Atlantropa, l’ancêtre des grands projets inutiles, par Pierre Rimbert (Le Monde diplomatique, avril 2023)


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Neuland und Energie durch das Mittelmeer-Projekt (Terres nouvelles et énergie grâce au projet Méditerranée), schéma de 1932.

Sauf mention contraire, toutes les images de cette double page proviennent des archives du Deutsches Museum à Munich et sont publiées dans Wolfgang Voigt, Atlantropa. Weltbauen am Mittelmeer. Ein Architektentraum der Moderne, Dölling et Galitz, Hambourg, 1998.

Avec son monocle vissé sur l’œil droit, son costume trois-pièces et son port altier, Herman Sörgel n’a pas exactement l’air d’un clown. Le nom de cet architecte expressionniste allemand reste pourtant associé à l’une des plus délirantes utopies énergétique et géopolitique du XXe siècle. Rendue publique à la fin des années 1920, elle ne vise, en effet, rien de moins qu’un assèchement partiel de la mer Méditerranée par la construction d’une série de barrages hydroélectriques géants sur les détroits de Gibraltar, du Bosphore, de Sicile, sans oublier l’estuaire du Nil. S’accomplirait alors le grand dessein de Sörgel : réunir l’Europe et l’Afrique colonisée en une seule entité géographique et politique baptisée Atlantropa.

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Couverture de l’ouvrage publié à Munich en 1938.

L’idée a frappé l’architecte par son évidence en 1927 à la lecture d’un ouvrage de géographie décrivant la Méditerranée comme une mer d’évaporation : si le détroit de Gibraltar venait à s’obstruer, comme ce fut le cas lors d’événements tectoniques passés, l’apport hydrique des fleuves ne suffirait pas à compenser l’assèchement et le niveau s’abaisserait rapidement. « Les humains n’ont plus qu’à terminer ce travail dans l’esprit de la nature », explique Sörgel dans le livre qui dévoile au monde son projet. À défaut d’un cataclysme qui souderait l’Afrique et l’Europe, le visionnaire construira un barrage. Une fois évaporée au rythme d’un mètre par an, la mer commune se divisera — d’ici un ou deux siècles — en deux bassins, l’un, à l’ouest, dont le niveau serait abaissé de cent mètres par rapport à celui de l’océan Atlantique, et l’autre, à l’est de la Sicile, stabilisé encore cent mètres plus bas.

D’ailleurs, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Plus au sud, Sörgel prévoit la mise en service d’autres barrages géants sur le fleuve Congo, la création de deux mers artificielles ainsi que l’extension de la superficie du lac Tchad afin d’adoucir le climat africain et d’irriguer le Sahara. Avec l’espace gagné par l’évaporation de la Méditerranée, la production céréalière dopée par (…)

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