L’année 2025 sera cruciale pour la protection des océans et la France se présente en héraut de cette cause. C’est à Nice, en juin prochain, que se tiendra la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc 3). Le 6 janvier, Emmanuel Macron insistait sur ce « rendez-vous extrêmement important » annonçant même vouloir créer un « Giec des océans ». Derrière les effets de manche et promesses grandiloquentes, le bilan de l’État français sur l’océan tient en réalité plutôt du désastre.
C’est en tout cas ce que dénonçait avec fermeté le 8 janvier la Coalition citoyenne pour la protection de l’océan. Celle-ci regroupe 147 ONG et mouvements internationaux, dont l’association Bloom, qui organisait la conférence de presse, à Paris.
400 000 heures de chalutage par an
« Dans ses discours et communications officielles, le gouvernement français se targue que plus de 30 % des eaux françaises sont des aires marines protégées (AMP). En réalité, selon les standards internationaux, c’est moins de 0,1 % des eaux en métropoles qui sont réellement protégées. Et encore, c’est plutôt 0,05 % dans l’Atlantique et la mer du Nord », dénonce Swann Bommier, responsable du plaidoyer chez Bloom.
En France, comme dans toute l’Europe, une aire marine peut être considérée comme « protégée » tout en étant ouverte au chalutage de fond, une des méthodes de pêche les plus destructrices au monde. Seule la « protection stricte » interdit complètement la pêche. Un statut accordé en proportions insignifiantes, alors même que les scientifiques appellent à réellement protéger d’urgence 30 % des océans et que les États se sont formellement engagés à atteindre ce chiffre d’ici 2030, lors de la COP15 sur la biodiversité.
Un objectif qui paraît particulièrement lointain : la France comptabilise près de 400 000 heures de chalutage dans ses AMP chaque année, selon Bloom. Le second plus haut niveau en Europe après l’Espagne. « Le gouvernement revendique une “protection à la française”, “au cas par cas”, ce qui n’est qu’une imposture. On ne protège que de microconfettis de territoires pour mieux protéger, très efficacement, la pêche industrielle », déplore Claire Nouvian, la directrice générale de Bloom.
Pour mettre en lumière cette hypocrisie, l’association a lancé sur son site un « radar du chalutage » des AMP françaises. Il doit comptabiliser le nombre de km² ravagés par les chalutiers dans les eaux françaises en 2025, jusqu’à l’ouverture de l’Unoc 3 à Nice.
« L’hypocrisie » de la position française
Non contente d’être mauvaise élève, la France met également des bâtons dans les roues de ses voisins. En mars dernier, le Royaume-Uni avait décidé d’étendre l’interdiction du chalutage de fond à une part, encore modeste, de ses aires marines protégées, en cohérence avec les engagements internationaux pris notamment lors de la COP15 sur la biodiversité.
Le gouvernement français avait alors entrepris de saboter les efforts britanniques, au nom de la défense de la pêche hexagonale. Jean-Noël Barrot, alors ministre délégué chargé de l’Europe, en appelait à la Commission européenne pour envisager des mesures de rétorsion, pour non-respect de l’Accord post-Brexit de commerce et de coopération (ACC) passé entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Une réunion informelle des ministres européens de la Pêche s’était tenue dans la foulée à Bruxelles, selon le Financial Times.
Côté britannique, le gouvernement se disait « fier » d’une décision fondée sur des données scientifiques, tandis que les défenseurs locaux de l’océan dénonçaient « l’hypocrisie » de la France, alors même qu’Emmanuel Macron avait déjà annoncé vouloir faire de 2025 « l’année des océans ». Même son de cloche du côté scientifique : en 2023, le prestigieux journal scientifique Nature taclait également dans son éditorial l’incohérence entre le discours et les actes de la France en matière de protection des océans, s’inquiétant que « l’hypocrisie menace l’avenir des océans du monde ».
Autre dossier à charge : Bloom accuse la région Bretagne de financer illégalement la construction de nouveaux navires de pêche ; ce type de subventions publiques étant interdit par les règles européennes. Le Conseil régional de Bretagne a contourné l’interdiction en créant le fonds d’investissement Breizh Up pêche qui pourra, lui, contribuer à développer encore la surpêche, dénonce l’ONG.
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Une décision de la région qui s’inscrit parfaitement dans sa « feuille de route » pour 2027, que s’était procurée Reporterre. Celle-ci dévoilait une stratégie forte de déploiement de la pêche industrielle, au détriment de l’écologie et de la pêche artisanale. Mais pour le président de la région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, cette stratégie s’inscrit au contraire dans le développement d’une pêche qu’il qualifie de « durable » et locale, et qu’il oppose aux pratiques « désastreuses » des mers du sud.
Lutte contre les 3 % de gros chaluts
L’argument ne convainc pas Bloom. L’association a saisi le 20 décembre dernier le tribunal administratif de Rennes pour faire annuler une délibération du Conseil régional de Bretagne. Le recours, ainsi qu’un précédent déposé en février dernier, ont été rejetés par le tribunal administratif de Rennes le 6 janvier, mais Bloom a annoncé son intention de faire appel.
Les contentieux, d’une manière générale, devraient se multiplier, tant les ONG européennes estiment faire face à des États en flagrant déni du respect de leurs engagements internationaux sur l’océan.
« La majorité des pays de l’Union européenne, dont la France, n’ont même pas envoyé leur feuille de route à la Commission européenne pour respecter l’engagement de 30 % d’aires marines protégées. Cela fait trente ans qu’il y a des manquements juridiques clairs en Europe. On va changer d’approche et accélérer sur les contentieux », déclare donc Nicolas Fournier, directeur de campagne pour l’Europe de l’ONG Oceana.
Dans les tribunaux et par des actions citoyennes, la coalition promet d’accentuer la pression sur les gouvernements jusqu’à l’Unoc 3, qui débutera le 9 juin à Nice. Parmi les quinze points défendus par les ONG, le premier est d’obtenir une « déchalutisation » totale des flottes de pêche d’ici 2030.
Car les chalutiers sont, de loin, la première cause du problème : environ 3 % seulement des bateaux en France, les chalutiers de plus de 25 mètres de long sont responsables de la moitié des captures de poisson, selon Bloom.
« L’Unoc sera un moment charnière, on ne se contentera pas de promesses marketing, prévient Claire Nouvian. Ils vont se féliciter d’avoir stabilisé les volumes de pêche, mais une stabilisation à un niveau catastrophique n’a rien d’une victoire. Il faut obtenir l’exclusion de ces 3 % de chalutiers de la bande côtière. Cela serait bénéfique à la fois pour la biodiversité et la pêche artisanale, donc l’emploi et de nombreux ports qui pourraient paradoxalement refleurir. »
S’il y a urgence, l’espoir est tout de même permis : la surpêche est en recul depuis vingt ans en Europe, selon l’Ifremer ; bien qu’elle concerne toujours près de 30 % des populations de poissons de l’Atlantique nord-est et 86 % de celles de Méditerranée. Bloom insiste toutefois sur la dynamique de long terme, qui a de quoi faire relativiser les tendances à la hausse de certaines populations : des chercheurs estiment que les populations mondiales de gros poissons prédateurs s’étaient effondrées de 90 % en 2003, par rapport à l’étude préindustrielle.
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