Notre trop-plein de vêtements fait déborder les bennes de collecte


Vous voulez profiter des soldes, qui ont débuté mercredi 8 janvier, pour refaire votre garde-robe et faire le tri dans vos armoires. Vous débarrasser, par exemple, de ce pull que vous ne mettez plus depuis trois ans, ou bien de ce tee-shirt acheté l’an dernier qui, tout bien réfléchi, ne vous sied pas vraiment. Pour garder bonne conscience, vous les revendrez via une plateforme en ligne, ou bien vous les déposerez dans la benne de collecte près de chez vous, afin qu’ils puissent resservir à quelqu’un d’autre.

Mais savez-vous ce qui se trame derrière ce conteneur et les 47 500 autres points d’apport volontaire installés en France ? Les acteurs qui assurent ces collectes font face à une crise inédite. Faute de pouvoir écouler leurs marchandises, leurs stocks explosent, obligeant certains à arrêter tout ou partie de leurs ramassages et à retirer des bennes.

Explosion de la production

« Il y a un problème structurel : la surproduction de l’industrie de l’ultra fast-fashion, souligne Gloria Taoussi, cheffe de projet plaidoyer et communication du Réseau national des ressourceries et des recycleries (RNRR). Tant que nous n’aurons pas légiféré pour contraindre cette industrie, la situation ne cessera d’empirer. » Un avis partagé par l’association Zero Waste France, qui rappelle qu’en vingt ans, nous sommes passés de 70 milliards de produits textiles mis sur le marché dans le monde à 130 milliards : « Nous avons doublé la production. Ce n’est pas tenable. »

« Environ 23 % de nos adhérents ont dû faire une pause dans la collecte, confirme Gloria Taoussi. Les envois vers l’incinération sont aussi plus importants. » La crise touche surtout les associations et les structures qui n’ont que l’activité de collecte. Le Relais affirme, par exemple, ne pas être dans une situation de blocage l’obligeant à renoncer aux collectes. Il explique être préservé par son activité de tri et par le développement de nombreux débouchés « en propre » en France (effilochage, chiffons, isolant).

« Le système repose essentiellement sur l’économie sociale et solidaire »

La situation actuelle est avant tout liée aux fluctuations du marché international, principal débouché pour les habits mis au rebut. Environ la moitié est en effet exportée en dehors de l’Union européenne, principalement vers l’Afrique. Seule la « crème » des vêtements donnés, c’est-à-dire ceux en très bon état et avec une certaine valeur ajoutée, est revendue en France dans les boutiques de seconde main des entreprises de l’économie sociale et solidaire qui gèrent cette collecte, comme Emmaüs (boutiques et site Label Emmaüs), Le Relais (magasins Ding Fring), les recycleries et ressourceries locales.

Ce haut du panier à linge ne représente que 5 à 10 % de la collecte, selon Refashion, l’éco-organisme financé par les industriels du textile. Environ 30 % du reste part au recyclage afin d’être transformé en chiffons, isolants pour le bâtiment ou nouvelles fibres textiles, en fonction de la qualité des matériaux.

L’entrée de gamme surreprésentée

« Depuis l’été dernier, on assiste à un retournement de marché : les pays africains achètent désormais de la fripe, voire des mélanges de neuf et de fripe, auprès de la Chine à des prix bien moins élevés que ce que proposent les Français et les Européens », explique Sandra Baldini, responsable du pôle consommation de Refashion, interrogée par Reporterre. Pour elle, c’est la preuve que le système actuel de collecte et de tri, qui repose « essentiellement sur l’économie sociale et solidaire » et est « entièrement fondé sur une exportation de déchets » n’est pas viable.

Elle note également que sur les 3,2 milliards de pièces neuves (chaussures et linge de maison compris) achetées en 2023 en France, 71 % correspondaient à de l’entrée de gamme : « On peut s’interroger sur l’attractivité d’un produit d’entrée de gamme pour de la seconde main. Quelle est sa valeur commerciale ? Quelle est son attractivité ? Et sa valeur émotionnelle ? »

Face à ce constat, Refashion plaide pour « un changement de paradigme ». Dans son « Manifeste européen » publié en novembre 2024, l’organisme appelle à considérer les textiles usagés comme des ressources, « afin de dynamiser l’innovation, renforcer la compétitivité et construire une industrie européenne souveraine, durable et résiliente du recyclage textile ». Il propose de créer un fonds européen dédié au recyclage des textiles et chaussures.

« Cette faillite pourrait noyer l’Europe sous un torrent de vêtements indésirables »

« Ce texte ne parle que de recyclage, déplore Pauline Debrabandere, responsable plaidoyer et campagnes pour Zero Waste France. Or, les éco-organismes sont censés respecter la hiérarchie des trois R [réduction, réemploi, recyclage] : le réemploi arrive avant le recyclage. » Du côté des recycleries, Gloria Taoussi estime que le réemploi des textiles pourrait être multiplié par trois ou quatre en France avec de l’argent : « Il manque un plan Marshall du réemploi, qui demande des moyens que l’éco-organisme [Refashion] ne veut pas mettre sur la table. »

Elle rappelle aussi que le recyclage n’a pour l’heure pas fait ses preuves. D’ailleurs, l’entreprise allemande Soex, championne du recyclage de textile et pionnière du tri par reconnaissance optique des fibres, vient de mettre la clé sous la porte. « Cette faillite pourrait noyer l’Europe sous un torrent de vêtements indésirables, si les vingt-sept États membres de l’Union européenne ne réagissent pas immédiatement ! » s’alarmaient déjà les acteurs du secteur en Belgique en octobre.

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