Elles ont fait un tabac. En 1887, une grève de cigarières démarre à la Manufacture des tabacs de Marseille à la Belle de Mai — quartier dont Jules Guesde disait qu’il était le « boulevard de la révolution (1) ». On n’y est pas trop mal payé mais le contremaître est de ceux qui profitent de leur pouvoir. Il aime fouiller les ouvrières, sous prétexte de vérifier qu’elles ne sortent pas avec des cigares mal roulés. Ces « belles » qui façonnent le tabac pour en faire des cigares, pour beaucoup des immigrées italiennes, s’organisent, sans syndicat, pour faire cesser les humiliations. La presse est en ébullition, les journalistes viennent soutenir les grévistes. Le poète et député socialiste Clovis Hugues prend leur défense, comme il avait soutenu la Commune de Marseille. La manufacture est la propriété de l’État. Les recettes y sont importantes. L’affaire n’est pas mince.
Le dessin au crayon noir prend le contre-pied du Marseille de carte postale vendu aujourd’hui. L’hiver y est froid. La ville est noire, de la halle des Capucins, devenue Bourse du travail cette année-là, jusque dans le quartier de la Belle de Mai, aujourd’hui l’un des plus pauvres de France malgré le pôle artistique désormais installé dans les anciennes usines. Depuis les années 1990, on y entend plus souvent Carmen, la plus connue des cigarières, que le froissement des feuilles de tabac. Le livre est dédié aux femmes de chambre grévistes de l’hôtel Ibis Batignolles, à Paris, et à toutes celles « qui œuvrent dans l’ombre ».