Connaissez-vous Joe Rogan, Theo Von ou encore Adin Ross ? Aux États-Unis, ces influenceurs sont des célébrités. Et ils ont été des soutiens actifs de Donald Trump lors de sa campagne, allant même jusqu’à l’inviter sur leur chaîne YouTube ou Kick — plateforme de streaming controversée à cause de sa modération laxiste qui tente de concurrencer Twitch, le leader du secteur.
Pour Donald Trump, les influenceurs occupent désormais une place centrale dans la promotion et la consolidation de sa politique anti-environnementale. Leur soutien lui permet non seulement de diffuser ses idées auprès d’une nouvelle audience, mais aussi de maintenir sa visibilité pour légitimer ses actions contre l’environnement.
C’est durant la campagne présidentielle étasunienne que ces créateurs aux dizaines de millions d’abonnés se sont exhibés sur leurs réseaux sociaux avec le milliardaire de 78 ans. Des rencontres planifiées, bien ficelées, qui ont permis au président fraîchement investi de propager ses idées auprès de la nouvelle génération.
Racisme, conspirationnisme et déni climatique
Un terrain de jeu idéal pour Donald Trump qui s’affiche fièrement avec ces influenceurs et tire partie de leur audience. Il leur a même adressé un message le 6 novembre dernier après sa victoire électorale : « Je veux rapidement remercier quelques personnes : les Nelk Boys, Adin Ross, Theo Von, Bussin’With The Boys, et enfin le puissant Joe Rogan. » Une bande qui comptabilise au total plus de 38,6 millions d’abonnés sur Instagram.
Ces personnalités sont des hommes aux idées conservatrices, masculinistes, proches ou faisant partie de l’extrême droite. Le plus « puissant » d’entre eux est Joe Rogan, un ancien acteur devenu influenceur qui anime le podcast le plus écouté au monde sur la plateforme Spotify. Habitué des polémiques, ce créateur de contenu a plusieurs fois proféré des expressions racistes et diffusé de théories conspirationnistes. C’est aussi lui que Mark Zuckerberg, patron de Meta, a choisi pour publiciser son virage trumpiste.
Le climat n’a pas été épargné. En mai 2023, Joe Rogan a vanté une théorie du complot qui relie le réchauffement climatique au champ magnétique dans son podcast, niant ainsi la responsabilité anthropique du changement climatique en cours. De son côté, Theo Von, influenceur et podcasteur aux 3 millions d’abonnés sur YouTube, a contredit le biologiste Seth Beaudreault en août 2019, en lui expliquant que les scientifiques perpétuent de fausses histoires sur le changement climatique.
Un échange gagnant-gagnant
Pour Lluis de Nadal, chercheur à l’université de Glasgow qui travaille sur le populisme et les mouvements sociaux, YouTube joue un rôle croissant en tant que source d’information, en particulier chez les jeunes. Aux États-Unis, 37 % des 18-29 ans s’informent avec les influenceurs selon une étude du Pew Research Center. « C’est un phénomène inquiétant étant donné la quantité progressive de contenu sur YouTube remettant en question le consensus scientifique sur le changement climatique », dit-il.
Apparaître dans des podcasts ou vidéos sur les réseaux sociaux auprès d’influenceurs puissants a été une chance pour Donald Trump. Il y a touché une nouvelle audience, et son électorat découvre une nouvelle personnalité du web. Tout le monde y trouve son compte : le président gagne en visibilité, et l’influenceur gagne en abonnés.
Dans ses interventions chez des influenceurs, Donald Trump est confortablement reçu : pas de journaliste pour le contredire, le ton est bienveillant, voire amusant. Personne ne vérifie les faits ou ne bouscule le magnat de l’immobilier. Une occasion de propager ses idées en toute liberté.
« Utiliser les influenceurs permet de court-circuiter le travail des journalistes »
« Le fait d’utiliser les influenceurs permet finalement de court-circuiter le travail classique des médias et des journalistes qui utilisent du contradictoire et qui n’hésitent pas à confronter Donald Trump », souligne Valérie Masson-Delmotte, chercheuse en sciences du climat.
