Ce sont certaines des maisons les plus chères des États-Unis qui sont parties en flammes, dans les incendies qui ravagent depuis le 7 janvier les abords de Los Angeles. Le quartier huppé de Pacific Palisades, qui héberge de nombreuses célébrités, a été ravagé par les flammes et le feu s’est attaqué aux collines de Hollywood, à quelques centaines de mètres du célèbre Hollywood Boulevard.
Parmi les stars touchées, Læticia Hallyday qui a vu sa maison « partir en cendre », ou encore Paris Hilton qui déclare avoir vu sa maison « brûler en direct à la télévision : c’est quelque chose que personne ne devrait jamais avoir à vivre ».
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« Le feu révèle les vulnérabilités du monde dans lequel nous sommes plongés aujourd’hui. Alors que l’argent et la célébrité peuvent entretenir une forme de déni et l’illusion d’invulnérabilité », analyse Joëlle Zask, philosophe et autrice de Quand la forêt brûle (éd. Premier Parallèle, 2019).
La symbolique, renforcée par les images spectaculaires de la catastrophe, ne doit pas effacer le bilan déjà lourd : dix morts et 180 000 personnes évacuées. Mais elle a de quoi créer une onde de choc.
Urbanisme insouciant et opportuniste
Les mégafeux ne sont pas nouveaux en Californie, y compris dans les quartiers les plus bling-bling. Les « tempêtes de feu » portées par les vents dits de Santa Ana, secs et puissants qui descendent des montagnes vers la côte en Californie du Sud, ont marqué l’histoire de la région. Elles ont détruit 403 maisons, dont un ranch appartenant au gouverneur Reagan, en septembre 1970. Ou plus récemment, en 2018, causé l’incendie le plus meurtrier de l’histoire de la Californie (85 morts, 11 disparus et 13 500 maisons détruites) dans la ville de Paradise.
La ville de Malibu, proche du sinistre actuel, « a été définie par le feu dans l’imaginaire étasunien, tout au long du XIXe siècle et jusqu’à aujourd’hui », écrit l’historien étasunien Mike Davis, dans un texte daté de 1995 particulièrement éclairant sur la genèse de la catastrophe actuelle. L’auteur décrit comment les plus riches, notamment grâce au soutien public aux sinistrés, ont profité des incendies pour accroître leur emprise sur la « ceinture de feu » qui aurait dû être préservée des constructions pour prévenir les dégâts futurs. Et comment la protection de leurs villas mobilise une « armée de pompiers » alors que les quartiers populaires apparaissent démunis et enregistrent les plus lourdes pertes.
« Les nouveaux riches de Malibu ont construit de plus en plus haut dans les montagnes »
Malgré les incendies de 1978, 1982 et 1985, « les nouveaux riches de Malibu ont construit de plus en plus haut dans les montagnes, sans se soucier des conséquences inévitables des incendies », écrit Mike Davis.
La catastrophe est également symbole de la perte de la « culture du feu » dans les pays riches, estime Joëlle Zask. « Dans les pays pauvres, la forêt est davantage habitée et entretenue pour prévenir les incendies. À l’inverse, les plus riches qui vivent dans des régions comme la Californie y habitent un peu comme des touristes qui visitent un pays. Ils l’occupent, mais ils ne s’en occupent pas », observe la philosophe.
Symbole d’une impasse du « capitalisme vert »
Ironie de l’histoire, l’État de Californie a été, de par sa vulnérabilité et l’importance de sa contre-culture, un des berceaux du mouvement écologiste aux États-Unis. « Cette histoire a positionné la Californie un peu à la pointe en termes de politique climatique, avec un positionnement favorable à un “capitalisme vert” », retrace Édouard Morena, chercheur en sciences politiques à l’université de Londres et auteur de Fin du monde et petits fours.
L’ex-maire de Los Angeles, Éric Garcetti, a d’ailleurs présidé le réseau international de villes actives sur le climat, C40, entre 2019 et 2021. « L’actualité est donc également, d’une certaine manière, symbolique de l’impasse de ces politiques », juge Édouard Morena.
Par sûr, néanmoins, que cette catastrophe accélère l’évolution des consciences. « Il y a déjà eu beaucoup d’alertes dans les pays riches. Les feux se sont rapprochés des grandes capitales comme Sydney [Australie] ou Washington [États-Unis] et l’idée qu’ils puissent être un jour incontrôlables progresse, rappelle Joëlle Zask. Ça ne génère pas de changement à grande échelle. Nous désignons des coupables, au lieu de voir que ces mégafeux sont dus à une pluralité de facteurs. »
C’est ce qu’a fait Donald Trump sans attendre la fin du brasier, en affirmant que la Californie manquait d’eau à cause des politiques environnementales démocrates qui détourneraient l’eau de pluie pour protéger un « poisson inutile ». Un réflexe là aussi symbolique du moment politique que traversent les États-Unis, alors que Donald Trump doit être investi président le 20 janvier et promet de saper les politiques de lutte contre le changement climatique.
« L’ampleur du feu n’a d’égale que l’ampleur du déni de Donald Trump et d’Elon Musk, réagit Joëlle Zask. Nous constatons sous nos yeux que le monde qu’ils sont en train de préparer, avec la brutalité qu’on leur connaît, est un monde qui brûle. »
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