« Imaginons un avenir plus prometteur que l’apocalypse »


Jean Hegland n’est pas une grande optimiste. Que cela concerne les incendies meurtriers en Californie, Donald Trump à la Maison Blanche ou le sort de la planète, l’écrivaine étasunienne de 68 ans regarde le futur avec des yeux remplis d’inquiétude. Comme de nombreux sinistrés aujourd’hui, elle aussi a perdu sa maison et sa forêt « bien-aimée » après les puissants feux de forêt de 2020 en Californie ; comme de nombreux Étasuniens, elle est « terrifiée » par le retour de l’homme d’affaires au pouvoir ; et comme beaucoup, elle désespère de l’inaction climatique. Pour autant, l’autrice n’a pas cessé d’espérer.

Ses craintes, ses espoirs ont largement nourri son dernier roman d’anticipation Le Temps d’après, publié en France le 15 janvier (éd. Gallmeister). Dans ce livre, qui est la suite de son best-seller Dans la forêt, il est question de lien aux autres, de sensibilité animale et végétale, mais aussi du fragile équilibre des écosystèmes. Depuis le canapé en cuir de l’hôtel à Paris, où Reporterre l’a rencontrée, elle souligne sa « responsabilité » de mettre ces enjeux au cœur de ses histoires et son pouvoir de créer des « récits qui nous aident à imaginer un avenir plus prometteur que l’apocalypse ».

Reporterre – Les incendies en Californie vous rappellent-ils des moments douloureux ?

Jean Hegland — Je suis triste pour celles et ceux qui traversent ces moments difficiles. Mes trois petites-filles vivent dans le sud de la Californie. L’une d’elles a dû fuir chez sa sœur à Long Beach [dans le sud du comté de Los Angeles]. Je pense qu’elles s’en sortiront, mais c’est pesant de ne pas savoir. Les feux de forêt sont un risque avec lequel nous vivons tous les jours.

Vous aussi, vous avez beaucoup perdu en 2020.

Cette année-là, quand j’ai entendu que la saison des incendies allait être terrible, j’ai décidé de quitter la forêt [sa maison était au bord d’une forêt, qu’elle avait achetée] jusqu’à ce que les pluies reviennent. Avec mon chat — parce que j’aime beaucoup mon chat (rires) —, nous avons emménagé dans une tiny house dans le jardin de ma sœur. Heureusement, mon mari, lui, était parti pour le week-end. J’écrivais quand on a appris pour les feux.

Personne ne pouvait retourner chez soi. Une exception a été accordée à mon voisin qui devait aller chercher son lama domestique. Il nous a appelés et nous a dit que notre maison avait subi « quelques dégâts ». Ce qui était une gentille manière de dire qu’elle avait été totalement détruite.

Nous avons perdu plus de 7 000 livres : des premières éditions, des livres signés par mes amis… J’ai quand même réussi à sauver quelques affaires, comme les dessins de mes enfants et ceux de ma mère. Mais pour moi, le plus dévastateur a été de voir ce qui est arrivé à notre forêt.

« Le signe d’un monde capitaliste dans sa phase terminale »

Qu’est-il arrivé à la forêt ?

C’était choquant. Cette forêt, je l’ai côtoyée pendant près de trente ans. Chaque année, j’ai appris à la connaître et à l’aimer davantage. Elle est ma source d’inspiration pour mes livres. Quand j’y suis retournée après le drame, j’ai constaté en larmes tout ce qui avait disparu. Seuls les séquoias avaient survécu. Mais une amie, spécialisée dans la croissance forestière, me disait : « Regarde, il y a un petit peu de vert là ! Ça va revenir. » Oui, la forêt va repousser, seulement il faudra au moins cent ans avant qu’elle ne redevienne comme avant.

C’est un rappel de ce qui arrive à la planète entière. Le changement climatique est réel, puissant. Et nous ne faisons rien pour y remédier.

Après la destruction de votre maison, vous avez choisi d’aller habiter en ville. Pourquoi ?

La forêt avait assez de travail à fournir pour essayer de repousser et n’avait pas besoin de subir en plus un chantier de construction. La vie là-bas me manque beaucoup, mais c’était la bonne décision.


Jean Hegland : «  Cela me semblait irresponsable de ne pas inclure le réchauffement dans un roman d’anticipation.  »
© Mathieu Génon / Reporterre

En Californie, les quartiers sont-ils construits trop près des espaces naturels ?

