La vraie religion de l’Occident : il n’y a pas d’autre dieu que la loi du plus fort et Darwin est son prophète


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par Laurent Guyénot

En 1854, soit cinq ans avant la parution de L’Origine des espèces, Arthur Schopenhauer pressentait que l’ambition des zélotes des sciences naturelles de réduire la vie à des lois mécaniques et chimiques «menace de conduire à un matérialisme grossier et stupide» et à une «bestialité morale». Vingt ans plus tard (1874), soit trois ans après La Filiation de l’Homme et la sélection liée au sexe du même Charles Darwin, Friedrich Nietzsche prédisait que si de telles idées «sont jetées au peuple pendant une génération encore, personne ne devra s’étonner si le peuple périt d’égoïsme et de mesquinerie, ossifié dans l’unique préoccupation de lui-même». En 1920, Bernard Shaw constatait déjà les dégâts : dans ses applications politiques, écrit-il, le darwinisme «a produit une catastrophe européenne d’une magnitude si consternante, et d’une étendue si imprévisible, qu’alors que j’écris ces lignes en 1920, il est loin d’être certain que notre civilisation y survivra».

Où en sommes-nous un siècle après cette sombre prédiction, et un demi-siècle après que Richard Dawkins ait proclamé dans son best-seller mondial Le Gène égoïste : «Nous sommes des machines à survie, des robots aveuglément programmés pour préserver ces molécules égoïstes que l’on appelle des gènes» ? Il se félicite dans une nouvelle préface en 1989 que sa théorie «est devenue l’orthodoxie des manuels scolaires».

Et bien, nous avons maintenant Yuval Harari, la star mondiale de ce qu’on peut nommer le trans-darwinisme, soit le néo-darwinisme couplé avec le transhumanisme. Dans Sapiens. Une brève histoire de l’humanité(2015), il enfonce le clou de la morale darwinienne : «La vie n’a pas de scénario, pas d’auteur, pas de metteur en scène, pas de producteur – et pas de sens». Nous ne sommes que des assemblages d’algorithmes. D’où l’idée, bien «naturelle», de nous auto-bricoler. Dans Homo Deus (2017), Harari annonce l’autodéification de l’homme (riche) par le miracle de la haute technologie, the upgrading of men into gods : «ayant sorti l’humanité de la brutalité des luttes pour la survie, nous allons chercher à hisser les hommes au rang de dieux, à transformer Homo sapiens en Homo deus». Comment cela ?

«les bio-ingénieurs vont (…) se saisir du vieux corps de Sapiens et en réécrire délibérément le code génétique, recâbler ses circuits cérébraux, modifier son équilibre biochimique, voire lui faire pousser des membres nouveaux. (…) Le génie cyborg ira plus loin, et fusionnera le corps organique avec des appareils non organiques, tels que des mains bioniques, des yeux artificiels ou des millions de nanorobots qui navigueront dans nos vaisseaux sanguins, diagnostiqueront les problèmes et répareront les dommages. (…) Une approche plus audacieuse consiste à se passer carrément de parties organiques en espérant fabriquer des êtres entièrement non organiques».

Harari est «le penseur le plus important du monde», nous assure Le Point à l’occasion de la sortie de son nouveau livre 21 leçons pour le XXIe siècle. Le Socrate de la post-modernité, homosexuel et israélien, de surcroît, donc génial au carré. On se l’arrache ! Klaus Schwab en a fait son mentor, Macron s’est fait oindre de son huile cérébrale.

Si l’être humain est le résultat d’un processus d’évolution aveugle et aléatoire (de simples erreurs accidentelles dans la duplication de molécules chimiques), alors pourquoi l’homme, désormais doté d’un puissant cerveau, ne prendrait-il pas la direction de sa propre évolution, pour faire mieux que le hasard ? Cette logique est simple et difficilement contestable. Plus évidente encore est la conséquence morale du darwinisme : il n’y a pas d’autre loi morale que la loi du plus fort.

La plupart des gens éduqués dans le catéchisme darwinien depuis l’école primaire, n’en tirent pas cette conséquence logique, parce que leur conscience morale les en empêche : il y a dissonance cognitive entre le dogme darwinien et l’intuition qu’il existe tout de même une autre loi morale, celle de la compassion pour les faibles.

