Peut-on perdre son emploi pour avoir refusé de prendre l’avion ? C’est la question soulevée par le licenciement de Gianluca Grimalda. Ce chercheur en psychologie sociale de 53 ans a refusé de rentrer d’une mission en Papouasie-Nouvelle-Guinée par avion, au nom de ses convictions écologiques. Il a préféré un périple de 72 jours en transports terrestres et maritimes. Ce choix radical lui a coûté son poste à l’Institut pour l’économie mondiale (IfW) de Kiel (Allemagne).
Son combat judiciaire s’est conclu par un accord : la cour régionale du travail de Kiel a validé, le 10 janvier 2025, le principe d’un compromis avec compensation entre Grimalda et son ex-employeur, alors que ce dernier s’y opposait. Une victoire en demi-teinte — il voulait être réintégré — mais qui ouvre un débat plus large sur l’articulation entre la nécessaire réduction des émissions de gaz à effet de serre et les contraintes professionnelles.
Grimalda s’était rendu en Papouasie-Nouvelle-Guinée en 2023 pour une étude sur les effets sociaux du changement climatique. Il a passé sept mois sur l’île de Bougainville, au contact de populations menacées par la montée des eaux et l’érosion côtière. Son enquête l’a amené à parcourir une trentaine de villages.
Son travail a été intense, parfois périlleux : au cours de sa mission, il a été brièvement kidnappé par un groupe armé. Une éruption volcanique et diverses complications administratives sont venues ralentir ses recherches. Il a dû prolonger son séjour pour achever son étude, ce qui a reporté d’autant son retour en Allemagne, prévu sans prendre l’avion.
L’IfW, qui avait initialement soutenu sa démarche, lui a alors intimé l’ordre de rentrer au plus vite, via le prochain vol. Mais Gianluca Grimalda, membre du collectif Scientifiques en rébellion, s’est montré catégorique : il s’était engagé, auprès des personnes rencontrées lors de ses recherches, à ne pas prendre l’avion. Il ne volerait donc pas. L’institut a changé de ton et lui a notifié son licenciement pour faute grave, sans indemnité, estimant que le chercheur avait contrevenu à ses obligations professionnelles.
« Il devient urgent de repenser les pratiques de recherche afin qu’elles ne contredisent plus l’urgence écologique »
Le chercheur sans emploi a alors entamé un périple de 72 jours, franchissant 28 000 kilomètres en bateau, bus, train et voiture. Selon ses estimations et nos propres calculs, le voyage lent lui a permis de diviser par dix les émissions de gaz à effet de serre comparé à un trajet en avion. Il aurait ainsi économisé près de 5 tonnes de CO₂, à peu près ce qu’une personne moyenne dans le monde émet en un an.
Pendant ce temps, l’affaire a fait grand bruit. C’est le premier cas connu d’un employé licencié pour avoir refusé de prendre l’avion pour lutter contre le changement climatique. Wolfgang Cramer, chercheur au CNRS, y voit un précédent : « Il devient urgent de repenser les pratiques de recherche afin qu’elles ne contredisent plus l’urgence écologique. » « Certains m’ont dit que c’était une folie de sacrifier son travail pour un vol. Mais la folie, n’est-ce pas de continuer comme si de rien n’était ? » déclarait Gianluca Grimalda à l’époque.
À son retour, Gianluca Grimalda a contesté son licenciement devant la justice allemande. En première instance, le tribunal lui a donné tort : il aurait dû mieux informer son employeur des obstacles rencontrés et de son retard. Mais l’appel a permis d’aboutir à une révision de la situation.
Le tribunal a reconnu une incompatibilité idéologique entre lui et son employeur, ouvrant la voie à un accord transactionnel, soit une indemnité. Les deux parties se sont mises d’accord sur une indemnité de départ, dont le montant exact ne peut pas être divulgué en raison d’un accord de confidentialité. Le chercheur a annoncé son intention de faire don de 75 000 euros, une partie de cette indemnité de départ, à des organisations écologistes.
Un soulagement, mais pas une victoire complète pour Grimalda : « Je ressens une joie mêlée de tristesse, nous dit-il. Tristesse d’avoir perdu un poste que j’aimais, mais satisfaction d’avoir fait avancer le débat sur le droit des travailleurs à rester fidèles à leurs principes environnementaux. »
Une « étape clé » pour la prise en compte des convictions écologistes
Son avocat, Me Jörn Arne Broschat, souligne la portée de cette décision : « Ce cas constitue une étape clé dans le débat émergent sur le droit des employés à défendre leurs convictions écologistes dans le cadre de leurs obligations professionnelles. » Il invite les législateurs et les partenaires sociaux à prendre davantage en compte ces convictions en les inscrivant dans le droit du travail.
Depuis cette affaire, Gianluca Grimalda peine à retrouver un poste académique. En 2025, il repartira pourtant en Papouasie-Nouvelle-Guinée, en tant que chercheur indépendant. Son voyage sera financé par une collecte participative. Fidèle à ses principes, il le fera sans avion. « Changer les mentalités prend du temps, mais c’est une nécessité », affirme-t-il. L’IfW, sollicité par Reporterre pour réagir à la décision, n’a pas donné suite.
legende