La plupart des Californiens ont construit leur résidence sur des falaises surplombant l’océan ou au milieu des forêts, là où ce n’était pas leur place. Il y a évidemment de nombreuses façons de rendre notre cohabitation avec la nature plus sûre, comme créer de meilleures voies d’évacuation ou rendre nos maisons résistantes au feu. Mais c’est probablement mieux si les gens vivent côte à côte en ville.

Hollywood, Malibu, Pacific Palisades… Les flammes ont ravagé les quartiers des ultrariches du sud de la Californie. Ces scènes témoignent-elles de la fragilité du capitalisme ?

Pour moi, c’est clairement le signe d’un monde capitaliste dans sa phase terminale.

Cette catastrophe, alimentée par la crise climatique, peut-elle agir comme un signal d’alarme pour les États-Unis ?

En Californie, il y a un peu d’espoir : l’actuel gouverneur fait des tentatives courageuses pour limiter les émissions de carbone. C’est un début. Mais maintenant que Trump revient au pouvoir, je suis terrifiée. C’est un monstre et je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi il a été réélu.

« Un jour ça s’arrêtera, et ce sera soit un doux au revoir, soit un réveil brutal »

Dans votre nouveau livre « Le Temps d’après », le changement climatique est très perceptible contrairement à votre premier ouvrage. En plus des personnages, la nature est, elle aussi, est en danger.

C’est vrai. J’ai écrit Dans la forêt il y a presque trente ans. À l’époque, nous étions conscients de la crise climatique, mais cela apparaissait comme un lointain problème. J’avais la grande chance d’être dans le déni. Dans Le Temps d’après, il y a la sécheresse, le manque d’eau, le risque d’incendie. Les saisons deviennent imprévisibles. En tant qu’écrivaine, c’est intéressant parce que cela donne des problèmes à vos personnages — même si vous les aimez beaucoup, vous devez leur rendre la vie difficile (sourire).

Mais surtout, cela me semblait irresponsable de ne pas inclure le réchauffement dans un roman d’anticipation, alors que c’est si important et si omniprésent. C’est une responsabilité envers la société et l’histoire. Enfin, cela ne nous rendrait pas crédibles dans la fiction.


Jean Hegland : «  La forêt est un monde riche, plein, fascinant.  »
© Mathieu Génon / Reporterre

Votre roman est sensible, magique et dur à la fois. Vos personnages ont façonné un lien étroit avec les non-humains, et imaginé une autre façon de vivre. Est-ce ainsi que vous imaginez l’après-effondrement ?

L’une des choses que nous avons perdues de vue dans ces mondes merveilleux que nous avons créés est la connexion avec le reste de la vie. Nous avons oublié que tout ce dont nous sommes entourés vient de la nature. Le re-connaître nous permettrait d’être plus honnêtes sur la façon dont nous utilisons les cadeaux (au lieu des ressources) de la nature, et donnerait du sens à notre vie. Nous nous comportons comme si ces cadeaux/ressources étaient infinis alors que nous vivons sur une planète finie. En empêchant la nature, nous nous mettons en péril. Un jour ça s’arrêtera, et ce sera soit un doux au revoir, soit un réveil brutal.

Tentez-vous de démontrer que c’est possible d’avoir une vie belle et entière dans la forêt ?

Disons au moins dans un sens métaphorique. Nous ne pouvons pas tous aller habiter dans la forêt. Déjà, il n’y en a pas assez, et ce n’est pas vraiment viable. Mais nous pouvons vivre plus proches de la nature et plus simplement. Je crois au pouvoir des histoires. Nous avons besoin de récits qui nous aident à imaginer un avenir plus prometteur que l’apocalypse.

Pourquoi cette plongée au cœur des bois vous a-t-elle semblé importante ?

L’histoire qui m’intéressait était celle de ce petit groupe, Burl et ses mères. Tout est raconté du point de vue de Burl, enfant de la forêt. Il est très conscient des détails, des spécificités de ce lieu. Ils sont extrêmement significatifs pour lui. J’ai voulu partager cette expérience, car la forêt est un monde riche, plein, fascinant, dont on ne percera jamais tous les mystères.

Le Temps d’après, de Jean Hegland, aux éditions Gallmeister, janvier 2025, 352 p., 23,90 euros.

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