Ainsi, l’Occidental moyen persuadé que le darwinisme est une loi naturelle aussi solidement établie que l’héliocentrisme, estime que la loi naturelle et la loi morale sont deux ordres de choses indépendants. Darwin aurait donc scientifiquement raison lorsqu’il explique que les races humaines sont le fruit de la sélection naturelle, mais il a moralement tort lorsqu’il en tire ce genre de conclusion : «Dans une période future, pas si lointaine et mesurable en termes de siècles, les races civilisées de l’homme extermineront certainement et remplaceront les races sauvages à travers le monde». La plupart des gens nourris au catéchisme darwinien se scandaliseraient de savoir que Darwin a aussi écrit :

«Nous, hommes civilisés (…), faisons de notre mieux pour contrôler le processus d’élimination ; nous construisons des asiles pour les idiots, les estropiés et les malades ; nous instituons des lois qui protègent les pauvres ; et nos médecins exercent tout le pouvoir de leur talent pour sauver la vie de chacun, jusqu’au dernier moment. (…) Ainsi, les membres faibles des sociétés civilisées se reproduisent-ils».

Bref, les braves gens pensent que le darwinisme est vrai, donc bien, mais que ses applications sociales ou politiques sont mauvaises, donc fausses. Il faut être darwinien, mais ne pas se comporter de manière darwinienne. Drôle de religion !

Ces gens-là ont l’esprit confus et ne pensent pas clairement. Les darwiniens conséquents, qui vont jusqu’au bout de leurs idées et ambitionnent d’être «les plus aptes», estiment au contraire que la loi naturelle, qui est une vérité objective, absolue et infaillible, prime sur toute loi morale et sur toute loi juridique, qui ne sont que des conventions humaines arbitraires. Si la loi naturelle est que le plus apte écrase le moins apte, ainsi soit-il. Ces darwiniens ont, dans leur malhonnêteté, l’honnêteté de vivre en accord avec leur croyance, et de se comporter de manière darwinienne (mais avec art, en usant de toutes les ruses darwiniennes telles que le cryptisme ou le mimétisme). Je suis désolé de vous le dire, mais si vous êtes un darwinien moral, vous n’êtes sans doute pas très intelligent, ou bien lâche.

Un bon exemple de darwinien conséquent est Jeffrey Skilling, l’un des dirigeants d’ENRON inculpé en 2006 dans la plus grande fraude financière de tous les temps. Son livre favori était Le Gène égoïste de Dawkins. Ce dernier proteste que Skilling n’a pas bien compris son livre, mais personne n’est dupe : c’est plutôt Dawkins qui fait semblant de ne pas bien comprendre son propre livre. Dawkins, il est vrai, manque un peu de cohérence. Dans Pour en finir avec Dieu, il décrit le Dieu de l’Ancien Testament, «jaloux et fier de l’être», comme un «adepte du nettoyage ethnique», un «revanchard assoiffé de sang», un «tyran lunatique et malveillant», sans se rendre compte que le peuple qui s’est donné un dieu aussi immoral doit logiquement être «le plus apte» de tous les peuples, darwiniennement parlant.

À mon avis, Dawkins n’est guère plus intelligent que Harari, qui est un imbécile. D’une manière générale, les gens qui écrivent des livres sur le darwinisme (les théoriciens) sont moins intelligents que les gens qui appliquent le darwinisme (les praticiens). Karl Popper a en fait démontré que les théoriciens du darwinisme ont l’esprit obtus, puisqu’on ne parvient pas à leur faire admettre que leur théorie ne possède aucun pouvoir de prédiction et n’obéit donc pas au critère de la «réfutabilité» qui distingue la science de la pseudo-science. Le darwinisme est une tautologie : tout ce qu’il prétend avoir démontré, c’est la survie du plus apte à survivre. Mais aucun darwinien n’a jamais pu documenter un seul cas d’anomalie génétique accidentelle apportant un quelconque avantage sélectif.