C’est le 26 octobre 2024 que le nouveau président des États-Unis est apparu dans le podcast de Joe Rogan. Dans cette vidéo, qui comptabilise plus de 50 millions de vues sur YouTube, Donald Trump a colporté près de trente-deux fausses informations selon CNN, dont cinq concernant l’environnement et l’énergie.
Il a notamment minimisé la menace du changement climatique et affirmé que le niveau de la mer n’augmentera pas autant que ce qui est prévu par « ces pauvres imbéciles », surnom donné par Donald Trump aux scientifiques. Joe Rogan tente toutefois d’intervenir et laisse entendre « que certaines choses autour du climat sont légitimes », sans aller jusqu’à contredire le futur président.
Biais cognitifs et gros business
Selon Valérie Masson-Delmotte, cette rhétorique est une « technique pour adoucir le propos et banaliser le fait de raconter des mensonges ». Mais pour Alexandre Monnin, philosophe et auteur de Politiser le renoncement, Joe Rogan s’est surtout pris à son propre jeu. « S’il a toujours affirmé que le changement climatique n’avait pas de lien avec les activités humaines, il n’était à l’origine pas un pro-Trump. Mais il a dû se tourner vers lui pour satisfaire sa communauté », révèle-t-il. Il avait initialement soutenu Robert Kennedy Junior — complotiste antivaccin nommé depuis ministre de la Santé par Trump —, un acte de trahison avant ce ralliement pour sa communauté qui a demandé à l’influenceur de se ressaisir et de se faire l’écho de Donald Trump. Pour son business, Joe Rogan n’a pas eu le choix.
Les créateurs sont également un atout pour Donald Trump pour disséminer de fausses informations, les influenceurs utilisant des codes plus simples pour le grand public que ceux utilisés par les scientifiques. « On est pris par ce qu’ils nous racontent. On a envie d’écouter et d’y croire, explique Albin Wagener, chercheur en analyse de discours. On aura plutôt tendance à écouter les paroles de nos influenceurs préférés. C’est un biais cognitif. Même si cette source balance une énormité, on se dit que plusieurs centaines de milliers voire millions de personnes écoutent, et que l’information n’est peut-être pas si fausse que ça. »
Les influenceurs sont ainsi devenus « des instruments de propagande pour Trump, c’est-à-dire qu’ils installent un récit alternatif par de la manipulation de masse », s’inquiète le chercheur. « Les personnalités issues du web l’assument, en tout cas elles s’en accommodent. »
« Ils encouragent cette politique climaticide »
La banalisation de discours réactionnaires outre-Atlantique, a rendu la lutte d’autant plus difficile à cause des insultes et du cyberharcèlement auquel elle expose. Pour Albin Wagener, cette progression démontre que le milliardaire a gagné la bataille culturelle aux États-Unis. « Donald Trump ne cherche pas à faire adhérer des gens à sa cause, mais il veut les faire douter, dit-il. « C’est en exploitant cette incertitude qu’il a gagné. En tout cas, il a une longueur d’avance. » Les changements de politique de fact-checking dans le groupe Meta, et la politique déjà en place sur X permettront ainsi à d’autres acteurs de construire une communauté importante et diffuser une idéologie réactionnaire et anti-écologique.
En participant à l’ascension de Donald Trump au pouvoir, certains influenceurs ont ainsi donné le ton. « Ils encouragent cette politique climaticide qui attend les États-Unis, ou en tout cas ils la fantasment », alerte Albin Wagener. Le nouveau président étasunien tout fraîchement investi pourra alors freiner, voire démanteler, toutes actions visant à protéger l’environnement. Grâce à l’influence des créateurs de contenus, cette politique a gagné en crédibilité auprès d’un public majoritairement jeune. Public qui devra pourtant faire face aux conséquences du changement climatique.
legende