Vingt-quatre morts et plus de 140 000 personnes évacuées. Aux États-Unis, le bilan des incendies meurtriers qui font rage en Californie du Sud s’alourdit. Après trois jours d’accalmie, les multiples foyers, galvanisés par des rafales de vent chaud et une végétation asséchée, ont atteint des zones jusque-là épargnées. Ce weekend, les sapeurs-pompiers ne sont toujours pas parvenus à contenir les murs de flammes.
Depuis une semaine, plus de 15 000 hectares sont partis en fumée. Le quartier huppé de Palisades et la banlieue du nord-est de Los Angeles sont les plus touchés. Mais alors que la destruction des villas de célébrités a attiré l’attention du monde entier, le ravage des maisons des plus pauvres, notamment des communautés noires et latinos par l’Eaton fire, n’a pas tant ému. Certains de ces résidents confient s’être sentis abandonnés par les pouvoirs publics lorsque leur quartier s’enflammait.
Un sentiment justifié, selon Sayanti Mukherjee, chercheuse en génie industriel à l’université de New York à Buffalo, qui a analysé avec son équipe plus de 500 incendies de forêt en Californie de 2015 à 2022. Dans leur étude présentée en décembre, les conclusions sont claires : les populations à faibles revenus, âgées et handicapées sont souvent les plus touchées par ces événements.
Reporterre — Pourquoi les plus pauvres sont-ils les plus affectés par les incendies ?
Sayanti Mukherjee — Les flammes ne font pas de différence entre les riches et les pauvres mais, contrairement à leurs riches voisins, les populations précaires n’ont pas d’assurance contre le risque d’incendie — car trop coûteuse —, reçoivent moins d’aides financières après les incendies et ne font pas partie des priorités au moment de la reconstruction. Leur voix n’est pas entendue. Nous ne voyons pas comment ils sont affectés alors que les populations précaires sont celles qui souffrent le plus de ces événements.
Les ménages fortunés sont plus résilients grâce à leur réputation sociale, leur capital et leurs privilèges. Posséder une assurance contre les incendies vous donne la possibilité de rebâtir votre maison avec des matériaux résistants au feu. Ils bénéficient également d’une large couverture médiatique. Ceux qui n’en ont pas les moyens ne pourront peut-être rien reconstruire.
Existent-ils aussi des inégalités lors de la prise en charge ?
Certaines personnes en dessous du seuil de pauvreté ne possèdent pas de véhicule, d’autres ont des problèmes de santé ou sont âgés, ce qui rend difficile leur évacuation. Mais le plus gros problème reste la barrière de la langue. À Los Angeles, la population hispanique et une partie de la communauté afro-américaine ne parlent pas et ne lisent pas l’anglais. Ils n’ont donc pas accès aux informations cruciales.
Cela les handicape aussi après les incendies, au moment de demander des aides financières. Il n’y a pas assez de personnel pour les aider à remplir les formulaires dans leur langue maternelle. Aussi, les démarches peuvent être lourdes et compliquées pour les personnes qui ne sont pas à l’aise avec l’informatique.
En face, les plus riches font appel à des compagnies de sapeurs-pompiers privées pour protéger leur résidence. Et selon les médias étasuniens, certains ont payé des milliers de dollars pour que leurs propriétés soient pulvérisées avec des gels ignifuges afin de limiter les dégâts. D’autres ont même investi dans des bouches d’incendie personnelles.
Qu’est-ce qui pourrait empêcher cette situation de se reproduire ?
Pour l’instant, les décisions politiques d’urgence et de reconstruction ne prennent pas en compte l’aspect social. Cela demande un vrai changement d’état d’esprit. Ensuite, les pouvoirs publics pourraient traduire les règles de sécurité et les alertes. L’étalement urbain est un autre problème : on a bâti des quartiers trop resserrés, sans respect des distances adéquates pour éviter la propagation des feux.
De l’autre côté, beaucoup de personnes, notamment de classe moyenne, se sont installées sur des terres proches de la forêt après la crise du covid-19 parce que le prix des terrains y était moins cher. Ces gens ont aussi la responsabilité de mieux se préparer au risque d’incendie.
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