Le darwinisme repose sur le postulat que la vie se réduit à des réactions chimiques. Selon Francis Crick, prix Nobel pour sa contribution à la découverte de l’ADN, «Le but ultime de la modernité en biologie est en fait d’expliquer tous les phénomènes biologiques en termes physico-chimiques». Le darwinisme s’oppose donc à la conception défendue par les «vitalistes» qui, à l’époque de Darwin, ne niaient pas l’évolution du vivant, mais l’attribuaient à un «élan vital». Schopenhauer était un vitaliste, qui dénonçait «l’incroyable absurdité» du postulat biologique moderne : «car de cette manière, même la force vitale est niée, et la nature organique est dégradée en un simple jeu de hasard des forces chimiques». Henri Bergson était aussi un vitaliste. Il écrivait dans L’Évolution créatrice (1907) : «Plus on fixe son attention sur cette continuité de la vie, plus on voit l’évolution organique se rapprocher de celle d’une conscience, où le passé presse contre le présent et en fait jaillir une forme nouvelle, incommensurable avec ses antécédents».

La théorie darwinienne d’une évolution produite par une série de hasards triés par la sélection naturelle est aujourd’hui plus absurde que jamais, étant donné les connaissances actuelles sur l’extrême complexité du vivant. Le biochimiste Michael Behe se sent donc contraint de se ranger à l’hypothèse du «dessein intelligent» (Intelligent Design). Il explique dans son livre Darwin’s Black Box que le plus simple des organismes connus est «d’une complexité effroyable» : «Synthèse, dégradation, génération d’énergie, réplication, maintenance de l’architecture cellulaire, mobilité, régulation, réparation, communication : toutes ces fonctions ont lieu dans pratiquement chaque cellule, et chaque fonction elle-même nécessite l’interaction de nombreuses parties». Il est mathématiquement impossible qu’une telle complexité soit le résultat d’une série d’erreurs accidentelles dans la réplication des gènes, même sur des millions d’années. Stephen Meyer souligne dans son livre Darwin’s Doubt que la révolution de la biochimie a conduit à la prise de conscience que la vie n’est pas fondamentalement matière, mais information. Et l’information ne peut être produite que par une intelligence.

Rupert Sheldrake se démarque de la théorie du dessein intelligent, auquel il reproche de perpétuer le modèle monothéiste d’un créateur extérieur à sa création, et lui oppose une forme de panthéisme : c’est la vie elle-même qui est intelligente, et qui l’est de plus en plus. Sheldrake professe aussi un «platonisme dynamique», qui attribue la morphogenèse à des «champs morphiques», sortes d’«idées» ou «formes» platoniciennes en perpétuelle évolution.

Mais, malgré son évidente absurdité, et malgré sa crise profonde dans le milieu scientifique, le darwinisme reste le catéchisme de la modernité désenchantée, enseigné déjà depuis trois générations d’Occidentaux depuis l’école primaire. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il y ait aujourd’hui beaucoup de darwiniens non seulement croyants, mais pratiquants. L’histoire du catholicisme prouve assez que l’influence d’une morale sur les comportements est indépendante de la rationalité du dogme.

Le darwinisme a colonisé la psyché collective de l’Occident. Freud, qui voyait dans la pulsion sexuelle le moteur de toute pensée et de toute action humaine, se fondait sur le darwinisme. Marx y trouvait «le fondement historico-naturel de notre conception».

Je pense que Schopenhauer, Nietzsche et Shaw avaient vu juste. La vulgate darwinienne est pour une large part responsable de la psychopathie généralisée des élites qui nous gouvernent aujourd’hui : dans une société qui a fait du darwinisme sa vérité fondamentale, il est normal que le psychopathe soit au sommet de la pyramide sociale.

Plus grave encore, le darwinisme est aussi largement responsable de la transformation de l’Occident collectif en un monstre dévoreur de civilisations. La géopolitique occidentale est strictement darwinienne, et personne, en haut lieu, n’est dupe de sa rhétorique morale destinée à la consommation des masses. Samuel Huntington le résume parfaitement : «L’Occident a gagné le monde non pas par la supériorité de ses idées, de ses valeurs ou de sa religion, mais plutôt par sa supériorité dans l’application de la violence organisée. Les Occidentaux oublient souvent ce fait, les non-Occidentaux ne l’oublient jamais».

Laurent Guyénot



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