne semble pas en tenir compte. « Énormément de coupes budgétaires sur le financement des collectivités territoriales étaient prévues dans le budget 2025. » C’est comme s’il signalait aux collectivités que le climat n’est pas la priorité.

Une fois ces freins levés, la plupart des acteurs consultés rappellent que les outils existent déjà, pour évaluer les émissions de gaz à effet de serre des projets de bétonisation. Par exemple, l’outil public et gratuit nommé Ges Urba, « pour intégrer les enjeux énergie-climat dans les projets de territoire ». Ou la démarche Muse, développée par l’Ademe, pour améliorer la « prise en compte des sols et de leur qualité dans l’aménagement du territoire », ce qui comprend leur capacité à stocker ou libérer du CO₂.

Un manque de « données qualitatives sur les sols »

Des outils utiles mais imparfaits et insuffisants, estime cependant Jean Guiony de l’Institut de la transition foncière. Il identifie deux évolutions réglementaires indispensables pour changer les habitudes. Il rappelle qu’actuellement les informations publiques sur la qualité des sols sont très imprécises. « Il n’existe pas de données qualitatives sur les sols à l’échelle de la parcelle cadastrale, qui est celle des PLU. On n’a des données que par carreaux de 16 km par 16 km, et elles ne sont actualisées que tous les 10 à 15 ans », explique-t-il.

Seules des moyennes grossières peuvent être effectuées avec les outils actuels. Pour combler cette lacune, il plaide pour qu’à chaque vente, une étude de sol soit désormais demandée, à la manière du diagnostic de performance énergétique pour les logements.

Il constate également un « mur économique : cela coûte 2 500 à 3 500 euros du mètre carré de faire de la rénovation en cœur de ville, contre 1 500 euros si vous construisez sur un champ de patates », assure-t-il. Pour protéger sols et climat, il faudrait donc contrer cet état de fait et sortir de notre « fiscalité pro-artificialisation. »

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